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Trouver asile au Québec : fantasmes et réalités
MEDIAFUGEES: donner une voix aux réfugiés du Québec
John Nyembo est né en République Démocratique du Congo, il y 42 ans. Alors qu’il est étudiant, il dénonce des viols commis par des hauts gradés de l’armée congolaise sur la chaîne BBC. Recherché par les services secrets, il fuit le pays et se réfugie en Zambie. Il y reste deux ans avant de s’installer au Botswana. En novembre 2015, il obtient l’asile et s’installe au Québec. Il nous raconte aujourd’hui sa difficile adaptation.
Au Botswana, où j’ai passé plusieurs années avant de me réfugier au Québec, les médias chantent les louanges du Canada. Dans le Mmegi [ça se prononce Mekhi], un journal local que je lisais de temps à autre, on en parlait souvent comme l’un des pays proposant les meilleures conditions de vie au monde. Chez moi, on lui enviait ses supermarchés, ses cliniques, ses jardins publics. On jalousait aussi cet accès au divertissement qui avait l’air si facile. À Gaborone, notre capitale, il n’existe que deux cinémas, pour 500 000 habitant·e·s.
Cette image fantasmée du Canada colle encore aux nouvel·les arrivant·es quelques jours après son arrivée. Le moral est alors haut. Tout ce qu’on voit est épatant. Les bâtiments sont imposants et les rues sont si propres. L’attention portée à l‘environnement est bien plus palpable qu’au Botswana, même si la plupart des pays africains mettent aujourd’hui en place des politiques environnementales qui font peu à peu leur chemin. Mais ce qui suit ne relève pas toujours du conte de fées.
Mes débuts canadiens
Lorsque j’ai atterri à Montréal, on m’a emmené dans un hôtel. J’y ai passé deux semaines avant d’emménager dans une petite maison de Laval. À deux pas de chez moi se trouvait un parc, le parc des Prairies. Les gens qui s’y promenaient avaient l’air si tranquilles, c’était captivant.
Dans ce parc, je respirais un air de liberté dont je m’étais senti privé en Afrique. J’attendais ce moment depuis tant d’années.
Au Botswana, la plupart des gens vivent dans un état de survie quotidien. Là-bas, souvent, tu te lèves, tu te laves, tu sors de chez toi, les gens pensent que tu vas au boulot mais tu ne vas nulle part car tu n’as pas de travail. Le stress lié au manque de sécurité et d’emploi est un ami de tous les jours.
Là-bas, souvent, tu te lèves, tu te laves, tu sors de chez toi, les gens pensent que tu vas au boulot mais tu ne vas nulle part car tu n’as pas de travail.
Mais embrasser une nouvelle vie dans un pays étranger n’est pas facile pour autant. Tout ce qu’on affronte est nouveau : les mœurs, la culture, les amitiés, l’environnement, les institutions. Rapidement, j’ai atteint un état d’anxiété que je pensais avoir laissé en Afrique.
Le stress, le froid et la solitude
Arrivé au mois de novembre, j’ai dû affronter ces nouveaux défis dans un climat qui m’était inconnu : l’hiver canadien. Venant d’un pays très chaud, ce froid glacial était atroce. Les conditions climatiques ont contribué à me coincer dans mon petit appartement, tranquille, en sécurité, mais bien seul.
Et puis peu à peu, j’ai repris des forces. J’avais fui le Congo pour la Zambie. J’avais ensuite atterri au Botswana. J’étais venu au Québec avec un aller simple et j’avais le droit d’y rester. J’ai fini par comprendre que le Canada était ma destination finale.
Je devais sortir de chez moi et foncer.
J’ai commencé à quitter mon appartement, me promener, découvrir la ville. Mais au milieu de tous ces hommes et de toutes ces femmes, je ne me sentais pas moins seul. J’étais très stressé à l’idée d’aborder les gens que je ne comprenais pas. Leur manière de se comporter était très différente de ce que je connaissais.
A l’origine, je suis professeur d’anglais. J’ai aussi enseigné le français au Botswana, et j’ai dirigé une petite troupe de théâtre. Mais j’ai rapidement compris que pour espérer obtenir le même type d’emploi au Canada, je devais retourner à l’école.
Un jour, sur la Place des Arts, au cœur de Montréal, je cherchais le palais des Congrès, pour une petite visite touristique. Des centaines de personnes passaient autour de moi, mais les gens étaient si pressés que je n‘osais pas les déranger avec mes problèmes de direction, alors je suis resté assis sur là, bêtement, une heure durant.
Et puis j’ai dû m’intégrer au marché de l’emploi. J’ai alors découvert une autre forme de stress. A l’origine, je suis professeur d’anglais. J’ai aussi enseigné le français au Botswana, et j’ai dirigé une petite troupe de théâtre. Mais j’ai rapidement compris que pour espérer obtenir le même type d’emploi au Canada, je devais retourner à l’école. Et ça, je ne pouvais pas me le permettre. Avec 640 dollars d’aide sociale par mois et un loyer de 500 dollars, il me fallait trouver un travail, et vite. Alors, j’ai trouvé un emploi temporaire dans une entreprise de recyclage. Je gagnais $320 par semaine. Tout juste de quoi payer mes factures.
Être au Canada pour y foncer
Petit à petit, j’ai fait mon chemin. J’ai changé d’emploi – pour un centre d’appel – et j’ai commencé à faire ma vie. Mais le répit n’a pas duré.
La découverte du système canadien en matière financière est devenue un autre facteur de stress. Au-delà du système de taxes, qui reste encore obscur pour moi, j’ai dû faire face à une pratique absurde : l’historique de crédit. En bref, il s’agit de s’endetter et de rembourser son crédit pour être correctement coté·e auprès du bureau des crédits. Cela crée une ségrégation étonnante : les « bon·ne·s endetté·e·s » contre les « mauvais·es endetté·e·s ». Les premiers peuvent emprunter des sommes de plus en plus grandes pour acheter de jolies choses, les seconds n’ont pas la confiance des institutions et doivent tout payer cash.
Mal informé, lorsque je suis arrivé au Canada, je n’ai pas pu rembourser une facture de 850 dollars auprès d’une compagnie de téléphonie mobile. La compagnie s’en est plainte au bureau des crédits, et me voilà pour longtemps fiché comme un mauvais payeur. Je me suis senti berné par ce système que personne ne m’avait expliqué.
Ces détails techniques sont si importants. Pourtant personne n’en parle en Afrique. Les gens meurent en passant des côtes africaines à l’Espagne. Ils se disent « là-bas, les gens sont heureux ». C’est le beau qui les attire. Mais ils ne savent pas que cette « vie meilleure » a un prix.
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L’autre jour, je cuisinais chez moi. Je me suis adapté, je fais souvent de la poutine. Mais ce jour-là, je faisais un plat africain. Des chenilles, du poisson salé sec, des feuilles de manioc, de l’huile de palme. J’ai envoyé une photo de mes préparatifs à mes proches, resté·e·s en Afrique. Sur la photo, on voyait le prix de certains produits. Très vite, j’ai reçu des messages choqués : « Quoi! 6 dollars pour de l’huile de palme ? ». Au Congo, en général, tout coûte moins d’un dollar.
Une autre réalité qu’on ignore avant de poser nos valises…
John collabore aujourd’hui avec MEDIAFUGEES, qui offre une tribune aux réfugiés de la francophonie.