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The Darkness nous raconte l’histoire de « I Believe in a Thing Called Love »

Deux décennies après la parution de son premier album, quel regard porte le groupe sur sa carrière?

Par
Billy Eff
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J’ai environ 10 ans et une honte catholique bien instaurée. Pourtant, je n’arrive pas à détacher mes yeux de l’écran, mon cerveau d’enfant n’arrive qu’à se dire une seule chose: « c’est tellement badass! ».

MusiquePlus passe alors pour l’une des toutes premières fois le clip maintenant devenu culte et qui a fait connaître The Darkness au public nord-américain. Dans I Believe in a Thing Called Love, on voit le groupe à bord d’un vaisseau spatial, en train de combattre des aliens, de shred devant un mur d’amplis Marshall et se faire essuyer après un bain par une créature étrange qui fait office de serviette.

On ne savait pas par quel bout le prendre: est-ce que c’était une parodie? On reconnaissait tout de suite les inspirations d’AC/DC, de Queen et de Steel Panther. Le chanteur au look androgyne avait un charisme rock ui transperçait l’écran. Mais avec ce riff si iconique et puissant, ça ne pouvait pas être une parodie: c’était du sérieux, et du lourd. Le rock’n’roll était de retour en grande pompe, et The Darkness en était les sauveurs!

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Je tente de trouver une bûche ou une roche où m’asseoir pour faire mon entrevue, dans un secteur particulièrement foisonnant des forêts de Lanaudière.

« Es-tu dans le bois ou quelque chose? », me demande en riant Frankie Poullain, après avoir réussi à connecter l’audio de son iPad à notre rencontre en visio. Ce n’est certainement pas comme ça que je m’attendais à parler pour la toute première fois au bassiste d’un de mes groupes favoris. Il m’offre un sourire de mansuétude quand je lui explique qu’on est trop de gens sur le même Wi-Fi au chalet, et que c’était mieux de me rendre en forêt pour m’assurer d’avoir du réseau pour conduire notre entrevue.

Son sourire s’agrandit encore plus quand je mentionne qu’on est de Montréal: une ville pleine de bons souvenirs pour le groupe, dit-il. La nightlife montréalaise leur a été clémente, et il a un faible pour les villes francophones, du fait de son héritage français (ben oui toé, Poullain!). Je lui demande également de confirmer une autre anecdote du groupe en lien avec Montréal, un détail sans vraie importance dont je me rappelle de la première entrevue qu’ils ont donnée à MusiquePlus: les frères Hawkins sont aussi de descendance Québ, et un de leurs grand-pères a joué pour les Canadiens!

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Frankie rit encore plus fort quand je lui raconte cette anecdote de voir le clip de I Believe in a Thing Called Love pour la première fois. « Tu iras voir sur Internet si tu peux trouver la première version de cette vidéo qu’on avait faite. C’était quand la chanson est sortie pour la toute première fois, sur un EP qu’on avait fait paraître en 2002. On avait emprunté la caméra d’un ami, et la demeure seigneuriale d’un autre: ça ne nous avait rien coûté, et ça paraît! », me dit-il.

20 ans après la parution de Permission to Land, le premier album studio du groupe, Frankie Poullain se souvient encore très bien du moment qui a précédé leur succès. The Darkness, m’explique-t-il, était pour lui un ultimatum: ça serait le groupe avec lequel ça fonctionnerait, ou ça serait la fin de sa carrière musicale.

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Tout quitter pour le rock

« J’avais quelques années auparavant un autre groupe avec Dan et Justin (les frères Hawkins, respectivement guitariste et chanteur du groupe), qui s’appelait Empire, et qui n’a jamais vraiment connu de succès. Je suis donc allé au Venezuela quelque temps pour essayer de devenir guide touristique, grâce à la compagnie de mon frère », se souvient le bassiste. « Pendant ce temps-là, Justin se faisait un peu d’argent en écrivant des jingles, et Dan travaillait à la réception d’une maison d’édition. Un jour, Dan m’appelle et me dit qu’on devrait se repartir un band. J’ai donc dû prendre la décision: est-ce que je reste sous le soleil du Venezuela, ou je retourne en Angleterre pour essayer de faire du rock? »

C’est un grand pari qu’a pris Frankie en embarquant dans cet avion. Ceux qui sont assez vieux se souviendront du début des années 2000 comme d’une période très fertile pour la musique commerciale, mais surtout dominée par le rap et le R&B. Beaucoup de 50 cent, de Black Eyed Peas, Eminem: très peu de rock, et encore moins de rock’n’roll! Mais, comme disent les Anglais, the proof is in the pudding.

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Très vite, le nouveau groupe formé par Poullain, les frères Hawkins et le batteur Ed Graham attire des foules dans leur Est-Anglie natale. « On jouait chaque show comme si notre vie en dépendait » dit très sobrement Frankie. « Donc non, je ne peux pas vraiment dire que j’ai été surpris qu’on ait du succès. C’était tellement différent de ce qui se faisait à l’époque, le rock britannique était plein de bands très sérieux: Radiohead, Blur, Oasis. On avait tellement de fun à faire notre musique, je crois que ça se sentait, même s’ il y a beaucoup de gens qui ont cru que c’était une blague. »

Fait d’ailleurs corroboré par Nick Raphael, l’ancien dirigeant de Capitol Records, qui expliquait en entrevue qu’il « n’y aurait pas pu avoir moins de buzz autour du groupe. Seulement deux maisons de disques étaient intéressées par eux. L’industrie en général ne les trouvait pas cool. En fait, les gens croyaient que c’était une blague et qu’ils n’étaient pas un vrai groupe. »

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Remettre du fun dans la musique

En tout cas, plusieurs millions d’albums vendus plus tard, personne ne pourrait dire que The Darkness n’est pas un vrai groupe! Même que, sur plusieurs plans, c’était probablement le groupe de rock’n’roll le plus vrai de l’époque…

Car s’ il y a une chose qui a différencié The Darkness des autres groupes de l’époque, c’était leur tendance à ne pas se prendre au sérieux, autant dans leur musique que sur scène et dans leurs clips. Chaque vidéo était de plus en plus inusitée et ridicule, chaque riff était si simple qu’il semblait bête, mais vous restait pourtant dans la tête.

