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Touche pas à mon bol de toilette

Par
Mélissa Verreault
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J’ai beau dire que je suis devenue indifférente à pratiquement tout, il y a encore des situations, des comportements et des êtres qui m’exaspèrent. À commencer par les p’tites madames à mon travail.

Je suis pigiste, mais il m’arrive de faire des contrats pour le gouvernement et de travailler dans les locaux d’un gris et poussiéreux building appartenant à l’État. Mis à part mes quelques 60 collègues contractuels et moi, le reste des gens qui bossent dans ces lieux sont des employés permanents temps plein qui attendent d’avoir 55 ans pour prendre leur retraite – le genre de job qui n’existe plus, quoi. Pas besoin de vous dire à quel point nous sommes biiiiiien accueillis par nos voisins de pallier. En d’autres mots, ils nous haïssent.

Je dis « ils », mais le « elles » seraient plus approprié. Chaque année depuis deux ou trois ans, lorsque notre contrat annuel débute et que nous débarquons dans les locaux qui nous sont assignés, une véritable guerre éclate entre nous et les p’tites madames du building. En fait, la guerre éclate surtout dans leur tête parce qu’en ce qui nous concerne, à la base, on n’a rien à leur reprocher. Or, on n’a plus trop le choix de se défendre. Des discussions féroces ont lieu, des tractations infinies s’engagent, des accusations gratuites sont lancées. Les enjeux principaux de cette sanguinolente bataille ? Les salles de repos et les toilettes.

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Oui, oui. Les p’tites madames nous haïssent parce que selon elles, on envahit LEUR cuisinette et LEUR zone de pipi. Elles sont plus territoriales que des chattes en chaleur. Une de mes collègues s’est déjà fait engueuler par une de ces mégères sous prétexte qu’elle n’avait pas essuyé les quelques petites gouttes d’eau qui étaient tombées sur le comptoir lorsqu’elle s’était lavé les mains. Une autre s’est fait dire « Scuse, qu’est-ce que tu fais ici, c’est NOTRE cuisine, t’as pas le droit d’être là », pendant que ses accueillantes comparses murmuraient des « frrranchement, ils ont du frrront de venirrr manger ici, ils ont pas la perrrmission ». L’affaire, c’est qu’on l’a, la permission. Mais les p’tites madames demeurent convaincues qu’on n’a pas d’affaires là. Alors, quand on arrive dans la salle à manger, elles nous disent que toutes les places autour d’elles sont prises. C’est complètement faux, bien sûr. Sans broncher, parce qu’on est civilisés, on s’assoit un peu plus loin, on bouffe nos sandwiches, on rigole et on bavarde, pendant que les p’tites madames mangent leurs repas Weight Watchers congelés, en nous jetant un regard condescendant une fois de temps en temps, chacune toute seule dans son coin.

Pourquoi ces femmes nous détestent et nous jugent ? On ne peut que faire des suppositions, mais on s’imagine que c’est parce que nous sommes jeunes, insouciants et pleins de joie de vivre. Parce que malgré le fait que n’avons pas de situation stable, que notre boulot est parfois routinier et exigeant, nous gardons le sourire. Nous rions même très souvent. Et ça, ça ! Ça les exaspère au plus haut point. Elles, la dernière fois qu’elles ont ri durant leurs heures de travail, ce devait être parce que Lise, la secrétaire, a passé tout l’après-midi avec le jupon pogné dans le bas-culotte et que personne n’a eu la décence de le lui faire remarquer. Parce que ces gens-là n’aiment pas les autres.

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À la suite de mon dernier message sur ce blogue, certains m’ont dit que mon indifférence était pathétique. Rien de moins. Qu’ils me jugent tant qu’ils le veulent, mais pour ma part, je considère qu’il y a pire encore que l’indifférence : le mépris.