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« Thigh gap » et autres écarts

Hey girl. As-tu un thigh gap?

Par
André Péloquin
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Oui. Un thigh gap. Pas le nouveau iPhone, ni de la piquette de « Ooouuuh! L’eeespaaace cellier ». As-tu la vraie de vraie sensation du moment? Je te parle du thigh gap. Un espace entre tes cuisses, finalement.

C’est ridicule comme chimère, de fantasmer sur du « vide », non? De bander sur « rien »? Je t’entends aussi me dire « Ce n’est pas un peu niaiseux comme objectif? » Et moi de te répondre : mets-en!

… et pourtant.

Auparavant une obsession surtout présente que dans le merveilleux monde du mannequinat, le thigh gap se répand de plus en plus dans la culture populaire, via les médias (le très couru – et un peu douchebag – portail The Chive va jusqu’à lui consacrer une journée par semaine) ainsi que les réseaux sociaux (de plus en plus d’adolescentes publient fièrement des photos de leurs thigh gap sur Instagram alors que des trolls insultent des modèles qui n’en ont pas sur Twitter). Bien que la morphologie de plusieurs jeunes filles fait en sorte qu’un thigh gap soit impossible à maintenir naturellement, on dénombre tout de même plusieurs sites proposant exercices et régimes drastiques qui peuvent aider à creuser le fameux écart.

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Bien que, selon ses observations, l’effervescence autour du thigh gap n’a pas encore rejoint le Québec, une des instigatrices de la mouvance contre les concours de mini-miss, Léa Clermont-Dion, est loin de prendre ce « vide » à la légère.

Le culte de l’apparence…

« C’est une trace parmi d’autres de l’aliénation auquel on assiste dans notre société », tranche-t-elle en entrevue. « Nous sommes obsédés par notre apparence et il n’y a plus de limites à ce culte-là et le thigh gap en est une preuve flagrante qui nous ramène, encore une fois, au culte de la minceur.» Comme Clermont-Dion vient justement de terminer La revanche des moches, un ouvrage à paraître au printemps qui aborde ce fameux culte de l’apparence, les traces de cette obsession l’habitent toujours et vont bien au-delà de la photo d’entre-cuisse trempée dans un filtre rétro quelconque. «Il se manifeste dans plusieurs aspects de nos vies. On observe des effets de ce culte tous les jours : la chirurgie esthétique, la pilule pour maigrir, l’obsession du gym, toute la variété des régimes, etc. On en vient à ne plus être étonné tant c’est présent et c’est la particularité de ce culte-là : il n’y a plus de limites.» Et à en juger nos flashbacks collectifs de La peau et les os puis la popularité grandissante de sites moussant l’anorexie comme un style de vie cool, on doit malheureusement lui donner raison.

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Du même souffle, celle qui a milité pour ce qui allait devenir la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée, se dit subjuguée par la tendance du moment : « C’est un idéal à atteindre qui n’est souvent pas naturel ou possible. C’est ce qui me “fascine” : pourquoi s’efforcer d’atteindre l’inatteignable? C’est illogique et irrationnel! »

Au-delà des risques physiques que le thigh gap et autres marottes du culte de l’apparence puissent représenter, Léa Clermont-Dion déplore également les séquelles psychologiques que de telles inquiétudes peuvent avoir sur les adolescentes, parce qu’« elles n’ont pas encore le sens critique pour se distancer de tout ça. Je ne dis pas ça pour infantiliser les gens, c’est juste qu’à 10, 12 ans, on ne fait pas encore très bien la part des choses; parce qu’on n’a pas encore assez d’expérience pour y arriver. Pour les jeunes filles de mon âge – 20, 25 ans -, j’crois que ce n’est pas si pire parce qu’on arrive à une certaine autonomie, à un certain sens critique, mais pour des jeunes filles toujours en formation, qui en ont encore beaucoup à apprendre de la vie, elles peuvent voir ça comme un moyen de se faire finalement accepter. Ça, ça me dérange. »

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Et la modernité dans tout ça?
Puis la question un peu bête, mais que je ne peux plus contenir : Léa, comment expliquer que de tels soucis sont toujours présents en 2013 alors que les moyens de se renseigner et de s’émanciper peuvent littéralement tenir dans une poche? « Justement. La prolifération d’information fait en sorte que faire un choix est de plus en plus difficile! », lance-t-elle.

