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Trauma a commencé en trombe sa nouvelle saison il y a quelques jours par un voyage en Haïti. Les quelques incongruités factuelles, dont un créole à l’accent montréalais, représentent une situation conflictuelle pourtant absente d’Haïti depuis plusieurs années.
Envoyé en Haïti, l’un des personnages principaux de la série se retrouve à offrir des soins médicaux dans un camp de déplacés en campagne, un camp contrôlé par une milice armée. Si une émission de fiction n’est pas là pour représenter la réalité, il ne faut certainement pas croire tout ce qu’on y voit.
D’abord, je n’ai pas vu de camps de déplacés contrôlé par des milices armées. Au contraire, bien que plusieurs actes terribles de banditisme y aient été répertoriés, les policiers y ont toujours eu accès. Les militaires onusiens ont même établi des bureaux dans les plus grands camps. J’ai d’ailleurs dû accompagner un contact qui y vivait, pour l’aider à porter plainte contre des policiers qui l’avaient battu alors qu’ils cherchaient des criminels et qu’ils croyaient, par le look un peu sévère de mon ami, que celui-ci en faisait probablement partie.
Même la prétendue épidémie de viols dans les camps, annoncée en grande pompe dans le New York Times, ne s’est révélée qu’être une autre enflure médiatique de certains groupes bidons pour recevoir plus d’argent. Pendant ce temps, les vrais centres d’hébergement pour femmes déjà établis peinaient à recevoir de l’aide, et ils n’en ont presque pas reçu, au final. Les statistiques annuelles de viols répertoriés n’ont pas connu d’augmentation fulgurante en 2010.
En fait, la série Trauma fait l’amalgame de la période post-séisme de 2010 où des camps ont parsemé la capitale et d’une période sombre de l’histoire de Port-au-Prince, de 2004 à 2006, alors que plusieurs gangs de rue contrôlaient certains quartiers populaires. Aujourd’hui, la criminalité a baissé drastiquement et elle est moins importante qu’en République dominicaine, par exemple.
Dans les semaines qui ont suivi le séisme en Haïti, le banditisme était à son plus bas. On pouvait circuler presque partout sans crainte. Durant cette période, l’élan de solidarité internationale a aussi été accompagné par un élan de solidarité entre Haïtiens. Règle générale, les cloisons sociales haïtiennes sont tombées pour laisser place à un sentiment de communauté sans précédent entre voisins, familles et concitoyens.
Le kidnapping, technique inédite en Haïti avant d’être importée au milieu des années 2000 de la Colombie ou du Mexique, était déjà en forte baisse en 2009 à Port-au-Prince. Bien que le phénomène ait légèrement repris en 2011 et 2012, il est aujourd’hui encore plus bas qu’en 2009, presque absent même. Et aucun kidnapping n’a été commis pour profiter des soins d’un médecin au milieu d’un quartier populaire, mais plutôt pour l’argent de la rançon. Depuis quelques années, le modus operandi des kidnappeurs était généralement assez similaire d’une fois à l’autre, visant surtout les gens de la région de Port-au-Prince dans leur maison cossue ou dans leur véhicule. Les étrangers kidnappés se comptent sur les doigts d’une main depuis le séisme en Haïti. Les derniers, en 2012, sortaient de leur bureau d’une grande ONG internationale logé dans l’un des quartiers chics de Pétion-Ville, au volant d’un gros 4×4.
Luck Mervil dans une toute nouvelle publicité télé pour un concessionnaire de Port-au-Prince
Si les violences armées en Haïti se font rares pour la majorité de la population, surtout dans les régions, on ne peut pas en dire autant depuis quelques mois pour les habitants de Cité-Soleil, la célèbre commune du bas de la capitale, près d’une grande zone industrielle. Depuis que les rumeurs d’élections législatives ont repris cet automne, les gangs de rue de cette zone ont vu pleuvoir argent et armes, provenant des gens en moyens. L’un des députés du coin, Arnel Bélizaire, jusqu’à récemment un proche du parti Lavalas de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, est pointé du doigt par des manifestants qui dénoncent chaque mois le climat d’insécurité qui règne dans leur quartier. Les gens ont peur : parfois, les écoles doivent même fermer leurs portes à cause d’un regain de violences entre groupes rivaux, ce jour-là.
Cet automne, avec l’arrivée prochaine des élections, une poignée de quartiers populaires de Port-au-Prince connus pour leurs gangs ont vu des violences armées augmentées de beaucoup (Grand-Ravine à Martissant, Boston à Cité-Soleil, ou Delmas 2). Ça s’est beaucoup calmé depuis le début de l’année, sauf à Cité-Soleil. Encore la semaine dernière, des violences y ont éclaté entre différents groupes armés, certains identifiés comme étant associés à l’opposition, d’autres pro-gouvernement. Des pneus ont brulé, des tirs ont volé.
Ce matin, une conférence de presse a été convoquée par la MINUSTAH (forces armées onusiennes) et un collectif de notables de Cité-Soleil dans un hôtel chic de Pétion-Ville. L’objectif était de lancer devant les médias le forum « Paix et développement dans Cité-Soleil » qui se veut une manière « d’entamer un dialogue entre les habitants de Cité-soleil, en vue d’identifier les principaux problèmes de la commune pour ensuite trouver des solutions en collaboration avec les autorités locales ». On espère que ce dialogue portera ses fruits. D’ici-là, tout un quartier attend qu’on s’occupe de lui.
Twitter: etiennecp
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