Permission to Land, premier album studio du groupe, s’ouvre avec Black Shuck, basée sur l’histoire d’un chien de l’enfer qui rodait dans le comté de Suffolk, d’où est originaire le groupe. Sans crier gare, on arrive dans un tout autre registre avec Get Your Hands Off my Woman, qui voit Justin flex ses talents de falsetto (et de tombeur). Viennent ensuite les hits, incluant I Believe in a Thing Called Love, une chanson qui leur a valu tellement de succès que beaucoup de gens semblent croire que c’est la seule chanson qu’ils aient écrite.

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« C’est vrai qu’on a eu tendance à se gâter, parfois un peu trop »

Mais il y a une autre toune sur cet album qui m’obsède depuis que je l’ai acheté avec mon argent de poche au HMV: Givin’ Up. C’est, selon moi, la chanson la plus efficace du disque, avec un riff particulièrement accrocheur, simple et résolument rock.

« Tu sais, j’ai écouté cette chanson pendant près de 10 ans avant de comprendre de quoi il était question », dis-je à Frankie, qui part encore à rire.

« Ah ouais, celle-là, c’est vraiment quelque chose! » répond-il. La chanson en question, voyez-vous, ne devrait probablement pas être entendue par un enfant de 10 ans. De manière très crue, le chanteur Justin Hawkins parle d’addiction à l’héroïne, expliquant qu’il renonce. Pas à la drogue, non: à tout le reste. Givin’ up givin’ a fuck. Ça reste l’une des chansons les plus appréciées du public, en live.

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Toutefois, le sujet très sérieux derrière, les problèmes de consommation de Justin, a rendu encore plus rock’n’roll le succès du groupe. « Venant d’un environnement et d’une vie caractérisés par le manque, c’est vrai qu’on a eu tendance à se gâter, parfois un peu trop », concède Frankie.

Le jour qui a suivi la sortie du clip de I Believe in a Thing Called Love a vu la vie du groupe changer à tout jamais. Soudainement, impossible de simplement marcher dans la rue, puisque tout le monde les reconnaît. Même le premier ministre britannique de l’époque, Tony Blair, disait être fan du groupe. En 2004, ils gagnent Meilleur Groupe, Meilleur Album, Meilleur artiste rock, et Révélation de l’année, aux très prestigieux Brit Awards. Ils gagnent aussi un Ivor Novello, l’équivalent d’un Félix ici, et partent en tournée avec certains de leurs groupes préférés, comme Metallica. Ils passent près de trois ans à faire le tour du monde, mais par l’automne 2006, le groupe s’est séparé.

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« Justin a une personnalité addictive, et parfois ça peut exacerber certaines situations », explique Poullain, qui avait quitté le groupe quelques mois auparavant, après l’enregistrement du deuxième album. « Il laissait le succès lui monter à la tête et prenait trop de cocaïne, ce qui selon moi affectait son jugement. De mon point de vue, il délirait. »

« Tous mes rêves sont devenus réalité. C’était les jets privés et les hôtels de luxe. Je me suis acheté des fringues de designers et des guitares hors de prix », expliquait à sa sortie de désintox Justin, à l’époque. « Mais la dure réalité est que quand vos rêves se concrétisent, ils ne deviennent plus spéciaux, surtout quand on est aux prises avec une addiction. »

Il révélait d’ailleurs qu’il dépensait l’équivalent de plus de 1600$ canadiens par semaine sur de la cocaïne. Ses problèmes de drogue, son alcoolisme et son infidélité ont fini par briser son couple avec Sue, qui agissait à titre de manager pour le groupe, ce qui a marqué la fin pour The Darkness, du moins pour un moment. 5 ans plus tard, le groupe se réunit pour quelques concerts, qui finissent par devenir plusieurs nouveaux albums et des tournées partout dans le monde, incluant des dates en Afrique en première partie de Lady Gaga. Ah, et pour remplacer Ed Graham, leur ancien batteur, les gars se sont équipés de Rufus, le fils de leur idole Roger Taylor, de Queen.

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Ces jours-ci, le groupe parcourt le monde pour célébrer les 20 ans de Permission to Land, a réédité l’album et prépare en ce moment un documentaire qui devrait bientôt paraître et, selon Frankie, nous en révélera beaucoup sur le succès initial de The Darkness. Je lui demande en terminant le regard qu’il pose sur les 20 dernières années, et sur le succès de ce premier album. « On a beaucoup grandi et appris les uns sur les autres, on se tape moins sur les nerfs maintenant! On a un meilleur équilibre », dit Frankie Poullain. « Et, surtout, on s’amuse encore! Si on ne s’amusait plus sur scène, si ce n’était plus notre chose préférée à faire ensemble, tout ça ne servirait à rien. »