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Homme performatif

Tendance 2025 : l’homme performatif sous la loupe

Un phénomène qui met de l’avant nos (nombreuses) contradictions. 

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L’autrice est sexologue. Pour encore plus de conseils éclairés, visitez son compte Instagram et son blogue La Tête dans le cul.

Après brain rot en 2024, on a appris que le mot de l’année 2025, selon les Presses universitaires d’Oxford, est rage bait, soit du contenu visant à faire réagir fortement — et surtout négativement —, sur les réseaux sociaux. Pas étonnant, vu la violence qui caractérise notre époque.

Cela dit, une autre expression aurait pu se tailler une place dans la liste : performative male (ou homme performatif), surtout quand on constate que, dans le top 3 de la maison d’édition de l’université britannique, on retrouve le terme aura farming. Il s’agit d’un mot qui désigne l’art de façonner une image de soi intrigante, sophistiquée et peut-être même un brin mystérieuse, dans le but d’accroître son attrait. Si vous avez entendu parler du performative male, vous comprenez le lien. Mais si vous étiez loin des planètes TikTok et Instagram, voici un résumé.

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CE QU’EST L’HOMME PERFORMATIF

C’est un jeune homme majoritairement hétéro et branché, dont le look — vêtements comme accessoires —, les intérêts, l’attitude et les actions ont une allure de performance.

C’est le gars dans la mi-vingtaine au look décontracté et artsy, mais recherché avec ses pantalons baggy, sa petite laine ou une veste vintage. Il boit un matcha glacé et porte à l’épaule un tote bag d’une marque obscure dans lequel il trimballe un livre de bell hooks.

Il a déconstruit la masculinité et se sent à l’aise de parler féminisme et émotions.

Pour plusieurs, l’ensemble de l’œuvre donne l’impression qu’on a affaire à un personnage qui adopte le costume d’un « nice guy » pour attirer les femmes, plutôt qu’un homme qui, de façon véritable et sincère, embrasse réellement tous ces éléments. C’est, du moins, ce qu’on l’accuse de faire. J’y reviens.

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UNE ÈRE D’ÉCLATEMENT ET DE REMISE EN QUESTION

On le sait, le monde va mal et, partout, tout semble péter. Cela fait en sorte qu’on vit des crises importantes, qu’elles soient financières, politiques, mais aussi identitaires. La masculinité n’y échappe pas.

Pour ma part, je le vois en clinique. De nombreux hommes s’interrogent sur leur manière d’être et d’agir dans une société qui a connu le mouvement #MeToo, mais aussi où la virilité traditionnelle est critiquée et qualifiée de « toxique ». Quels autres modèles sont offerts ? Parce qu’il y a des milliers de façons de vivre sa masculinité, mais, on va se le dire, les figures masculines populaires et connues s’inscrivent majoritairement dans un spectre assez réduit, viriliste et contrôlant.

Cela fait donc en sorte qu’une bonne quantité d’hommes ne se retrouvent pas dans ces carcans rigides et tentent de trouver d’autres façons d’exprimer une masculinité plus saine. De là la volonté de faire émerger des figures masculines plurielles, mais qui, souvent, sont rapidement perçues comme louches ou dérangeantes.

MASCULINITÉS NOUVELLES OU CAMOUFLAGES ?

Golden retriever boyfriend, daddy ou zaddy, babygirl men. Le petit ami qui agit comme un chien, loyal et aimant. Le papa doux, mais ferme, dont l’hétérosexualité va souvent être remise en question. L’homme fillette qui aime bien s’habiller et qui a un côté tout à fait craquant. Ces appellations font toutes référence à différents types d’hommes qui sortent du cadre habituel de la masculinité. Sans surprise, les noms dont ils sont affublés dénotent tous un certain aspect péjoratif.

Car, faire un pas de côté face à la masculinité traditionnelle, c’est souvent prêter le flanc à des attaques et se faire ridiculiser.

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Selon moi, le performative male rentre aussi dans cette catégorie. Puisqu’il présente des caractéristiques associées à la féminité, il est rapidement ridiculisé et, pire, vilifié. C’est un imposteur ; il joue un rôle, il n’est pas sincère, pas « vrai ». Comme si des hommes ne pouvaient pas réellement s’intéresser à ce qui interpelle certaines femmes sans vouloir à tout prix en tirer profit. Cette forme de masculinité et celles nommées plus haut ne sont alors pas tant perçues comme de nouvelles façons d’agir et de penser en tant qu’homme, mais plutôt comme un camouflage adroit. Un leurre du genre : A-HA ! On te voit ! La performance est terminée, le rideau tombe.

Et honnêtement, je trouve ça assez fucked up.

