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The Devil Wears Prada: film indémodable ou fast fashion cinématographique?
– Connaissiez-vous ce magazine avant?
– Non.
– Et donc vous n’aviez jamais entendu parler de moi?
– Non.
– Vous n’avez aucune classe, aucun style…
– Ah ça, je pense que ça dépend…
– Non, non ! Ce n’était pas une question!
Si ces quelques répliques résonnent tout de suite en vous, c’est que vous êtes adepte du film The Devil Wears Prada (Le diable s’habille en Prada). Le long métrage, basé sur le roman homonyme de Lauren Weisberger sorti en 2003, souligne ses 15 ans cette année.
Pour l’occasion, on a eu envie de se poser une épineuse question: The Devil Wears Prada est-il un film indémodable ou à classer dans la catégorie fast fashion cinématographique?
«Everybody wants to be us»
The Devil Wears Prada, c’est l’histoire d’Andy Sachs (Anne Hathaway) qui, à sa sortie de l’école de journalisme, devient l’assistante de Miranda Priestly (Meryl Streep) la rédactrice en chef de Runway, un grand magazine de mode new-yorkais.
«Oh, don’t be ridiculous. Andrea. Everybody wants this. Everybody wants to be us»
Si Andy envisage d’abord cet emploi comme un tremplin vers une illustre carrière de journaliste, elle voit plutôt son quotidien régi par les demandes incessantes et les caprices de sa diabolique supérieure.
C’est intéressant de savoir que Lauren Weisberger, l’autrice du roman sur lequel se base le film, a elle-même travaillé chez Vogue en tant qu’assistante d’Anna Wintour, qui en est la rédactrice en chef. Même si elle a nié toute inspiration directe, on ne peut s’empêcher d’y déceler de solides ressemblances.
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«That’s all»
«Dans la société dans laquelle on vit, c’est rare de voir des hommes qui s’identifient à un personnage de fiction quand il est joué par une femme»
Impossible de parler de The Devil Wears Prada sans s’attarder au personnage de Miranda Priestly, incroyablement interprété par Meryl Streep. Si au premier abord, il s’agit d’une femme autoritaire et tyrannique qui clôt toutes les conversations par un glacial «That’s all», l’actrice de 72 ans a récemment offert un autre regard sur le personnage. «C’était la première fois que je jouais dans un film et que des hommes venaient me voir après l’avoir vu pour me dire “Je sais comment vous vous sentez, je sais comment vous vous êtes sentie”. Dans la société dans laquelle on vit, c’est rare de voir des hommes qui s’identifient à un personnage de fiction quand il est joué par une femme», a déclaré Meryl Streep lors d’une réunion virtuelle exclusive à l’occasion des 15 ans du film.
Stanley Tucci, qui interprète le rôle de Nigel, le directeur artistique du magazine, a ajouté qu’en effet «La société nous conditionne très souvent à aborder le monde à travers les yeux des hommes (male gaze), au cinéma et dans la littérature. Selon moi, le film offre une autre vision, un autre regard».
Bien que les méthodes de gestion totalitaires de Miranda Priestly soient pour le moins discutables, c’est vrai que le film offre, pour une des premières fois, un modèle de femme dans une position de pouvoir, dans une industrie majeure.
«Can you please spell Gabbana»
Malgré le côté avant-gardiste (ou «groundbreaking», comme dirait Miranda Priestly) de cette dimension du film et du personnage de Meryl Streep, d’autres aspects ont moins bien vieilli.
«Il y a énormément de fat shaming et de glorification de la minceur dans le film»
«Je me suis dit : donne-lui sa chance, engage cette fille grosse et intelligente» déclarait la tyrannique rédactrice en chef à propos de sa jeune assistante interprétée par Anne Hathaway. Grossophobie, bonjour… L’autrice et scénariste Sarah-Maude Beauchesne s’est d’ailleurs récemment exprimée à ce sujet au micro d’On dira ce qu’on voudra sur ICI Première. «Il y a énormément de fat shaming et de glorification de la minceur dans le film […] ce sont des œuvres comme ça, que j’ai regardées quand j’étais ado, qui m’ont encouragée à vouloir être toujours plus mince» a-t-elle affirmé sans équivoque, qualifiant cette mentalité de toxique et choquante.
