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Récemment, on a demandé à nos lecteurs s’ils avaient déjà expérimenté des situations particulières à cause de la loi 101. On a reçu plusieurs histoires, qui représentaient toutes des points de vue bien différents. En voici trois: une courte, une moyenne et une longue.
Jean Archambault, Montréal:
L’histoire se passe le 8 novembre 2011, devant le Restaurant Tandoori Flames, située au 40 Henri-Bourassa Ouest.
Je suis avec un reporter de télévision et son caméraman. Je dénonce l’affichage de ce nouveau restaurant dont le contenu est à 90 % en anglais. J’ai fait 133 plaintes à l’Office québécois de la langue française et le reporter veut voir un exemple de près. Le propriétaire, un pakistanais, sort dehors et je lui demande respectueusement devant la caméra pourquoi il n’affiche pas en français. Le reporter lui demande s’il connaît la Loi 101. Le monsieur commence à s’énerver. Il nous dit dans un anglais laborieux que le Canada est bon pour les petites entreprises et qu’il a le droit d’agir ainsi. Voyant la caméra, il s’énerve encore plus. Il me dit textuellement « Go back to your country ».
Lui, il vient d’arriver au Québec depuis 1 ans, ne respecte pas la loi et me dit que je dois retourner au Québec. Le journaliste n’en revient pas. Mais il décide de ne pas envoyer ces images à son poste de télévision. Je suis outré, car je considère que cette scène confirme que les Québécois n’ont pas le monopole du racisme. Le journaliste dit qu’il va censurer ce passage car si ça passe aux nouvelles, les gens vont être trop révoltés.
Voilà comment on construit un reportage. Un peu de sel, mais on évite la moutarde forte!!!!!
PS: Le pire, c’est qu’au Pakistan, il y a des conflits sanglants sur la primauté de langue entre le pendjabi et l’ourdou dans certaines zones de ce pays.
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Anonyme, Montréal:
Il fut un temps, lorsque j’étais une jeune étudiante fringante, j’ai travaillé un moment dans une boutique de fringues. Une très grosse boutique de fringues. Où tout le monde va. Souvent. Mais dont je vais taire le nom. Cette boutique venait de s’implanter à Montréal, après avoir percé à Toronto, et un peu partout dans le monde. J’étais vraiment excitée d’y travailler.
Dès mes premières formations, je me suis vite rendue compte que les francophones étaient en minorité dans les employés. Genre, que j’étais parfois la seule francophone sur le plancher. Moi, ça me faisait pas un pli, j’étais fière d’être citoyenne du monde moderne et de me prononcer dans la langue du international business. Je me sentais fuckin’ awesome. Je courais d’un bout à l’autre du magasin, walkie-talkie à la hanche, lançant des « copy », pis des « on my way » avec le ton de la fille désinvolte en parfaite maîtrise de la situation.
Un jour, mon gérant, un Torontois fraîchement emménagé au Québec pour veiller à la montée fulgurante de la chaîne dans notre belle province, a entendu parler de la loi 101. Et des amendes. Il a eu la chienne, ou je sais pas quoi. Bref, il est venu me voir, s’informant de mes racines bien en lien avec l’histoire de la Nouvelle France. À partir de ce jour, il me forçait à parler en français dans mon fuckin’ awesome walkie-talkie, même si tous mes autres collègues ne comprenaient pas un mot de ce que je disais. J’étais soudainement la seule à être obligée de parler en français au travail. Oui, pas besoin de noter l’absurdité de la chose. Je sais pas si mon ancien gérant a déjà réussi à comprendre la loi 101.
J’imagine qu’il y a une réflexion qui s’impose avec une telle anecdote, mais j’ai pas encore vraiment trouvé la conclusion à tout ça.
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Anonyme, West Island:
Bonjour,
Je connais la Loi 101 par cœur et l’ai vécue de toutes sortes de manières. Premièrement, je suis pour la Loi 101, mais je suis contre l’ajouter au CEGEP. Je crois que la Loi 101 remplit son devoir parfaitement comme elle existe présentement.
