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The Ultimatum: quand la téléréalité est tout sauf un divertissement

Entre puritanisme américain et red flags.

Par
Laïma A. Gérald
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« Les ultimatums ne sont vraiment pas un bon moyen d’obtenir ce que vous souhaitez. Ils permettent, cependant, d’avoir les réponses aux questions que vous vous posez. »

C’est là la curieuse prémisse de L’Ultimatum : On se marie ou c’est fini, le dernier dating-show américain à succès de Netflix. Nick et Vanessa Lachey, le couple marié à qui on doit l’animation de deux saisons de Love is blind, encouragent les couples à mettre leur amour à l’épreuve en faisant des rencontres avec d’autres partenaires potentiels.

Autopsie d’une des téléréalités les plus malaisantes et problématiques ever.

L’ultimatum

Commençons par le début. Le principe de la série est aussi simple que cruel (pour ne pas dire cringe) : on nous présente six couples qu’un désaccord profond empêche d’avancer. Cinq couples ne trouvent pas de solution sur la question du mariage, un autre sur celle d’avoir des enfants.

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Pourquoi ne règlent-ils pas leurs différents grâce à la bonne vieille communication ou avec quelques séances de thérapie, vous demandez-vous? Excellente question.

Après cette « rupture » forcée, les nouveaux célibataires vont se dater les un.e.s les autres afin d’en sélectionner un.e avec qui vivre « comme un couple marié»

Selon les créateurs de l’émission, la solution est ailleurs: celles et ceux qui ne sont pas satisfait.e.s de ce que leur offre (ou ne leur offre pas) leur partenaire doivent lui poser un ultimatum, c’est-à-dire se marier ou passer à autre chose. En gros, fais ta vie avec moi ou je te laisse.

Vous trouvez ça weird? Ce n’est que le début.

Pour savoir quoi faire avec leur tendre moitié, les couples passeront par un processus singulier. Tout d’abord, ceux-ci devront se séparer, c’est-à-dire que tout ce beau monde est désormais célibataires.

Après cette « rupture » forcée, les douze nouveaux célibataires vont se dater les un.e.s les autres afin d’en sélectionner un.e avec qui ils.elles devront vivre « comme un couple marié » (trial marriage) pendant trois semaines.

Juste à vous expliquer le concept du show, j’ai un intense mal de tête.

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Comment se fait la fameuse sélection des nouveaux et des nouvelles partenaires? Lors de rencontres informelles autour d’une piscine sur un toit, où tous nos ami.e.s se checkent, roucoulent, flirtent ou eyeroll, c’est selon. Le tout sous les regards jaloux de leurs ex, parce que oui, tout se passe au même endroit.

À l’insu de ces trois semaines d’«essai », chaque participant.e retournera aux côtés de son amoureux.euse initial.e pour essayer de réparer les pots cassés, et décider si oui ou non, ils quitteront l’aventure ensemble (fiancés, bien sûr), ou séparément, voire avec leur +1 de substitution.

Juste à vous expliquer le concept du show, j’ai un intense mal de tête.

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C’est qui dont lui?

Je l’avoue, je suis une fan de téléréalité. J’ai adoré Love is blind, je suis une grande fan d’Occupation double et j’adore en parler.

Pour qu’une téléréalité retienne mon attention, je dois me sentir un minimum impliquée dans la vie des participant.e.s, me sentir concernée par leurs enjeux. Dans The Ultimatum, non seulement je me sens ultra détachée de leur quête, je ne me rappelle jamais de qui est qui.

Est-ce parce que je suis niaiseuse? Est-ce parce que mon intérêt est tellement bas que je scroll mon fil Instagram en regardant la série?

non seulement je me sens détachée de la quête des participant.e.s, je ne me rappelle jamais de qui est qui.

Lucy Mangan, la chroniqueuse télé de The Guardian me confirme que je ne suis pas toute seule. « [Les candidats] sont entièrement interchangeables, donc, à la place, je les ai étiquetés blonks 1-6A/B (les hommes) et blermps 1-6A/B (les femmes). […] “A” dénote la blondeur, “B” dénote la non-blonde et c’est littéralement tout ce qui compte dans ce spectacle. »

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Pour ma part, j’ai dû googler les couples initiaux à plusieurs reprises, en me demandant : « Elle, elle était en couple avec qui à la base? », « Pis elle, est rendue avec qui maintenant? », « C’est qui dont lui? », « Qui a donné l’ultimatum à qui dans ce couple-là? »

Et ça, ça vient de la fille qui peut vous nommer 100% des candidat.e.s de OD Bali par leur prénom et quelques participant.e.s de Loft story 1.

Les jupons du puritanisme américain

Une des premières choses qui m’a frappée en entamant The Ultimatum, c’est l’importance démesurée accordée au mariage, une illustration des vestiges du passé puritaniste des États-Unis. Ainsi, se marier ou passer à autre chose semblent être les deux seules options convenables dans la vie.

Mais pourquoi les candidat.e.s veulent-elles se marier à tout prix?

