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Triptyque, l’écho du regard

Par
Fanie Lebrun
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L’instant d’un moment, on se prend à 3 histoires différentes qui se ressemblent. Trois personnes qui réfléchissent, se questionnent et se regardent. La teinte des images influence le regard, les symboles alimentent l’esprit et l’émotion qui émane du jeu et de la mise en scène arrive au cœur.

Le film Triptyque, coréalisé par Pedro Pires et Robert Lepage est une œuvre incontournable et unique. Adaptation cinématographique de la pièce d’une durée de 9 heures, Lipsynch. Le film Triptyque se transforme en fresque urbaine où la voix humaine vulnérable et complexe s’exprime à travers 3 corps. Celui de Michelle, libraire et schizophrène, Thomas, neurologue allemand et Marie, comédienne et chanteuse. Rien de flagrant, tout en subtilité, rappelons aussi que le terme triptyque fait référence aux tableaux religieux italiens.

Si vous avez l’intention d’aller voir ce film, deux options s’offrent à vous, soit de cesser la lecture de cet article à l’instant et y revenir par la suite. Ou pour les curieux de la démarche, poursuivez pour vivre le regard des acteurs et avoir accès au monde intérieur des réalisateurs.

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Le retour à la réalisation de M. Robert Lepage se fait grâce à Mme Lynda Beaulieu, productrice, qui a réussi le tour de force de permettre le tournage de ce film sur 3 ans avec 82 jours de tournage plutôt que les 30 jours habituels. Un gain tout à son honneur et au grand bonheur de l’équipe. Donnant ainsi une signature hautement distinctive au film, M. Pedro Pires, coréalisateur du film, précise que l’approche exceptionnelle de Robert Lepage est dans « sa façon de créer en étape qui est unique. Aussi, parce qu’il veut être unique … depuis qu’il a 20 ans! Il ne veut pas être 1er, il veut être unique. Il trouve que c’est beaucoup plus noble d’avoir sa couleur. C’est pour cela qu’il est aussi grand … »

Il ajoute que « La façon dont on l’a fait, nous avions envie d’essayer de le faire plus comme un tableau construit où tout n’était pas prévu d’avance ou dessiné. »

Le temps alloué a permis de bien faire les choses et de prendre le temps de vivre les lieux, comme le mentionne M. Pires. « Très curieux, j’ai tiré profit des lieux, de ce qui s’y trouve. Par exemple, il y avait plein de choses comme des miroirs et on a fait quelque chose avec cela. Ce n’est pas toujours facile de prendre son temps avec une équipe de 35-40 personnes qui attend, d’habitude tu ne peux pas le faire. » L’ONF est partenaire et « le défi de ce court-métrage a commencé par Michelle, un des 9 personnages de la pièce. C’est un personnage qui fait appel aux images et après il a été pensé d’ajouter 2 personnages » précise-t-il. Par la suite, se sont ajoutés Marie et Thomas. Pedro Pires porte la fascination de démystifier et de rendre beau ce qui ne l’est pas. Allant même jusqu’à montrer des choses que les gens n’aimeraient pas voir. Ici, nous faisons référence à la séquence de la calotte crânienne soulevée lors de l’opération de Marie afin que l’on distingue bien la masse du cerveau ainsi que ses fibres et ventricules.

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« C’est intrigant de savoir comment c’est fait, sinon on va vivre toute notre vie sans avoir vu cela ! » On comprend bien Robert Lepage de l’avoir choisi, pour sa vision inédite des choses. L’opération ainsi montrée n’est pas anodine, elle fait écho à moment fort (vécue par la personne ci-présente) lors de l’extase de Thomas (le neurologue) face à l’œuvre de Michel-Ange à la chapelle Sixtine. Expliqué par la distinction d’un cerveau dessiné par le contour du Royaume Céleste de Dieu où la position de chacun des anges représente une section du cerveau! Et la question se pose : est-ce que Dieu serait création …du cerveau humain ? Fort bien construit ce film, vraiment, où l’environnement sonore assure le relais des émotions non oralement exprimées. Le spectateur aux aguets captera bien des détails cachés, avec des subtilités voulues et souhaitées. Selon Lise Castonguay, interprète de Michelle et auteure du poème récité Enfant Rouge, « le plus grand défi est de doser… Quoi garder à l’intérieur et quoi montrer. Il y a des choses qui doivent rester à l’intérieur comme ces moments de frayeur où elle vit des hallucinations, des pensées irrationnelles, du chaos. » Selon l’actrice, il serait insupportable pour les autres que cela s’exprime, bien que son jeu de regard est tellement intense qu’il crée le malaise à lui seul.