J’avoue qu’elle a raison. Pour chaque site compilant des photos de jeunes filles en bobettes montrant leur thigh gap au nom du clic, par exemple, on retrouve plusieurs pages web dénonçant la mouvance.

« Mais c’est souvent l’information qui domine qui va influencer davantage », rappelle Léa. « Ce qu’on retient à l’époque où se fait cet esprit critique, c’est les ami(e)s et autres élèves qui sont – eux aussi – en contact avec des magazines et des publicités. On a toujours parlé des femmes comme étant le beau sexe ou encore le sexe faible, alors cette vulnérabilité et cette infériorité qu’on nous a inculquée sont toujours présentes, même si nous sommes en 2013 et que l’égalité des droits est acquise. Ces stéréotypes-là se perpétuent toujours et veux, veux pas, ça à de l’influence sur le développement des femmes. Se faire dire “T’es belle!” dès l’enfance peut faire en sorte que, des années plus tard, on est prêtes à beaucoup si on veut plaire. » Ainsi, malgré la présence de penseurs allant à contre-courant – un peu comme Léa Clermont-Dion, justement (NDLR : celle-ci confiera toutefois au cours de l’entretien qu’elle ne s’envisage pas comme un modèle pour la jeunesse québécoise), ceux-ci demeurent dans la marge. Ce qui nous amène donc à l’impact des médias dans tout ce marasme…

Ce soir au Canal Vie : « T’es belle avec ta cellulite »

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« Encore aujourd’hui, la glorification du naturel n’est toujours pas ce qui domine dans les médias. C’est toujours axé vers un désir de plaire et de correspondre à certains standards de beauté ou encore d’être sexy », soupire l’intellectuelle. « Ce que les médias colportent toujours, c’est que les femmes qui sont épanouies sont jeunes, belles – dans le sens qu’elles correspondent à certains critères de beauté – en plus de s’imposer sur la place publique ainsi que sur le marché du travail! Il y a plusieurs façons de s’épanouir en fait, mais ce courant-là demeurant dominant, j’crois, malgré la diversité d’opinions et de perspectives. C’est rare, par exemple, qu’on puisse entendre quelqu’un dire “T’es belle avec ta cellulite” à la télé, disons! »

Puis, bien malgré elle, Léa Clermont-Dion suscitera un vieux hit de Scorpions…

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Bref, selon la militante féministe, il y a bel et bien un vent de changement, autant dans les médias que dans la culture populaire. «Il y a 10 ans, par exemple, je doute qu’on ait eu droit à des pages frontispices de magazines mettant en vedette des femmes un peu plus rondes. Le marché change. Il y a 10 ou 15 ans, on vendait toujours du rêve : un fantasme inatteignable pour les femmes.»

Idem pour le web et les réseaux sociaux que Clermont-Dion voit comme un monde d’extrêmes. «D’un côté, t’as le thigh gap et de l’autre t’as les blogues glorifiant les femmes rondes. On y retrouve de tout.» Et dans ce tout, il y a beaucoup d’opinions.

Ainsi, Clermont-Dion est ravie que plusieurs montent aux barricades pour dénoncer le thigh gap et autres symptômes du culte de l’apparence. Des prises de position qui forcent la réflexion selon elle. « Ça change les perceptions des gens aussi », glisse-t-elle ensuite. « Il y a quelques années de ça, je doute que des projets comme fuckyeahtouchingthighs (NDLR : un Tumblr plutôt « anti thigh gap » où on recense des photos de femmes parfois bien en chair) aient été aussi bien accueillis. Je ne sais pas si c’est seulement dû à notre génération, mais j’y constate une certaine ouverture, un certain “retour” du “naturel” face à “la norme”, la carrière, etc. et ça fait du bien! »

Bref…

Hey girl. T’as pas besoin de thigh gap.

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En attendant, bonne semaine…