Tout ce qui date d’avant le premier mandat de Donald Trump me semble provenir du siècle dernier. D’un monde plus simple, où c’était permis de se soucier juste de soi-même, à condition de ne faire mal à personne.
Girls, la série culte de l’autrice new-yorkaise Lena Dunham, est un digne artéfact de ce monde perdu. Parue en 2012 (avant que je ne devienne journaliste et alors que la plupart de mes collègues étaient encore à la p’tite école), elle a assez vieilli culturellement que Nicolas Cage pourrait décider de s’en emparer dans un prochain chapitre de National Treasure. Girls, c’était un peu comme l’anti-Sex and the City ; une des premières fois où l’on explorait au petit écran la vie de jeune adulte au féminin sans le vernis de la télé contemporaine.
Puis, c’est peut-être dû aux controverses qui se suivent et ne se ressemblent pas pour Dunham ou tout simplement le monde qui a changé, mais aucun de ses projets subséquents n’a connu la même popularité ou succès critique que Girls. C’est peut-être pour cette raison que Too Much, sa nouvelle série, est on ne peut plus différente de sa prédécesseure et du portrait iconique qu’elle dressait de la jeunesse new-yorkaise. Dans Too Much, on cherche plutôt à déconstruire la comédie romantique à l’ère post-#MeToo, tout en contraste, ce qui détonne de l’imaginaire rose bonbon habituellement associé au genre.
S’aimer à l’ère du soupçon
Too Much, c’est l’histoire de Jessica (interprétée par une Megan Stalter bien dans son élément), une assistante de production dans le milieu publicitaire qui traverse une grosse peine d’amour après que son conjoint des sept dernières années l’ait laissée pour une influenceuse (Emily Ratajkowski). Ouin, ça fait mal.
En proie à une profonde détresse, elle accepte un contrat à Londres pour s’éloigner de son ex. Dès son premier soir en ville, Jessica fait la rencontre de Felix, qui ressemble à un croisement entre mon collègue Jacob Khayat et un jeune David Usher, interprété par Will Sharpe.
Voyez par vous-mêmes :
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En surface, Felix, c’est le chum idéal : drôle, relax et romantique, il pleure à chaudes larmes en regardant Paddington et ne consomme plus depuis 3 ans. S’il possède la sagesse d’une personne qui reconnaît la fragilité du bonheur, le cœur de Jessica, lui, se remet à peine d’un incendie cinq alarmes.
Bon, ce résumé ne vend pas bien la patente. Loin d’être une porno émotionnelle qui génère des attentes irréalistes au sujet de la vie amoureuse, Too Much est un leurre se faisant passer pour un clone d’Emily in Paris avant de finalement se déconstruire sous nos yeux.
Et c’est là le plus grand défaut de Too Much : la série prend la moitié des épisodes pour asseoir son idée de base, soit que c’est difficile pour une jeune femme de se laisser aller, à l’ère où on est si bien informés sur les dangers inhérents aux rencontres amoureuses.
Intéressant? Absolument. Laborieux? Un peu aussi.
Mais c’est aussi ça, l’amour, à l’ère du soupçon. On vit des moments beaux et simples lorsqu’on connecte physiquement et émotionnellement avec quelqu’un. Puis, dès qu’on en parle à nos proches hyperinformés, ils parasitent la magie avec leurs histoires de désastres amoureux et leurs connaissances encyclopédiques des tactiques de manipulation. À les entendre, on en vient inévitablement à tout remettre en question. Parfois avec raison. Parfois c’est une prophétie autoréalisatrice.
Entourée de collègues se voulant bienveillants, mais blasés en termes de relations amoureuses, c’est son âme de petite fille que Jessica met en jeu dans sa relation avec Felix.
C’est pas un peu simpliste comme vision?
Peut-être un peu, oui. L’exécution n’est peut-être pas parfaite, mais l’intention est louable.
Toute relation amoureuse saine contient son lot de remises en question. Ça implique de faire confiance à l’autre personne, quitte à ce que cette personne nous déçoive éventuellement et, ultimement, de la choisir malgré ses travers. La bonne personne doit vous respecter et y mettre du sien, bien sûr. Mais c’est aussi celle qui a les défauts avec lesquels vous pouvez vivre. J’en sais quelque chose, ça fait bientôt vingt ans que je file le parfait bonheur avec madame.
Too Much, c’est en quelque sorte une classe en accéléré sur le sujet, à l’aide d’un exemple très rose bonbon. Sur ce plan, c’est quand même réussi. Loin d’être révolutionnaire comme Girls l’a été dans l’ancien monde, c’est un regard intelligent sur un sujet qui serait difficile à aborder autrement que par une mise en abyme colorée, très détachée du réel sur certains aspects et pas du tout sur d’autres.
Qu’est-ce que ça signifie pour Lena Dunham, au juste? Est-ce que Too Much la réhabilite au titre de rassembleuse du petit écran, pour le meilleur et pour le pire? Là-dessus, c’est plus difficile de se prononcer.
J’ai envie de dire non. Que Girls, c’était un produit d’une autre époque et que la plume de Dunham n’a peut-être plus le pouvoir de choquer et de nous forcer à nous remettre en question comme ce fut le cas auparavant.
Maintenant, est-ce que Too Much est le premier pas vers un deuxième acte pour la carrière d’une créatrice qui s’efforce d’être plus sage dans son travail? Bien que les parallèles entre Jessica et son autrice soient clairs (Dunham est mariée avec le musicien britannique Luis Felber), c’est un peu trop édulcoré pour se qualifier à titre de nouveau départ en bonne et due forme.
Bref, je n’ai pas détesté Too Much, mais j’ai dû trimer plus dur que nécessaire pour y trouver mon compte. À une époque où on a constamment 22 séries de retard sur le curriculum culturel, c’est là un péché mortel. Le format oblige à regarder en rafale pour saisir l’entièreté du propos et c’est beaucoup de travail pour le divertissement offert.
Désolé, Lena, mais Too Much ne m’a pas convaincu que ta place devrait être dans un musée.
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