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Touche pas à mon client!

Par
Marylie Savoie
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Cette lettre nous a été envoyée par une lectrice désirant répondre au texte « You’re gonna hurle » de notre blogueuse.

Je voudrais vous parler de M. C’est un homme dans la mi-quarantaine qui est marié, père de quelques enfants et dont je suis fièrement l’amante depuis quelques mois. M. m’a avoué cette semaine que le drame de notre relation était que je pouvais parler de lui à mes collègues ou mes amies et que lui ne pouvait parler de moi à personne, de peur de se faire juger. Je suis son jardin secret, son moment de pause dans sa vie, il est très doux. Ce qu’il aime le plus c’est prendre sa douche avec moi et m’appuyer contre le mur pour m’embrasser et me dire que je lui ai manqué.

La première chose qui m’a frappé quand j’ai commencé dans le milieu, c’était la banalité de mes clients, la majorité d’entre eux ne sont ni beaux ni laids, ils sont comptables, chauffeurs de bus, ingénieurs, professeurs, majoritairement dans la quarantaine, quasiment tous mariés et sans fantasmes particuliers.
La deuxième chose qui m’a laissé sans voix, c’était la préoccupation qu’il y a autour du consentement. Mes clients passent leur temps à me demander s’ils peuvent me toucher, si c’est correct, si je suis bien, si j’aime ça, s’ils sont assez doux. Ils savent très bien que si je leur offre des services sexuels contre rémunération, mon consentement n’est pas facultatif, aucun n’oserait me toucher si je dis non ou si je ne suis pas à l’aise. Mes amants ne veulent pas devenir agresseurs, et ils connaissent très bien la différence entre du sexe plus passionné et du sexe forcé et le deuxième ne leur donne aucune érection.

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Mes partenaires, comme ceux qui ont signé le manifeste des 343 salauds, sont les clients, fidèles ou volages, de prostituées. Selon notre société, ils sont vus comme des exploiteurs, comme des hommes nous imposant leurs désirs et nous obligeant à nous y soumettre, alors que j’ai choisi pleinement ce métier. Mes amants, comme ceux qui ont signé ce manifeste, ne sont pourtant que des hommes souhaitant avoir des relations adultes et consentantes sans que l’État ne s’en mêle.

Les 343 salauds ont fait quelques gaffes dans l’écriture de leur manifeste, mais j’avoue que, même avec mon fond féministe, j’ai applaudi en le lisant. J’ai applaudi parce qu’enfin ces hommes ont pu dire haut et fort qu’ils connaissent des courtisanes qui ne sont pas exploitées et qu’ils revendiquent le droit d’aller les voir et d’avoir des rapports consentants et tarifés.

Sincèrement, j’aimerais qu’on m’explique en quoi ce manifeste est antiféministe.

Le titre est maladroit, car effectivement nous ne sommes la pute de personne, et la référence au manifeste des 343 salopes est vu par beaucoup comme du mauvais goût. Personnellement, je demande à ce qu’on arrête de regarder le titre et qu’on lise enfin le texte!

Au Canada nous sommes en ce moment en cour suprême pour essayer de décriminaliser la prostitution, et je ne peux m’empêcher de me demander si le poids politique qui nous manque pour réussir à se libérer de la violence des lois n’est justement pas ces hommes anonymes, clients, amants, amis qui viennent nous voir pour y chercher un espace qu’ils ne trouvent pas ailleurs.

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Eux revendiquent le droit de venir me voir, moi je revendique le droit de les accueillir, je revendique le fait que le gouvernement n’a pas à se mêler de sexualité adulte et consentante, qu’elle soit ou non tarifée.

Je suis contre l’exploitation sexuelle, contre la violence sexuelle et comme les « salauds », je dis avec conviction: « Nous ne céderons pas aux ligues de vertu qui en veulent aux dames (et aux hommes) de petite vertu. Contre le sexuellement correct, nous entendons vivre en adultes. »

Alors chers partenaires je vous le demande : à quand un manifeste des « salauds » pour le Québec?

Marylie Savoie, escorte indépendante