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Trois ans de ChatGPT : l’arrivée des humains augmentés?

Avec l'adoption massive de l'IA générative, a-t-on cessé de réfléchir par nous-mêmes?

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Ravy Por est experte en IA, fondatrice de Héros de chez nous et auteure de Coder son destin.

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Minuit passé. Vous fixez votre écran, incapable de formuler ce texto délicat. Vous ouvrez ChatGPT : « Comment dire à quelqu’un que… ». Cette scène vous est familière? Ou peut-être cette autre fois où vous avez sollicité une IA comme pseudo-thérapeute, coach de séduction ou conseiller financier improvisé.

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Mais voici les vraies questions : cette nouvelle relation numérique fait-elle de nous des humains augmentés? Mais surtout, avons-nous encore le réflexe de nous parler à nous-mêmes avant de demander à un algorithme?

Bienvenue dans la vie de centaines de millions d’utilisateurs d’agents conversationnels, dans un univers numérique où parler à une IA est devenu aussi naturel que googler une question ou texter un ami.

Une nouvelle langue en trois ans

Le 30 novembre 2022, l’agent conversationnel ChatGPT d’OpenAI arrivait dans nos vies et allait démocratiser l’IA générative à une vitesse fulgurante.

Trois ans plus tard, nous avons adopté ce réflexe où nous comptons sur une IA pour nous donner des réponses, autant à nos petites questions quotidiennes qu’à nos grands questionnements existentiels.

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L’outil est passé d’environ 100 millions d’utilisateurs actifs hebdomadaires dans la première année, à 800 millions aujourd’hui.

Cette croissance rappelle celle de Facebook au début des années 2000. À l’époque, le réseau social nous avait appris une nouvelle grammaire sociale : publier sa vie, exister en ligne et interagir en continu. Vingt ans plus tard, ChatGPT nous apprend une autre grammaire, celle du dialogue avec l’IA. Une conversation accessible 24/7, miroir de nos questions, de nos doutes et de nos remises en question à 2h du matin.

La différence? Facebook nous a appris à performer notre identité. ChatGPT nous invite à déléguer notre réflexion.

Entre amplification et substitution

Alexia, 22 ans, étudiante en communication, utilise l’IA pour démarrer ses travaux : « Je lui balance mes idées, il structure un plan et le schématise. Après, j’écris moi-même. » Marc, 28 ans, graphiste, s’en sert pour traduire et rédiger ses courriels clients.

Selon un rapport de 2025 du PIM et de l’OBVIA, 73% des étudiants universitaires québécois utilisent l’IA générative. Contrairement aux craintes, 70% l’utilisent pour mieux comprendre, 62% pour résumer, 53% pour générer des idées. Seulement 6% l’utilisent pour écrire leurs travaux complets. Ce qui est, somme toute, assez rassurant.

La question n’est pas « utilisez-vous l’IA? », mais « est-ce que j’amplifie ma réflexion ou suis-je en train de la remplacer? »

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Car le problème apparaît lorsque nous faisons confiance aveuglément à l’IA : copier-coller sans relire, déléguer ses décisions importantes ou accepter des conseils relationnels comme des vérités absolues.

À quel moment cesse-t-on de distinguer sa propre voix de celle de l’algorithme?

Apprendre la grammaire de l’IA

Parler à une IA, ça s’apprend. Comme toute langue, il y a des règles, des structures, des nuances. Sauf qu’ici, la grammaire n’est pas seulement linguistique, elle est technologique et intentionnelle.

Petit aparté personnel : je suis née à Québec et ma langue maternelle est le khmer (le cambodgien). Ma langue seconde, avant même le français, fut celle des mathématiques : universelle, logique, précise. Aujourd’hui, j’apprends aussi la grammaire de l’IA, une langue d’intentions, de nuances, de vigilance. Une langue qui, contrairement au khmer ou aux maths, n’a pas encore de dictionnaire définitif.

Où tracer la ligne?

Par exemple, vous traversez une rupture difficile. ChatGPT « vous écoute » à 3h du matin, vous pose des questions, propose des perspectives : comme un miroir réflexif, un catalyseur d’introspection.

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Mais à quel moment l’agent conversationnel devient‑il une béquille qui nous empêche de développer notre propre capacité à gérer nos émotions? À quel moment devient‑il un substitut à l’inconfort nécessaire à l’introspection?

Où traçons-nous la ligne? Quand fermons-nous la fenêtre de clavardage pour appeler un ami, consulter un professionnel, ou simplement nous asseoir avec nos propres pensées?

Que gagnons-nous avec l’IA ou, peut-être même, que perdons-nous?

Développons-nous une dépendance, au point d’atrophier notre réflexion et notre pensée critique avec l’outil, ou même au point de ressentir de l’anxiété dès que nous sommes déconnectés? Ou bien, développons-nous une métacompétence, à force de cadrer des requêtes complexes, de juger de la qualité des réponses et de les recouper avec notre réalité? La réponse n’est pas binaire.

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Les deux scénarios peuvent coexister. Nous sommes la première génération à naviguer ce territoire. C’est une nouvelle forme de littératie et aussi, un nouveau test d’autonomie intellectuelle.

Guide de survie aux agents conversationnels

Rester auteur : vous relisez un texte généré et ne le comprenez pas vraiment? Red flag. Si vous ne pouvez pas expliquer ce que « vous » avez écrit, vous n’en êtes pas l’auteur.

Vérifier, toujours : l’IA hallucine, elle se trompe. Le réflexe de vérification est essentiel.

Garder l’humain au centre : certaines conversations gagnent à rester humaines. Crises, grandes décisions, relations importantes.

Développer votre bullshit detector : est-ce que ça a du sens? Est-ce que ça colle à votre réalité? L’esprit critique n’est pas un luxe intellectuel, c’est la condition de survie dans un écosystème où le vrai et le plausible se confondent.

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Humain augmenté ou… ?

En trois ans, ChatGPT a transformé notre rapport à l’information, à la création et à la réflexion. L’enjeu n’est plus de consommer du contenu, mais de converser avec une machine sur ce qui relève de notre pensée et ce que nous lui déléguons.

À chaque requête, nous définissons les contours de notre autonomie intellectuelle. L’IA amplifie ce que nous lui confions : notre curiosité ou notre « paresse », notre discernement ou notre abdication.

Sommes-nous maintenant des humains augmentés? Seulement si nous choisissons l’augmentation plutôt que l’atrophie.

Réfléchir, c’est accepter l’inconfort de l’incertitude, la friction de la pensée qui se cherche. Avons-nous cessé de réfléchir? Seulement si nous cessons de nous poser la question.

L’IA est le miroir de nos intentions, pas un substitut à notre humanité.

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