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Tolérance zéro

Par
Marie Darsigny
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Les fesses posées sur un siège en velours multicolore, je file vers Sherbrooke. Cet autobus est ma prison pendant les deux prochaines heures, pendant que je grignote du bout des lèvres un McMuffin qui goute plus les larmes que le sel. Cependant, une partie de moi est soulagée: c’est aujourd’hui que je vais enfin ravoir mon auto. Mon retour à Montréal se fera donc en chic Saturn plutôt qu’en triste Greyhound.

Trois mois auparavant, j’avais prêté ma voiture à une amie qui devait visiter de la famille dans les Cantons-de-l’Est. Mes amis, pour la plupart, n’ont pas de permis de conduire. Je joue donc souvent à la bonne samaritaine en offrant des lifts par-ci par-là… Mais en juin 2013, c’était la première fois que je prêtais carrément ma voiture à quelqu’un. Pas de chance: pour faire une histoire courte, la personne à qui j’ai prêté ma voiture s’est fait arrêter dans un barrage de police. Son taux d’alcoolémie dépassant de plus de deux fois la limite légale permise, on a saisi la voiture. Ma voiture.

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Flash back au moment du drame. De retour à Montréal après une ride de bus que j’imagine assez glauque, mon amie m’appelle. « Tu es déjà de retour! », que je m’exclame. Elle bafouille, m’annonce la triste nouvelle. Sur le coup, je n’ai pas vraiment réagi. Je suis restée calme. J’étais à la piscine Jarry en train de profiter du soleil. La nouvelle m’est tombé dessus une couche de crème solaire superflue. Bof, j’ai pensé. Ça peut arriver à tout le monde.

Les jours ont passés et je découvrais les inconvénients de ne pas avoir de voiture. Ils étaient somme toute assez minimes… Lorsqu’on habite à Montréal, on peut très bien se débrouiller avec les transports en commun. Sauf que. Chaque fois que j’aurais voulu prendre mon véhicule, j’avais comme un petit pincement au coeur. Une petite crotte, oui. D’ailleurs, je commençais à être de plus en plus bête avec mon amie. Comme si la nouvelle me frappait à retardement, j’étais maintenant fâchée pour vrai. Fâchée que mon auto pourrisse dans une cour Sherbrookoise poussiéreuse, fâchée que mon amie ait osé boire avant de prendre le volant, fâchée contre moi-même d’avoir accepté de prêter mon auto.

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Bien sûr, tout se passe. Mais tout ne se passe pas nécessairement bien. Cette aventure a eu pour résultat de me faire considérer à deux fois ma consommation d’alcool lorsque je conduis. Maintenant, pour moi, c’est tolérance zéro: si je prends mon auto, je ne bois pas. Rien. Nada. J’ai pris cette décision après avoir vécu la saisie de mon auto, oui, mais j’ai aussi réalisé quelque chose. Un détail assez gros, the elephant in the room, qui me semble maintenant énormément absurde.

Le 0.08, c’est demander aux gens de faire preuve de jugement dans un moment où leur jugement est justement altéré.

Certains diront qu’ils connaissent leur limite avec précision: moi c’est trois bières, moi c’est deux drinks, bla bla bla. À mes oreilles, ça sonne comme de la chance. Je trouve qu’il est carrément bébé de vouloir donner une marge de manœuvre aux conducteurs… C’est comme essayer de plaire à tout le monde. Pourrait-on pour une fois mettre nos culottes et dire que conduite automobile égale être à jeun? Il me semble que ce n’est pas très compliqué à comprendre. Suis-je la seule à penser de cette façon?

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Récemment, il y a eu aux nouvelles un énième cas d’alcool au volant ayant causé la mort. Surprise, surprise. Selon le site web de la Société de l’assurance automobile du Québec, contrairement à la croyance populaire, ce ne sont pas les multirécidivistes qui causent le plus d’accidents. La majorité sont des conducteurs qui en sont à leur première effraction. Ça veut donc dire que quiconque se ventant de « connaître sa limite » pourrait être la prochaine personne à faire un mort sur les routes.

Bon. Je ne veux pas trop faire le prêchiprêcha de l’abstinence. À vous de voir, de prendre votre propre décision entre deux brochettes de barbecue et deux Bud Light. Tout ce que je sais, c’est que je ne parle plus à cette amie à qui j’avais prêté ma voiture. Le temps a passé, on s’est éloignées. Mais disons que cette expérience a laissé un goût amer… Comme une bonne IPA bien froide. Une IPA que je dégusterai en paix, avant de prendre un taxi pour rentrer chez moi.