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Tomber dans la marmite du sumo

Panorama d’une petite communauté en santé.

Par
Jean Bourbeau
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Que ce soit le muay thaï, le lethwei birman ou la lutte sénégalaise, les sports de combat de l’ombre semblent plus populaires que jamais grâce à la proximité offerte par l’internet. Les nombreuses plateformes de diffusion et les lieux de rencontre en ligne se sont démocratisés au cours des dernières années, permettant aux amatrices et amateurs étrangers de nourrir leurs passions en continu.

Avide d’inconnu, je me suis penché sur l’énigmatique scène du sumo. On connaît tous et toutes, du moins en surface, ce sport d’origine japonaise. Deux mastodontes se fracassant l’un sur l’autre au centre d’une large foule à genoux.

Mais qui, au Québec, suit réellement la scène du sumo actuelle? Bien peu, me suis-je dit, dubitatif.

Quelques recherches rapides m’ont toutefois fait réaliser l’étendue de mon erreur en découvrant une communauté locale gourmande de cet art martial millénaire. Je me suis donc empressé de m’entretenir avec ses membres pour mieux saisir l’enthousiasme envers ces géants du Soleil Levant.

Capture d’écran YouTube
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Pour Anthony, natif de Victoriaville, c’est en suivant des balados humoristiques (Sous Écoute, Tu me niaises) qu’il a attrapé la piqûre. « Mathieu Séguin, Philippe Cigna et Jean-François Provençal ont été les premiers à partager leur intérêt et à m’informer sur le sport, raconte-t-il. Après, ça a vite déboulé. J’ai beaucoup navigué et fréquenté des sites pour parfaire mon éducation. »

Un univers fascinant s’est ouvert à lui, bien loin de la caricature habituellement véhiculée. « Nous entretenons une drôle de relation avec ce sport en raison de l’embonpoint des lutteurs, précise-t-il d’emblée. Ils sont considérés à tort comme n’étant pas athlétiques. Bien sûr, ils font osciller la balance entre 250 et 450 livres, mais il n’y a pas de catégories de poids dans le makuuchi, alors pour gagner, il faut se débrouiller, et cela implique une masse difficile à déplacer. »

Capture d’écran YouTube
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Anthony suit activement les honbasho depuis plus de deux ans, mais avec quatorze heures de décalage entre Tokyo et Victo, il se rabat plus souvent sur les résumés des chaînes YouTube que sur les diffusions en direct sur Twitch présentées au petit matin. Une passion solitaire qu’il réussit toutefois à partager au sein d’une collectivité accessible en ligne. « Je n’ai pas d’amis personnels qui suivent le sumo, alors dans mes temps libres, c’est plutôt sur des chats Discord que j’entretiens des échanges », explique-t-il.

Aidés par une démocratisation virtuelle et un intérêt croissant pour la culture japonaise, « les gens comprennent mieux la noblesse qui se dégage du sumo et sa popularité hors Japon est grandissante », estime Anthony

Capture d’écran YouTube
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Pour assimiler les nombreuses subtilités de ce sport très codifié mélangeant rituels traditionnels, prouesses physiques et techniques, une courbe d’apprentissage est inévitable au départ. Mais bien vite, on constate toute la finesse qui déborde de ces sympathiques poids lourds.

Pour gagner un duel, le but ultime est de pousser l’adversaire hors du ring ou que celui-ci touche le sol avec une partie de son corps autre que les pieds. Des paramètres simples qui cachent néanmoins une grande complexité.

Capture d’écran YouTube
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Au téléphone, les fanatiques du sumo me partagent contagieusement leurs connaissances dans un jargon français-japonais désarmant pour les non-initié.e.s, comme vous avez dû le constater un peu plus haut. Pour faciliter la discussion, voici un lexique des termes clés.

Rikishi : Lutteur de sumo professionnel.

Mawashi : Ceinture portée par le rikishi.

Honbasho : Championnat de sumo étendu sur six événements annuels dans différentes villes du Japon, tous espacés par deux mois. Chaque compétition dure quinze jours et demande aux participants quinze combats. L’objectif est de terminer avec une fiche positive de victoire pour grimper au banzouke.

Banzouke : Affiche peinte à la main déployant le classement des lutteurs en makuuchi.

Makuuchi : Première division regroupant les plus grands rikishis, dont le yokozuna.

Yokozuna : Titre exceptionnel, maintenu à vie pour un lutteur ayant remporté un minimum de trois honbasho consécutifs.

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Kimarite : L’une des 82 techniques potentielles pour gagner un duel.

Dohyo : Le ring de 4,55 mètres de diamètre où les athlètes se rencontrent.

Capture d’écran YouTube
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Adepte de sports obscurs, Sébastien suit le sumo depuis environ quatre ans. « J’ai un faible pour les rikishis d’origines mongoles, m’informe-t-il. Ce pays a développé de grands yokozunas, même s’ils sont souvent considérés comme des underdogs au Japon. La force brute de ce peuple est phénoménale. »

Pour ce Montréalais de 41 ans, l’aspect scénique joue un rôle de premier plan dans le divertissement. « On s’éprend du sens de l’honneur, du respect propre aux grandes traditions asiatiques, souligne Sébastien. Le sumo suit un protocole raffiné et strictement défini. Nous sommes témoins de tout un décorum en phase avec la culture nippone. »

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À titre d’exemple, j’apprends que les noms des rikishis sont inspirés de leurs habiletés physiques ou de la nature, tel un animal sacré ou une montagne.

