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Vous habitez en territoire autochtone non-cédé
Jeudi passé, on soulignait la journée nationale des peuples autochtones. Et comme chaque année, ça m’a rappelé à quel point je suis ignorante des réalités des Premières Nations.
Par exemple, c’est seulement il y a quelques années que j’ai appris que la quasi-totalité du territoire québécois n’a jamais été cédée par les autochtones qui y habitent depuis bien avant la colonisation. Ça veut dire qu’il n’y a pas eu de traités signés pour officialiser le transfert des terres vers les colons. Techniquement, donc, si on n’est pas autochtone, on habite presque tous sur des terres qui ne nous appartiennent pas (sauf ceux qui sont touchés par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois signée en 1975). Si je vous l’apprends, ce n’est malheureusement pas très surprenant : ce n’est pas à l’école qu’on enseigne ça.
Une nouvelle pratique tente de nous ouvrir un peu les yeux là-dessus : la déclaration de territoire. Si vous fréquentez les évènements de l’Université Concordia ou les séances du conseil municipal de la Montréal, vous avez sûrement entendu ce court texte lu en même temps que les annonces générales de type « merci de fermer votre téléphone ».
Le contenu peut varier, mais en gros, la déclaration dit : « nous reconnaissons que nous sommes sur un territoire non-cédé, qui appartenait historiquement à [insérer ici nom de la nation qui habitait là où vous êtes]. » Si vous êtes à Montréal, on nommera la nation Kanien’kehá:ka (Mohawk). (Pour découvrir la ou les nations à qui appartient le territoire près de chez vous, vous pouvez consulter cette carte.) Ailleurs au pays, on nomme le traité qui a officialisé le transfert des terres (eh oui, c’est pas mal juste au Québec qu’on n’a presque pas de traités).
De l’autochtone-washing ?
La pratique semble peut-être récente, mais en fait, elle vient directement des autochtones qu’on souhaite honorer. « Les reconnaissances de territoire ne sont pas nouvelles. Reconnaître les relations avec l’espace et le lieu est une pratique autochtone ancienne qui coule vers le futur », expliquait Karyn Recollet, une crie et professeure associée à l’Université de Toronto en entrevue avec CBC l’année passée.
Beaucoup d’autochtones se réjouissent d’entendre la mairesse de Montréal, Valérie Plante, souligner que Montréal est «un territoire autochtone non-cédé».
Beaucoup d’autochtones se réjouissent d’entendre la mairesse de Montréal, Valérie Plante, souligner que Montréal est « un territoire autochtone non-cédé », notamment pour la valeur éducative d’une telle pratique (c’est d’ailleurs grâce à une déclaration du genre que j’ai commencé à m’intéresser à la question).
Pour d’autres, la chose est un peu plus complexe. Ienonh Saka’én:ions, du centre culturel Kanien’keháka Onkwawén:na Raotitióhkwa, sur la rive sud de Montréal, a pour sa part bien peu de bonnes choses à en dire : « Si j’étais à un évènement qui commençait comme ça, j’aurais l’impression qu’on fait juste tourner un couteau dans une plaie. » Elle rappelle que pour les autochtones qui doivent vivre chaque jour avec les conséquences de la colonisation, ce genre d’initiative ne fait que raviver de mauvais souvenirs.
Ce qui soulève la question : à qui s’adresse cette annonce ? Est-ce un message envoyé aux autochtones pour leur signifier que leur présence est aussi importante ? Une manière d’éduquer les non-autochtones à cette histoire mal connue ? Selon Ienonh Saka’én:ions, la déclaration de territoire est plutôt une façon pour les non-autochtones de se donner bonne conscience : « Quel est le résultat ? Ça me semble être encore du vide. »
Qui habitait ici ?
L’année passée, l’ancien maire Denis Coderre a créé une polémique en annonçant que Montréal est sur un territoire Mohawk non-cédé. D’un côté, des historiens ont affirmé que l’île était inhabitée au moment de la colonisation. De l’autre, divers représentants autochtones ont affirmé le contraire, en se basant sur un savoir transmis oralement.
D’un côté, des historiens ont affirmé que l’île était inhabitée au moment de la colonisation. De l’autre, divers représentants autochtones ont affirmé le contraire, en se basant sur un savoir transmis oralement.
Ça met en lumière un autre problème de ces déclarations de territoire : ce n’est pas toujours évident de déterminer quelles nations vivaient où. Plusieurs groupes se disputaient la terre où Toronto a été construite, par exemple. Par chez nous, Montréal était un genre de Manhattan, dit Ienonh Saka’én:ions. Au moment de l’arrivée des missionnaires, « c’était un melting pot qui rassemblait des autochtones de plusieurs nations venus apprendre la nouvelle religion. » On nomme qui dans notre déclaration de territoire dans ces cas-là ?
Passer à l’action
Pour Ienonh Saka’én:ions, les déclarations de territoire, si elles ne s’accompagnent pas de gestes concrets, ne sont que des paroles en l’air. « Les actions parlent plus fort que les mots », dit-elle. Un réel désir de corriger les torts commis envers les Premières Nations devrait se traduire par des changements dans les politiques gouvernementales et, plus généralement, par « la fin de l’oppression et de la colonisation ».
Il y a de quoi être sceptique. Entre les déboires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et l’annonce de la prolongation du pipeline Trans Mountain, plusieurs membres des Premières Nations ont perdu espoir dans le gouvernement de Justin Trudeau, qui s’affiche pourtant comme un allié. Pour Ienonh Saka’én:ions, la déclaration de territoires s’inscrit dans la même lignée : beaucoup de mots, peu d’actions.