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Trial By Media: le cercle vicieux du divertissement

Une excellente série pour partir une chicane en fin de semaine.

Par
Benoît Lelièvre
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La popularité des documentaires true crime n’a rien de nouveau. Un tueur si proche vous rend parano de vos voisins et amis sur Canal D depuis 2004 et c’est toujours aussi bon. Le premier épisode d’Unsolved Mysteries a été diffusé sur NBC en 1987 et déjà à l’époque, on revisitait une vieille idée sous une nouvelle forme. En fait, on doit remonter jusqu’en 1617 pour trouver le premier livre true crime: The Book of Swindles, qui raconte les différentes fraudes commises par la dynastie Ming, en Chine.

Avec Making a Murderer Netflix n’a donc rien inventé.

Leur nouvelle série documentaire Trial By Media ne réinvente pas la roue non plus, mais soulève deux intéressantes questions: 1) est-ce qu’une histoire est plus fascinante lorsqu’elle est vraie? et 2) comment peut-on s’assurer de se faire raconter la vérité?

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Comme son nom l’indique, Trial By Media passe en revue six procès ultra-médiatisés où la perception du public a joué un rôle crucial, dont celui du justicier du métro de New York, Bernhard Goetz et celui des quatre policiers responsables de la mort d’Amadou Diallo. Co-produit par George Clooney, Trial By Media tente de sensibiliser l’auditoire aux histoires montées en épingle, faites pour vendre des journaux et de l’espace publicitaire. Sauf que c’est pas vraiment ça que la série accomplit.

Est-ce qu’une histoire est plus fascinante lorsqu’elle est vraie?

Le deuxième épisode de Trial By Media porte sur Bernhard Goetz. Dans les années 80 à New York, la criminalité hors de contrôle rendait périlleux un simple trajet en métro. On pouvait facilement se faire tabasser, voler ou même tuer si on croisait le chemin de la mauvaise personne. Goetz a décidé de prendre sa sécurité en main et de tirer sur 4 assaillants avant de prendre la fuite. S’il ne s’était pas livré aux autorités, on ne l’aurait jamais retrouvé.

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Goetz s’est inspiré de la série de films Death Wish, où Charles Bronson joue un veuf esseulé et assoiffé de vengeance qui abat la racaille new-yorkaise soir après soir:

Après son arrestation, les New-Yorkais ont vite adopté Goetz comme un symbole de la résistance au crime. Le Batman de leur Gotham City. Une image vendeuse fignolée par des médias en manque de sensationnalisme qui représentait très mal la complexité du bonhomme. Vous connaissez l’expression «un esprit sain dans un corps sain»? Bernhard Goetz n’avait ni l’un ni l’autre!

Si l’histoire de Bernhard Goetz continue de faire parler aujourd’hui, c’est qu’il s’agit d’un des seuls exemples de justicier hors-la-loi s’appliquant à la vraie vie. Lorsque Goetz était en cavale, le public trouvait ça très rassurant d’avoir une menace abstraite qui planait sur les criminels du métro. Lorsqu’il a révélé son identité, le sentiment général est devenu plus flou. C’est comme devenu un peu trop vrai.

Les histoires vraies sont particulièrement fascinantes parce qu’on peut bien souvent s’y identifier et qu’elles façonnent le monde dans lequel on vit. Elles incitent au changement ou à la cristallisation de certains comportements.

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C’est difficile d’établir ce qui rend le cas de Bernhard Goetz si fascinant, mais une chose est certaine, les citoyens ont choisi de le voir à travers les lunettes de leur propre vécu. Batman pour les uns, il incarnait un racisme galopant pour les autres (dont le révérend Al Sharpton). Parce que voilà, les assaillants de Goetz étaient Noirs. La vérité est, bien sûr, quelque part entre les deux, mais la condamnation au civil de Bernhard Goetz laisse planer l’idée que le révérend était plus près de la vérité. Et par là je veux dire que Goetz était RA-CI-STE au cas où c’était pas clair.

Vous en jugerez par vous-même en regardant l’épisode.

Une histoire vraie, ça demeure une histoire, mais en même temps, c’est pas «juste» une histoire». C’est arrivé à du vrai monde et il y a eu des conséquences réelles. Les histoires vraies sont particulièrement fascinantes parce qu’on peut bien souvent s’y identifier et qu’elles façonnent le monde dans lequel on vit. Elles incitent au changement ou à la cristallisation de certains comportements. Souvent des comportements de marde.

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Trial By Media fait, somme toute, un très bon travail en nous confrontant à cette réalité.

Comment peut-on s’assurer de se faire raconter la vérité?

C’est là que j’ai un peu plus de difficulté avec Trial By Media.

Quand une tragédie se produit, comme lorsqu’un meurtre est commis, on se base sur la manière dont elle nous est rapportée pour se faire une tête. Le premier épisode de Trial By Media raconte l’histoire du meurtre de Scott Amedure, un jeune homme gai abattu par son ami après lui avoir avoué son béguin sur les ondes du Jenny Jones Show. T’sais une idée de contenu très saine et pas problématique du tout. Si en 2020 la communauté LGBTQ+ doit encore livrer plusieurs batailles pour avoir le simple droit d’exister et de vivre pleinement, imaginez ce que c’était en 1995.

L’essentiel de l’épisode est malheureusement meublé par les avocats des deux partis qui, sans surprise, racontent exactement le contraire l’un de l’autre.

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L’épisode nous raconte la pression psychologique subie par le meurtrier Jonathan Schmitz suite à sa participation à l’émission de télévision. Il met aussi de l’avant le fait que ces talk-shows racoleurs carburant aux révélations-choc de personnes démunies peuvent se révéler dangereux.

C’est l’histoire que Trial By Media a bien voulu nous raconter. On en sait cependant très peu sur la nature de l’amitié entre Schmitz et Amedure et les circonstances qui l’ont mené à participer. Souffrant de nombreux problèmes de santé mentale, on comprend vite que Schmitz n’aurait jamais dû se trouver sur le plateau de tournage… On en sait tout aussi peu sur ce qui aurait pu le faire disjoncter avant même sa participation à l’émission. À ce propos, l’apport de la famille Schmitz était un incontournable pour faire un réel post-mortem de cette tragédie. L’essentiel de l’épisode est malheureusement meublé par les avocats des deux partis qui, sans surprise, racontent exactement le contraire l’un de l’autre.

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Avoir ne serait-ce qu’un début de vérité nécessite de colliger des faits et établir des liens entre eux. Pas mal plus plate et emmerdant que de regarder une série Netflix, n’est-ce pas?

C’est pour cette raison qu’on fait confiance aux journalistes pour faire le boulot, mais au bout du compte le divertissement est une business régie pas des impératifs financiers. C’est donc toujours la meilleure histoire qui gagne. On ne s’en sort pas. Trial By Media essaie d’y arriver, sans succès.