Au fil des années, beaucoup de personnes issues du milieu de la mode se sont également exprimées sur le scénario sans jamais trouver de véritable consensus.
«C’est le portrait le plus sincère de la culture de la mode depuis Unzipped»
Hadley Freeman, une journaliste de mode pour The Guardian, avait alors dénoncé «le sexisme et les clichés implicites qui sont ancrés dans les films traitant de la mode en général». De son côté, Charla Krupp, également rédactrice dans le milieu de la mode, avait déclaré: «C’est le premier film que je vois qui coche toutes les cases. Il montre les nuances et les tensions de ce monde, les coups de poignard et le léchage de bottes, mieux que n’importe quel autre film». Ginia Bellefante, ancienne journaliste de mode pour The New York Times, abondait et affirmait que le film constitue «le portrait le plus sincère de la culture de la mode depuis Unzipped (1995)». Ruth La Ferla, sa collègue, considérait cependant que la vision de la mode dans le film était «trop prude et la beauté trop exagérée, ce qui correspondait plus aux années 1980 qu’aux années 2000», ce à quoi Patricia Field, la flamboyante conceptrice de costumes également connue pour le stylisme de Sex and the City, avait répondu: «Mon travail est de présenter un divertissement, un monde que les gens peuvent visiter et où ils peuvent voyager».
Bref, personne ne s’entend vraiment, mais ce qui est certain, c’est que le film a énormément fait jaser depuis sa sortie, contribuant ainsi à son ascension au rang de film culte.
«A million girls would kill for that job»
Si le portrait de l’univers de la mode est central dans les discussions entourant The Devil Wears Prada, un autre débat occupe les fans: qui est le vrai méchant du film? Who is the film’s true villain?
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Selon une frange des adeptes de l’œuvre, il ne s’agit pas de Miranda Priestly mais bien de Nate, le chum d’Andy, interprété par Adrian Grenier. En effet, tout au long du film, celui-ci ne se montre pas très favorable au nouvel emploi de sa douce, lui reprochant de placer sa carrière avant sa vie personnelle. L’acteur s’est d’ailleurs exprimé sur le sujet. «Quand j’ai entendu parler de cette théorie, je ne comprenais pas. Peut-être que je n’étais pas assez mature à ce moment-là, tout comme le personnage de Nate. Je ne percevais pas ses lacunes. J’ai pris le temps d’y réfléchir et avec le recul, je suis d’accord» a humblement affirmé l’acteur de 44 ans. «Dans le scénario, Nate n’a pas évolué mais Andy, oui. Elle attendait plus de la vie, elle avait des ambitions et poursuivait ses buts, concrètement. Il ne l’a pas soutenue dans ses choix, car c’est un jeune homme fragile et blessé» a-t-il ajouté, avant d’encourager tous les «Nate» de ce monde à «Step it up!» et à cesser de mettre des bâtons dans les roues des femmes carriéristes.
«[NATE] n’a pas soutenu Andy dans ses choix car c’est un jeune homme fragile et blessé»
Encore une fois, les critiques et les théories sont loin d’être unanimes. Selon d’autres fans du film, le personnage de Nate tentait plutôt de protéger Andy du comportement toxique de sa patronne et de la mettre en garde devant les risques de l’épuisement professionnel. En effet, certain.e.s considèrent que le film fait l’éloge du travail acharné, qu’il glorifie l’absence de limites dans la sphère professionnelle et glamourise une industrie toxique.
Maintenant, difficile de trancher: le film dénonce-t-il la toxicité du milieu de la mode, de la grossophobie en passant par le zèle et l’intimidation ou au contraire, en fait-il l’éloge? C’est sans doute un peu des deux.
Pour ma part, je compte bien continuer à regarder le film au moins une fois par an, à avoir un faible pour le personnage intense et joliment agaçant d’Emily Blunt, à trouver qu’il s’agit d’une des meilleures intros de film EVER (If you know, you know) et à rêver devant les outfits haute couture dans les rues de NYC quand Andy devient à la mode… avec la petite dose d’esprit critique nécessaire, évidemment.
That’s (almost) all.