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Qui plus est, notons l’âge des participant.e.s: la plupart ont moins de 25 ans et sont en couple depuis plusieurs années. D’ailleurs, dans 80% des cas, c’est la femme qui pose l’ultimatum à son chum, qui souhaite préserver sa liberté, ce qui renouvelle le cliché comme quoi les femmes rêvent toutes de romance de happily ever after quitte à être castrante.

Au fil des épisodes, mes questionnements s’accumulent au rythme de mon sentiment de malaise : mais pourquoi les candidat.e.s veulent-elles se marier à tout prix? Et si jeunes? Quelles sont les motivations qui les poussent à mettre en péril une relation au point d’imposer une telle mise en scène (télévisée en plus) à l’être aimé?

Et incidemment : aime-t-on vraiment une personne si on est si pressé.e de lui imposer notre vision de l’engagement, tout en sachant que ce n’est pas la sienne?

Évidemment, c’est tout à fait légitime de vouloir se marier, de fonder une famille, d’adopter un mode de vie plus traditionnel et d’en faire part clairement à son ou sa partenaire. Ceci étant dit, je ne suis pas certaine que la formule de l’ultimatum soit l’avenue la plus saine de le faire, encore moins devant des millions de spectateurs et de spectatrices.

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L’ultimatum: un gros red flag

Dans un article du HuffPost paru en 2018, le psychologue Ryan Howes aborde le caractère toxique de l’ultimatum, qu’il décrit comme une forme de manipulation.

«Si dès les débuts de votre union, vous envisagez déjà une manière aussi violente d’imposer votre volonté, qu’est-ce que cela peut dire de votre avenir?»

« Si dès les débuts de votre union, vous envisagez déjà une manière aussi violente d’imposer votre volonté, qu’est-ce que cela peut dire de votre avenir? Que se passera-t-il si vous êtes ensuite en désaccord sur le fait d’avoir des enfants ou la manière de les élever, vos carrières, ou encore des questions financières (budget quotidien, épargne, placements, héritage)? N’est-il pas préférable de jouer d’entrée de jeu sur la communication et la prise en compte des souhaits de l’autre, au lieu de créer un tel rapport de force? », fait-il valoir.

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La psychologue Samantha Rodman abonde dans le même sens. « Un ultimatum a quelque chose de faux, comme une menace qu’on brandit sans intention de la mettre à exécution. Et qui, dans ce cas précis, révèle un petit côté enfant gâté qu’il serait peut-être urgent de fuir. »

Red flags vous dites?

Pour une approche plus saine, Ryan Howes invite les gens à se départir un brin de l’aspect ultra-romantique de la demande en mariage de princesse et à engager des conversations à cœur ouvert.

« Le moment de la demande [en mariage] ne devrait être qu’une étape d’ordre symbolique, une occasion de célébration, conclut-il. Les discussions de fond sur le désir des deux conjoints de sauter le pas, leur faculté à s’accorder et leur vision de leur vie future doivent se faire bien plus en amont. »

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Comme quoi les schémas dignes de contes de fées et des films de Disney ne sont pas faciles à désincruster.

Bien loin d’un divertissement

D’entrée de jeu, Nick et Vanessa Lachey présentent la télé-réalité comme une « expérience sociale ». Au menu: sexisme, couples dysfonctionnels, chantage affectif, torture émotionnelle, jalousie, mensonge, etc.

Oui, je sais, la majorité des gens regarde ce genre d’émission pour le drama (les rebondissements et les twits, dirait notre ami Jay du Scoop), mais dans le cas de The Ultimatum, ça laisse un goût particulièrement amer.

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Personnellement, je ne me suis pas du tout sentie divertit dans le fait de voir une douzaine de personnes s’utiliser les unes et les autres pour tenter de patcher des relations qui ne fonctionnaient pas dès leur arrivée.

les schémas destructeurs et les comportements problématiques s’accumulent, sans être réellement soulignés ni dénoncés.

Au tout début du huitième épisode, on assiste à une scène particulièrement choquante, où Zay rentre soûl d’un club de nuit, ce qui déplait à Rae, bien décidée à quitter l’appartement. Zay tente de la contraindre physiquement à rester en la saisissant par les bras et par la taille, alors qu’elle lui demande de la lâcher. Sans aucune autre explication ou mention du caractère violent de la situation, la scène se termine sur une musique de suspense puis on passe à autre chose, comme si de rien n’était. Évidemment, de nombreux spectateurs et spectatrices ont été choqué.e.s par la scène.

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Au fil des épisodes, les schémas destructeurs et les comportements problématiques s’accumulent, sans être réellement soulignés ni dénoncés. Le tout, sous le couvert d’une promesse de trouver son happy ending.

Je terminerai cet article avec une citation de la VP d’URBANIA, Raphaëlle Huysmans, recueillie quelques minutes avant d’écrire ces lignes: « Je vois un seul avantage à ce show-là: si tu penses que tu es dans une relation dysfonctionnelle, tu vas vite te rendre compte que ton couple est pas si pire que ça! »