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J’ai mentionné à quelques reprises que j’écrirais en temps et lieux ma propre réponse à l’article «Toi pis ton carré rouge».
L’intention était d’ailleurs fixée dès le moment où j’en écrivais les premières lignes. Toi pis ton carré rouge, ce n’était pas une diatribe apprêtée avec toute ma conviction. Je m’y serais prise autrement si j’avais voulu faire la leçon. Je serai franche : j’ai joué. J’ai joué pour choquer, observer, puis démontrer mon point.
Ceux qui ont fait une lecture perspicace de Toi pis ton carré rouge auront pressenti que la critique visait d’abord et avant tout les dissidences parfois hostiles qui existent au sein de la masse étudiante. Mon but, c’était d’incarner l’animosité non-militante pour voir jusqu’où les gens seraient prêts à aller. Palper la tension, quoi. Si l’article avait été complètement ignoré, ou qu’il avait suscité une réaction générale du genre : « TOÉ prend ton gaz égal!», puis rien du tout, la démonstration aurait échoué. Mais (mis à part certaines exceptions), on m’a servi une réponse aussi énorme que mon affront, autant en bien qu’en mal.
J’ai été abasourdie autant par ceux qui se sont enthousiasmés devant mes propos (et ils ont été très nombreux, vous m’en croirez) que par la bassesse des répliques qu’on a pu m’envoyer. Peut-être était-il évident qu’un affront pareil commanderait des réponses du même ordre, mais pas forcément. Si la barrière d’hostilité entre certains militants/non militants n’existait pas, l’article n’aurait pas eu cet écho. Soyons clair : dans ce cas-ci, je déplore autant ceux qui ont pris mes propos « pour du cash » que ceux qui l’ont démoli à coup de procédés douteux.
Les contre-argumentations aussi généralisatrices ont plut. Le problème, c’est qu’elles étaient sérieuses et structurées selon les réelles convictions de l’auteur, et parfois publiées dans certains médias dits « rigoureux ».
Je veux dire, c’est pas en traitant tous les non-militants de crisse de bourge’ que tu vas les convaincre que t’es pas un ostie de freak! Ça vaut dans les deux sens.
Je voulais démontrer – ou plutôt vérifier – que les couteaux peuvent voler bas entre les étudiants, et que cela morcelle le mouvement dans son ensemble. On ne peut pas aller en guerre avec une armée dont les bataillons se lancent des grenades. J’ai même trouvé éprouvant d’avoir à jouer mon propre cobaye, tant on s’en est pris à moi par des ad hominem qui n’avaient plus rien à voir avec le débat.
Cela étant exposé, j’ai voulu comprendre les causes de cette hargne accumulée de part et d’autre qui gangrène la mobilisation. Dans un long message adressé à Gabriel Nadeau-Dubois, secrétaire aux communications de l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante, j’ai dévoilé mon stratagème et lancé une proposition. En gros, ça se résumait par : « Serais-tu game qu’on jase, mettons? »
Nous nous sommes rencontrés, lui et sa fougue militante, moi et mes réticences, afin de décortiquer cette bête noire qui dresse les étudiants les uns contre les autres à force de dérives démagogiques.
Je lui ai parlé du malaise de l’étudiant ambivalent, de mes expériences négatives avec les « fervents grévistes », du désarroi de l’indécis, du sentiment d’intimidation du non-militant, du mal d’appartenance au mouvement militant…
Il m’a parlé en retour de l’apathie de certains non-militants et de la nécessité d’en recourir à des méthodes radicales, après les efforts de « gradation des actions » déployés depuis 2 ans. Il a mis en lumière la frustration normale de celui qui milite en temps que minorité dans un flot qui s’oppose à lui ou qui l’ignore.
J’ai ensuite déploré le mépris pour la responsabilisation de certains non-militants, et excusé les réflexes d’autruche de certains autres.
Il a à son tour décrié le phénomène de clique qui entrave l’ouverture du militantisme au plus grand nombre, et les préjugés et l’impatience de certains face aux « hésitants ».
Je lui ai parlé du gouffre entre ceux qui se battent et ceux qui hésitent. Il m’a spécifié que l’ASSÉ et autres groupes militants connexes en étaient pleinement conscients, que la question suscitait bien des débats dans les associations, mais qu’il était extrêmement difficile de le franchir; pas faute d’efforts.
Nous avons également dénoncé d’un commun accord les réactions de plusieurs à mon article. Combattre l’affront par salissage facile n’a jamais servi personne. Dans cette rencontre franchement conviviale, les écarts idéologiques ne semblaient plus si infranchissables. Pendant plus de deux heures, nous avons confronté nos idées. J’ai écouté. J’ai appris. Je n’ai pas toujours été d’accord, lui non-plus. Mais un désir de compréhension sincère portait la discussion.
Pourquoi, alors, le débat s’embourbe-t-il lorsqu’on le transpose sur les masses?
Tout au long de la rencontre, un carré rouge était posé sur la table entre mon interlocuteur et moi. Lorsqu’on me demandera de voter la grève, je ne sais toujours pas pour quoi je lèverai le doigt. Mais pour lors, comme acte de bonne foi et par souci d’ouverture au dialogue – quitte à ce que le symbole ne serve dans cette optique qu’à moi – j’ai épinglé un carré rouge sur mon parka.