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Toujours plus toutounes que normales

Par
Aurélie Lanctôt
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La chronique d’Hugo Dumas, hier, m’a frappée. Le titre: « Ni maigres ni obèses, juste normales ». Il y parlait de ce courant d’actrices qui se distancient des standards de minceur extrême, et qui, sans être grosses, ressemblent davantage à des «femmes normales».

«Normale».
Étrange comme cette caractéristique est à la fois ambiguë et déstabilisante, bien qu’elle se veuille réconfortante.
La normalité peut être inconfortable. Du moins, celle-là.
D’abord, c’est une notion assez floue, extensive. Et puis c’est comme si notre poids dit « normal » – qui, de tout autre temps, aurait eu une charge neutre – s’accompagne du sentiment de se tenir sur la fine ligne entre l’idéal et l’embarrassant.
Être normale, ce n’est pas l’épiphanie; c’est plutôt un état dont on peut se satisfaire, tout en continuant de se « weightwatcher ». C’est extrêmement sournois, quand on y pense.
La minceur est une obsession complètement arbitraire et propre à notre époque. Ça aurait pu être la couleur des cheveux, la longueur des pieds ou le QI. Mais non, c’est le poids. Rien de nouveau sous le soleil.
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Mais cette obsession est particulièrement violente. Le généticien et essayiste Axel Kahn remarque à ce propos que « jamais aucune société avant la nôtre n’a rendu autant d’êtres humains aussi malheureux de leur propre corps.» Il marque un point.
Toujours est-il que j’en ai marre, moi aussi, de toutes ces levées de boucliers pour l’acceptation corporelle. Le « droit d’avoir des formes », d’être telle qu’on est, avec nos « imperfections », bla bla bla.
À mon avis, cette exaltation de l’acceptation est grotesque, puisqu’on ne fait qu’alimenter l’obsession, mais par la négative. Loin de casser le cycle, on le perpétue. Et l’imagerie populaire de la minceur/non-minceur est truffée d’hypocrisie, au point où la frénésie du « je m’assume » est somme toute assez bidon.
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Ayoye, pas du 8? T’es vraiment un modèle d’acceptation, toi!
Déjà, sans vouloir faire le procès des tailles de pantalons, c’est objectivement la mesure la moins représentative qu’on puisse imaginer.
Pourquoi y référer comme barème empirique, alors? Parce que dans la représentation collective, on associe des phénotypes bien précis aux tailles de pantalon, même si ça ne colle pas tout à fait à la réalité. Les tailles de prêt-à-porter tiennent lieu de métaphore.
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Un 8, donc, représente cet espèce de seuil où on commence à parler « d’assumer ses formes ». Alors même si le 8 d’une marque est le 2 d’une autre, aucune importance.
C’est à la figure du 8, qu’on renvoie. Bon, d’accord. C’est noté…
Et c’est vrai qu’au final, si on ressort d’un magasin avec un 8, arrêtons de se mentir, y’a quelque chose qui nous titille. « Comment ça? Me semble que chu pas un 8, moi? »
Je le sais, ça m’arrive. Tranche de vie, tiens : la semaine dernière, je me suis achetée une petite jupe. Très mignonne, très ajustée. Pour les jours où j’ai envie de frimer avec mes chairs de jeune vingtaine. Et puis bref, grosse confidence : j’ai acheté un impensable 10!
« Parce que c’est H&M, c’est cheap, c’est fait tout croche… »
« Ben voyons, est-ce que je suis vraiment un 10? Moi? »
Et là, je mets 5 piasses sur la table que vous m’imaginez un peu toutoune – du moins plus que vous – et que vous lirez ce qui suit avec une grille de pseudo compassion pour le boudin qui s’assume que vous présumez désormais que je suis. Parce que ça vous arrange de m’imaginer comme ça. Une petite victoire, ponctuée d’un soupir contenté. Vous vous en foutez de ce dont j’ai réellement l’air, c’est l’idée.
Voyez ce que je veux dire?
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Et bien elle est là, l’hypocrisie. L’obsession déguisée en acceptation.
Je ne dis pas que nous sommes toutes hargneuses atterrées par notre image corporelle! Je pense d’ailleurs qu’on dramatise beaucoup le rapport des femmes avec leur poids. Ça nous importe toutes, mais pour la majorité, on ne parle pas d’obnubilation.
plus mince que ça, quand même?
On encourage la lubie de l’acceptation parce qu’elle est réconfortante. Une indulgence dans un monde sans merci.
Mais on demeure en quelque sorte inféodés aux standards débiles de quelques esthètes à la Lagerfeld; dont on souffre qu’ils soient assez puissants pour ériger la beauté et la minceur au rang de vertus intrinsèquement liées.
Il y a néanmoins Joseph Mouton, professeur d’esthétique à la Villa Arson, de Nice, qui remarque la stérilité des standards de beauté promus par l’establishment :
« La beauté résulte d’une sorte de lavage qui désassujettit les choses, les fait voir dans l’état où elles ne seraient à personne, où elles pourraient aussi bien servir à chacun, à tout le monde. »
Ça me plait. À méditer.
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Sur ce, j’ai très envie d’aller me faire un grilled-cheese. Salut.
***
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