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Tomber, mais pas comme dans la toune de Laurence Jalbert

Par
Catherine Ethier
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Peuple fier, attache ta tuque avec de la broche et tombe. Parce que c’est correct, de sacrer le camp.

Il y a certes saisons plus clémentes à la dignité. Le printemps et son entente tacite avec l’équinoxe pour porter des shorts taille haute en mars. L’été et ses pratiques sandales Teva qui épousent les aspérités du terroir. L’automne et ses chapeaux.

Mais l’hiver, oh l’hiver, c’est mince. Entre dégager dans le même manteau pendant quatre mois (échantillons olfactifs disponibles sur la ligne verte) et changer de couleur de ti-ca’sse tous les jeudis pour te donner le feeling d’être autre chose que scandaleusement misérable, les options se font discrètes comme une maxi-serviette.

– Adeptes de télémark avec passe de cafétéria au Mountain Equipment Coop, ce billet s’adresse aussi à vous. Même si vous exultez furieusement devant toute perspective de m’entretenir goretex, prévention des engelures sur fond de Kumbaya ou de me remontrer vos diapositives de ce weekend de trek-camping d’hiver passé à taquiner le grésil –

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S’accrocher à l’accessoire hivernal relève certes du domaine du profond désespoir; mais entre le moment où tu pénètres dans un café où l’on vient invariablement de sortir une batch de puffs aux fruits qui dégagent un geyser de steam, et celui où tes barniques se tapissent de cette buse équatoriale qui ne commencera à s’éclaircir que par le centre de ta lentille – TRÈS LENTEMENT – donnant à tout coup l’impression au commis que tu portes une carte avec ton adresse, le nom de ta mère et ta clé de maison dans le cou, le fait d’être coiffée d’un élégant bibi de cachemire comme la petite Buissières dans Blanche, ça aide à la contenance. Ça aide.

C’est pourquoi quand j’ai aperçu cet homme bien coiffé, un septuagénaire au torse bombé sous son Kanuk fluffé comme un rêve, l’œil vif et le pas-sautille, traverser la rue en s’accrochant à son pain baguette comme lustre à la chevelure de Pierre Curzi , j’ai reconnu en lui cet esprit guerrier, ce petit moment qu’il avait dû avoir en se regardant dans le miroir du portique en disant: « Herbert, ça va être une sucrée de belle journée. HANG IN THERE ».

Et soudain, comme toute personne heureuse de véhiculer des produits de la boulange quand il fait -30, Herbert a disparu. La chute. Cette violente et chorégraphique mise au tapis agrémentée d’un astucieux coup de bassin qui ne permit pas d’éviter le pire, la baguette et le comb-over qui revole en un menuet qui se termine dans une marre de marde et de neige, sans cette possibilité de se vider une chaudière d’eau sua tête en pointant la patte devant une tablée de juges conquis.

Herbert venait de sacrer le camp sur une plaque de glace.

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Comme le triste (mais nourrissant) spectacle s’est déroulé à quelques mètres de moi, j’ai accouru. J’ai été élevée chez les sœurs: on ne laisse pas bébé dans un coin, mais on ne laisse certainement pas Herbert dans une mare de marde.

Le pauvre homme.

Oh, Herbert n’était pas blessé de son corps dandy, mais plutôt blessé à l’âme. DÉVASTÉ. Une paupiette honteuse d’avoir perdu pied dans l’hiver. Sa gerbille Guertie serait morte qu’il n’aurait pas été si désœuvré.

Je l’aide à se relever et lui redonne sa baguette humectée-brune pendant qu’il se recoiffe dans l’apparente panique que je découvre que la chevelure de ses vingts ans n’est plus.

« Je ne comprends pas ce qui s’est passé », de me confier, après de longues secondes où la détresse sur son visage faisait place à une mélancolie qui aurait certainement décroché un rôle phare dans Downton Abbey, le vieillard à la vertigineuse couette qui ondulait vers l’est, en berne.

IL VOULAIT me donner une explication.
M’envoyer un faire-part à frills avec RSVP pour assister à sa présentation powerpoint, m’éclairant avec graphiques, sondages et pommes au sucre, sur les raisons exhaustives de cet inélégant affront à une promenade pourtant vouée au succès.

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On tombe, en hiver. Vous, Herbert et moi (mais préférablement vous), se fendons, de temps à autre, la chute de reins sur le frimas en sacrant. Toute lutte ou vaillante tarentelle est vaine; quand tu sacres le camp, tu sacres le camp et c’est tout.

Et c’est ben rare que ça ne se passe pas devant la vitrine d’un chic bistro où tout le monde regardait par la fenêtre au moment précis où le trou dans le fond de culottes de tes collants est révélé à l’air frais. C’est comme ça.

Alors pourquoi tant de détresse? C’est-tu SI gênant que ça?

Ça l’est.

Même seule au beau milieu du parc à la brunante, je jette huit regards furtifs pour faire bien sûr que personne n’a assisté À LA GRANDE HUMILIATION de n’avoir su utiliser la force G pour me maintenir sur pattes. Parce que c’est bien connu: seuls les gens bien ne perdent jamais pied (et surtout, applaudissent la chute d’autrui, la moustache pleine de gras de canard).

Le désarroi d’Herbert m’a touchée.

Après m’être assurée qu’il se rendrait intact à son déjeuner des canotiers, j’ai remis mes mitaines et je n’ai fait que deux pas, parce que je n’apprends pas, quand quelqu’un glisse sur une plaque de glace, à contourner le risque. JE FENDS LE VENT AVEC CONVICTION. Ça fait que j’ai sacré le camp à mon tour. Même givre, même marde.

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Et le septuagénaire m’a vue. Je le sais, non pas parce qu’il a couru à mon secours, me tendant sa canne à pommeau d’or et une peau de daim, mais bien parce qu’il m’a envoyé la main avec un rire de Lady Oscar en s’éloignant. UNE JEUNE FILLE AU RIRE DE CRISTAL. Oh! qu’il était satisfait.

Il n’était plus seul.

Et moi, j’ai besoin d’une nouvelle paire de jeans.

La bise.