L’un des rituels les plus cinématographiques tient également dans leurs entrées sur le dohyo. Après un spectaculaire lancer de sel pour purifier les lieux, chaque rikishi tapera ensuite du pied et se maintiendra en position devant son adversaire dans une théâtralité que l’on nomme le shiko. Une tactique autant utile pour intimider que pour éloigner les mauvais esprits, manifestant le riche héritage shintoïste implanté dans les mœurs du sport.

Capture d’écran YouTube
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Pour Ismaël, étudiant en enseignement dans la région de Québec, l’une des caractéristiques les plus intéressantes est l’aspect narratif des compétitions. « Les différences entre les opposants; il y a leur physique et leurs kimarite signatures, mais c’est surtout les historiques de combat, la pression de certains duels, suivre l’ascension d’un rikishi ou être ébahi lorsque l’improbable arrive : la défaite d’un yokozuna. »

Il est d’avis que la crise sanitaire et ses longues périodes de confinement ont favorisé l’implantation du sumo autant chez les Québécois.es qu’ailleurs dans le monde. « Il y a une ouverture assurément plus grande, mêlée avec une recherche de nouveauté et d’évasion dans la distraction en ligne. »

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Pour Jeffrey, jeune trentenaire originaire de l’Estrie, le sumo est un prolongement naturel de son intérêt envers les arts martiaux. « J’ai pratiqué le judo et le jiu jitsu brésilien, j’ai suivi la carrière de George Saint-Pierre, bref, j’ai toujours aimé les sports de combat. C’est en naviguant sur internet que je suis tombé dans la marmite. La première fois que j’ai vu une projection par le mawashi, j’étais tellement impressionné », répond-il avec énergie au bout du fil.

Depuis, il visite différentes chaînes YouTube après chaque journée de honbasho. « Au retour du boulot, je regarde tous les matchs avec le même intérêt que d’autres pour le hockey. »

Le plaisir de découvrir une culture aussi vaste semble un trait central et partagé par tous les membres de la communauté rencontrés. « En suivant le makuuchi, tu apprends le vocabulaire, les techniques, les différents styles des rikishis, mentionne Jeffrey. Mon préféré du moment est Terunofuji, le 73e yokozuna, malgré des genoux tout pétés. C’est beaucoup plus que deux monstres en culotte qui se poussent. C’est tout simplement beau à voir. »

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Je ne pouvais pas prendre le pouls de la lutte japonaise dans le paysage québécois sans m’adresser à l’humoriste Jean-François Provençal, devenu au fil des deux dernières années une figure de proue de l’intérêt en vulgarisant d’ailleurs des honbasho en direct.

« C’est super le fun de faire connaître ce sport magnifique, explique-t-il. Je me suis intéressé au sumo alors que j’essayais d’apprendre le japonais. Un ami m’en a parlé. J’ai trouvé ça mystérieux et j’ai voulu creuser pour démystifier toutes ses traditions. »

Le sujet est devenu une thématique récurrente au balado Tu me niaises, animé avec le duo Sexe Illégal (Mathieu Séguin et Philippe Cigna). Un impact assez important dans leur imaginaire pour qu’ils ajoutent le visage de Takakeisho sur leur affiche. « La communauté gravitant autour du podcast a vraiment embarqué. Nous avons décoré le studio avec des banzouke. C’est dans les plans de voyager au Japon et, qui sait, peut-être interviewer un rikishi? » raconte le Montréalais.

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Du sumo, l’humoriste apprécie l’ambiance sereine, et ce, même s’il s’y dégage beaucoup d’action. « Les affrontements ne durent que quelques secondes et c’est le seul sport de combat où le but n’est pas de démolir son adversaire, souligne-t-il. C’est très dramatique, mais respectueux. Le sumo, c’est un roi de la montagne immense avec des personnages qui montent, qui descendent, qui disparaissent. C’est beaucoup d’histoires et de drames à suivre. »

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Des nombreux partisans rencontrés, l’intérêt au sumo de Karl se distingue par la nature de son destin. En 2017, alors âgé de 24 ans, le jeune homme reçoit un diagnostic de sclérose latérale amyotrophique, une maladie dégénérative rare. Aujourd’hui muet et sans fonctions motrices volontaires, nous communiquons par écrit à l’aide d’un logiciel de reconnaissance du mouvement oculaire. Sa passion pour le sumo prend chez lui une dimension inspirante.

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« J’admire leur grande discipline et leur détermination à se dépasser. Ils sont incroyablement musclés et souples. Ces athlètes apprennent à gérer la douleur et à foncer. C’est ce que je veux faire pour le reste de ma vie », m’écrit-il, s’étendant avec honnêteté sur son parcours bouleversant des dernières années.

L’aspect monumental et mystique des lutteurs le rejoint particulièrement. « Ce sont des athlètes extrêmement disciplinés et respectés, souligne-t-il. Comme des demi-dieux. Après tout, le rikishi est la dernière forme de samouraï encore existante. Tant et aussi longtemps que je serai capable, je veux me dépasser et être en mesure de m’inspirer du sumo. »

Je lui souhaite de grandes victoires sur le dohyo de la vie.

Capture d’écran YouTube
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Conscient de n’avoir effleuré que la surface du mouvement, je suis touché par l’amabilité de cette communauté et des sentiments rencontrés. En quittant nos échanges, plusieurs supporteurs m’ont remercié de rédiger un article sur le sumo, un sport ici trop peu connu et porteur de secrets bien gardés.

Le prochain honbahso se déroulera à compter du 13 mars prochain et il y a fort à parier que je ne serai pas le seul à y jeter un coup d’œil intéressé, même si 10 000 kilomètres nous séparent de Tokyo.

Quelques références utiles pour les curieux et curieuses :

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