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Trente-six vierges pour Satan

Par
Edouard H.Bond
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Ce texte est issu du #13 spécial Folie | Automne 2006

«Même si l’épitète “Tireur Fou” va m’être attribué dans les médias, je me considère comme un érudit rationnel que seul la venu de la Faucheuse on amméné à posé des gestes extrèmistes.» [sic]

—marc lépine, dans sa lettre de suicide parue dans la presse, le 24 novembre 1990

Elle n’a pas plus de huit ans, la kid. Elle bouffe une touffe de barbapapa bleue avec appétit, comme si sa survie en dépendait. Deux boucles blondes qui se sont échappées de sa queue de cheval se trémoussent au rythme du vent, tandis que derrière elle, la grande roue étourdit la clientèle des Galeries d’Anjou. C’est que le stationnement du centre d’achats accueille cette semaine les célèbres forains de Beauce Carnaval. L’Entrée des gladiateurs griche d’in hauts-parleurs, on dirait quasiment la version de Bérurier Noir.

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La fillette continue à se bourrer la fraise dans le coton de sucre. Ses grands yeux mouillés balayent le paysage à la recherche du prochain manège, celui qui lui donnera plus de thrills que le carrousel de tantôt. Les autos tamponneuses, peut-être?

Son regard tombe finalement sur moi dans mon pick-up, parké à six cent soixante-six pieds de l’événement. Mon cœur s’arrête au milieu d’un battement. J’ai sa délicate poitrine logée au centre du collimateur de mon fusil à lunette. Freeze sur l’image.

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Le sept mai mil neuf cent quatre-vingt-quatre, Denis Lortie passe proche de terroriser le Québec en faisant irruption au Parlement, armé jusqu’aux dents. Le hic, c’est qu’il débarque au Salon bleu trop tôt. Les élus n’ont pas encore leurs culs d’in sièges. Son score de trois fera pâle figure devant celui de Marc Lépine qui, six ans plus tard, nous coupe l’appétit en abattant quatorze femmes à Polytechnique. En quatre-vingt-douze, Valery Fabrikant, pauvr’homme pis professeur à Concordia, expédie en enfer quatre collègues de travail.

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Ensuite Le mass killer se ferme la gueule pendant quasiment quinze ans. En attendant, on subit des daddies pas trop cool qui pulvérisent leurs familles, des pédophiles à gogo, des motards en mal de publicité pis des gangs de rues une coche trop indisciplinées, des invasions de domicile en série pis un suicide collectif en co-production avec la Suisse.

Alors que le fêlé à Marc Lépine s’est trouvé un mobile de pacotille pour s’inscrire en typo sanglante dans l’Histoire d’icitte*, j’enfonce le clou d’une traite en suggérant de blâmer carrément Satan pour mes actions.

Il serait trop facile de mettre mon carnage sur le dos des magazines weird que je lis, du rock émergent montréalais qui load ma discothèque ou bien du départ pour l’Europe de Heidi, ma merveilleuse fillette. Je vois déjà les frontpages qui récupèreraient mon histoire avec les photos cochonnes que les chicks m’envoient, avec ma dernière note de blogue où je raconte ô combien chuis en manque de sexe. Probab qu’on parlerait beaucoup de mon isolement dans le cinq un quatre, des signes avant-coureurs que personne n’a vu ou n’importe quelle autre bullshit du genre.

Nah, je préfère ma lubie.

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À onze ans, j’ai signé un pacte avec le Malin: en échange de ma pauvr’âme, il allait me donner succès pis luxure. Aujourd’hui, quand je t’ai ent’mes pattes, ma toute paniquée, je me dis que le Roi des méchants a rempli sa partie du contrat. Faque vingt ans de succès pis de luxure plus tard, le deal arrive à échéance, visiblement, parce que je m’enligne drette pour mettre mes mots au service de slogans insipides, de marques hors de prix, de producteurs cupides pis d’éditeurs douteux. Ma pauvr’âme fout le camp !

Pour éviter la catastrophe, pour continuer à beurrer les pages de certaines revues de mes paragraphes crottés, je dois la préserver. Pour ça, il me faut la racheter à Satan.

Hier soir, Lui et moi avons passé une nouvelle entente. Les jappements du chien de la voisine se sont transformés en paroles, Il m’a commandé trente-six vierges au travers la bête. Voilà le tarif pour que je puisse garder mon âme.

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La fillette me fixe longuement pendant que je plotte la détente de mon fusil. Impossible qu’elle me voit, chuis beaucoup trop loin. D’un coup sec, sa mère l’attrape par le collet pis la sort du cadre. Chuis déstabilisé un quart de seconde, pis j’orpars en chasse. Je promène mon canon dans la foule, je tombe sur deux pré-pubères qui sortent du tunnel de l’amour. La jeune fille frenche baveux son chum. Dans la longue-vue, j’ormarque qu’elle lui orcrache la sauce.

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Entre deux classic rock, chom fm m’apprend soudain qu’un forcené fait feu sur tout ce qui bouge au Collège Dawson. Mohawk, trench coat noir pis arme semi-automatique, le copycat donne un nouveau frisson à la province.

«Tu viens de te faire upstager, hein, Hardcore ?» Sur le hood de mon pick-up, il y a le chien de ma voisine. Les yeux injectés de sang, il me fixe intensément. «Alors, tu me les files quand, ces tente-six vierges ?» Vu les circonstances, je préfère largement mon ego à mon âme. Je range mon fusil avec la ferme intention d’aller l’orvendre au pawnshop où je l’ai trouvé. «?Come on, c’est pas cet abruti de wannabe qui va changer tes plans, non ?»

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Au lendemain du treize septembre deux mille six, je me suis fait prescrire des pills qui assomment le mal de vivre, j’ai arrêté de discuter avec le chien de la voisine pis j’ai enfin fait le deuil de ma pauvr’âme. Il ne me reste plus que mon ombre avec qui échaufauder mes plans diaboliques.

* Il a quand même juste pris quinze minutes pour écrire son crisse de manifeste, c’est pas avec ça qu’il faut s’énerver le poil des jambes, han madame?

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Ce texte est issu du #13 spécial Folie | Automne 2006