Entendons-nous : après toutes les violences que les hommes ont fait subir et font toujours subir aux femmes, il est normal qu’une certaine crainte soit manifestée. Par contre, ça me semble un dangereux raccourci vers une comparaison avec les fameux pick-up artists, ces hommes masculinistes qui transforment leur haine des femmes en skills pour les avoir dans leur lit.

L’homme performatif me semble pas mal moins nocif, non ?

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PERFORMER, UNE SECONDE NATURE ?

Nous sommes toutes, d’une façon ou d’une autre, en performance. Quand on se lève le matin et qu’on choisit de porter une robe ou un pantalon. Quand on se maquille ou pas. Quand on sélectionne un sac plutôt qu’un autre, parce qu’il fitte mieux avec notre fit. On joue constamment avec ces codes pour redéfinir notre identité et notre genre pour soi-même et, souvent, pour les autres.

Venez me dire que le gym bro ne performe pas. Que les witch girls de TikTok ne stagent pas leur look et leur environnement ? (J’adore, d’ailleurs !)

Que les gens sont 100 % eux-mêmes, alors que tout passe maintenant par l’esthétisation de soi et le branding personnel via les plateformes sociales ? Come on.

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La philosophe américaine Judith Butler l’a théorisé dans Trouble dans le genre, livre paru en 1990, devenu une référence dans les études de genre. Elle explique que la répétition d’actes, de gestes et de discours fait en sorte que le genre devient performatif. Par exemple, les gender reveals sont des rituels de performances du genre. Les mariages aussi. Ce sont des événements au cours desquels on procède à une répétition de scripts genrés : rose égale fille, bleu égale garçon. Homme plus femme égale mariage et famille. Bref, vous voyez le topo.

Alors, pourquoi le performative male serait-il plus performatif que les autres ? Sérieux, j’aimerais bien le savoir.

RIRE DES AUTRES OU RIRE DE SOI

OK, je l’avoue. J’ai souvent rigolé devant des TikToks qui mettent à mal le performative male. Genre ça :

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J’ai quand même souri quand j’ai vu qu’on faisait, ironiquement, des concours d’hommes performatifs un peu partout dans le monde. Cela dit, il reste que les critiques et moqueries cachent quand même une certaine haine des hommes qui veulent s’affranchir des rôles masculins traditionnels.

Dans un essai vidéo fort intéressant, Kal McRaven alias @funkyfrogbait, créateurice sur YouTube, offre l’hypothèse suivante : « Parfois, ce que vous prenez pour un homme [performatif] qui essaie de séduire les femmes est en réalité quelqu’un qui fait ses premiers pas vers la féminité. Parfois, la personne dont on se moque involontairement, c’est soi-même.* »

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En effet, et depuis trop longtemps, on ridiculise tout ce qui se rapproche de la féminité. Que ce soit en voyant les hommes plus féminins comme potentiellement gais ou en questionnement, donc louches, ou en ridiculisant tout ce qui est considéré comme un intérêt féminin. À ce sujet, j’aimerais vous rappeler la levée de boucliers qui a eu lieu lorsque le film Barbie est sorti en salle. Apparemment, c’est ridicule de s’habiller en rose pour aller visionner le film, mais c’est vraiment hot de se vêtir comme un super-héros pour se claquer le dernier bébé de la MCU (Marvel Cinematic Universe) (même s’ils sont pas ben bons depuis un sale bout). Deux poids, deux mesures, hein ?

Match matcha man 🎶**

L’homme performatif aime peut-être le matcha, mais pour moi, il incarne l’équivalent du tant détesté pumpkin spice latte. C’est girly, trop sucré, trop cliché. C’est le breuvage de la basic bitch. La jeune femme ordinaire qui « fail to surprise us », comme l’indique The Cut. La fille « de base » qui ne se démarque pas, qui aime les petits plaisirs simples, fait sa routine au gym et lit des magazines à potins, et ce, non ironiquement. On juge la basic bitch et le performative male sur un élément similaire : la performance offerte n’est pas celle attendue. On brandit aussi l’homophobie d’un côté, le sexisme et la misogynie de l’autre. Fun.

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Bref, comme l’indique Jillian Sunderland, doctorante en sociologie à l’Université de Toronto, dans le média The Conversation :

« [P]eut-être que la tendance “homme performatif” nous renvoie l’image de nos propres contradictions. Nous exigeons de l’authenticité, mais nous consommons du spectacle ; nous supplions les hommes de changer, mais nous les critiquons lorsqu’ils essaient ; nous demandons de la vulnérabilité, mais nous reculons lorsqu’elle semble trop forcée. »

Pour moi, ça dit tout.

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*Sometimes, what you think is a guy trying to perform for women is actually someone taking their first baby steps to performing womanhood. Sometimes, the person you’re unintentionally making fun of is yourself.

** Sur l’air de Macho Man de Village People.

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