Alors, ne débranchez pas totalement le cérébral parce que plusieurs parallèles s’y trouvent. Laissez le canal de l’émotionnel ouvert pour bien ressentir, entres autres, toute la sensualité de la sonorité du langage d’exploration du poème « Mon Olivine » de Claude Gauvrau. Fabuleusement interprété par Lise Castonguay qui explique « ce qui est fort dans CG, il arrive avec une constance des mots inventés et une sonorité qui exprime des choses que l’on ne serait pas capable d’exprimer autrement. C’est une écriture charnelle et sensuelle. Je sentais le poème dans mon corps. »

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Pour ceux qui auront vu l’œuvre théâtrale Lipsynch dont le film est tiré, la librairie est un haut lieu d’échange aux multiples interactions. « Dans la pièce, on montrait les scènes extérieures avec l’apparition du prêtre et de la petite fille et après on les vivait de l’intérieur et on voyait que ce n’était que des hallucinations. » Dans le film, il y a un jeu semblable d’interprétation. Sachez que ceci est aussi le résultat d’un travail inconscient. Lise Castonguay avoue que Robert Lepage « de par son point de vue sur les choses, son regard et c’est la personne qui croit le plus à la puissance de l’inconscient. Parce qu’on improvise et on se demande han d’où ça sort? Lui croit à l’inconscient, que celui-ci travaille quand on ne sait pas… Hop, un moment donné avec le temps on se rend compte qu’il y a du sens. »

Confirmée par Frédérike Bédard, interprète de Marie (et c’est bel et bien elle qui chante), elle fut ravie de tourner avec 2 géants de la réalisation « parce qu’ils se servent de tout ce qu’on est ! » À l’origine, la pièce est 9 ensembles, mais la caméra a l’effet de loupe et, selon, elle il a fallu clarifier le film. Étant donné que « Robert travaille en work in progress et qu’il est arrivé avec des morceaux de création, on a mis notre grain de sel.

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Essai-erreur qui en fait un film très réussi où ce ne sont pas trois courts métrages découpés, mais bien un film à trois volets I-Michelle II-Thomas III- Marie. Y aurait-il un lien entre les noms et la religion ? Marie, mère de Dieu, Thomas frère de Jésus et Michelle pour le peintre…

Spécifions que dans le film, Thomas et Marie sont liés par le destin. Thomas interprété par Hans Piesbergen, le neurologue de Marie. Dans le cas à Thomas, il est difficile de départir s’il est dans la fuite ou le déni, il semble « qu’il aie envie d’être en contact avec son âme, parce qu’il est plutôt cérébral (il est neurochirurgien). C’est pour cela qu’on le voit se rendre dans un bar pour entendre chanter sa patiente. Il a un sentiment de crise existentielle et un besoin de se retrouver » explique Robert Lepage. Puisque les vitres et les reflets sont très présents, « il y a beaucoup de dédoublement, de gens qui se regardent… Les personnages sont confrontés à eux-mêmes. Ils se regardent, se contemplent, se questionnent » souligne-t-il. Face à l’interprétation magistrale des acteurs, il n’y a aucun doute sur la démarche dans laquelle M. Lepage nous révèle que « les acteurs ont l’habitude de se faire confier un texte… Ici, les comédiens ont écrit leur propre personnage. Je n’ai rien imposé, ça sortait d’eux et les comédiens sont plus sincères quand ça vient d’eux. ». Si vous sentez un petit quelque chose de particulier, c’est peut-être dû au fait « que ce film a un aura… Dans le scénario, il y avait une tempête de neige et au 1er jour de tournage, il y avait une tempête de neige! » Effet inattendu et bien mérité.

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Selon lui, « de travailler de manière organique permet de tourner un peu et de regarder. » En respectant l’intelligence des gens, Robert Lepage sait que « le plus grand défi du réalisateur c’est que les gens sentent qu’ils ont de la place, bien que c’est le réalisateur qui signe le film. »

Malgré notre acuité intellectuelle à tous, « il est bien d’avoir accès à la pensée derrière l’image », précise M. Lepage sur le dernier plan avec vue sur le Westminster de Londres. C’est après que « Marie s’est mariée, elle passe à une nouvelle vie et entre dans un autre monde, elle se trouve dans un lieu qui lui est étranger… ».

Voici une anecdote racontée par Robert Lepage avec une pointe d’amusement : « le tournage à Londres s’est fait pendant la grève. Il fallait tourner de nuit et se cacher de la police. Réussir à se déplacer avec toute l’équipe… Une nuit d’exploit assez épique que je me rappellerai toute ma vie! »

Triptyque sort en salle le 25 octobre 2013.

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Merci tout spécial à Annexe Communication pour la tenue de ces entrevues.

Crédit-photo : Films Seville – Filiale de Entertainment One.

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