Je suis une francophone qui a grandi dans l’Ouest de l’Île à la fin des années 70. Je suis allée à l’école francophone jusqu’au CEGEP et je suis allée à l’université en anglais. Mon école primaire était publique et plusieurs élèves étaient anglophones et donc issus de la Loi 101. Dans la cour d’école, c’était immanquable, on parlait en anglais. À la maison, je ne parlais que français. Mais dans mon environnement à l’école, dans les commerces, etc. tout se passait en anglais. J’ai beaucoup été taquinée par mes camarades de classe à cause de mon pauvre anglais et surtout de mon accent français. J’ai finalement perdu ce petit accent au secondaire. J’allais à ce moment à une école privée où 50% des élèves venaient de l’Ouest de l’Île et donc, plusieurs de mes camarades du primaire m’ont suivie à la même école. C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point mon anglais était beaucoup plus poussé que la majorité des élèves. Je découvrais que plusieurs ne parlaient pas du tout anglais et étaient encore au stade du cat & dog. Moi, au primaire, on faisait des dictées, des mots croisés, des présentations orales, j’apprenais mes temps de verbes ; des choses que je réapprenais encore au secondaire. À ma grande surprise, on me prenait pour une anglophone et non une francophone. Moi, avec mon accent ?!? Mais à leurs oreilles mon anglais était impeccable. J’ai rapidement été changée en anglais enrichi et j’ai retrouvé mes camarades du primaire. Le tout a créé deux cliques à l’école : les anglos et les francos. Aucune réelle rivalité, mais on ne se mélangeait pas vraiment jusqu’à ce que nous soyons en secondaire 4. Pour une raison quelconque, nous nous sommes finalement tous tenus ensemble. À ce moment, le franglais est entré dans ma vie.
J’ai aussi travaillé pendant un an dans une Commission scolaire anglophone à la Loi 101. J’envoyais les dossiers aux archives pour vérifier l’éducation des parents et ensuite, je recevais les parents directement pour faire l’application du Certificat d’éligibilité à l’éduction en anglais, ce fameux papier dont il faut se prémunir pour aller dans les écoles anglophones subventionnées. J’en ai vu de toutes les couleurs et c’est à ce moment que j’ai compris que cette loi avait sa place mais qu’elle ne plaisait pas toujours; autant aux immigrants qu’à certains Québécois pure laine. J’ai vu des élèves américains arriver à l’âge de 16 ans pensant que leur éducation compterait, mais non, c’est seulement au Canada qu’elle compte. On les envoie dans une classe d’accueil et ils perdent une année d’étude pour apprendre le français. Pourtant, il ne leur reste qu’une seule année au secondaire. On retarde donc leur entrée au CEGEP. Ou, j’ai aussi vu des parents venant des régions du Québec arrivant à Montréal croyant pouvoir envoyer leurs enfants à l’école en anglais pour qu’ils puissent enfin l’apprendre pour leur futur. Et je recevais la réponse : Mais je suis Québécois ! Oui effectivement, mais nous sommes assujettis à cette loi comme tous les résidents du Québec. Je comprenais le désarroi de tous ces parents. Malgré tout cela, je crois encore à cette loi puisque je pense qu’en majorité, elle amène du bien et renforce définitivement le français au Québec. Par contre, je suis tout à fait contre d’intégrer la loi au CEGEP. Après 12 années d’études en français, je crois qu’il est normal pour quiconque de choisir la langue dans laquelle il veut étudier. L’anglais est tout de même la langue la plus parlée dans le monde, la langue du commerce et surtout dans un contexte de mondialisation.
Au cours des années, j’ai vu évoluer mes amis anglophones, malgré que plusieurs disaient ne pas aimer le français, qu’on les forçait à l’apprendre ce qui les rebutait, etc. Moi, je savais bien que si ce n’était pas de cette loi, ils ne l’auraient absolument jamais appris. Arrivés à la maison, ils parlaient tous en anglais et ne pratiquaient leur français qu’à l’école. Des décennies plus tard, tous ces amis ont gardé leur français et reconnaissent que cette loi leur a été bénéfique. Ils se débrouillent tous, certains mieux que d’autres et sont en fait presque tous trilingues. D’ailleurs, quand je retourne dans l’Ouest de l’Île, je me plais de voir à quel point les choses ont changé. On peut se faire servir en français un peu partout, parfois avec un petit accent mais l’effort y est et je suis fière de voir que ma génération est presque entièrement bilingue.
Maintenant, mon bilinguisme me sert tous les jours dans mon emploi, en voyage, etc. Quand j’étais jeune, je trouvais cela difficile mais maintenant je me sens choyée. J’ai été taquinée étant jeune parce que j’avais un accent en anglais. En vieillissant, les francophones pensaient que j’étais une anglo. Maintenant que je n’ai aucun accent dans les deux langues, j’ai vécu les deux regards, les deux côtés de la médaille. Et pour vous dire franchement, chaque côté a ses torts. Je me suis fait traitée autant de « frog » que de « tête carrée ». Il faut aussi se rendre à l’évidence qu’on peut se faire servir en français au centre-ville de Montréal. Les médias diffusent de faux messages aux régions et je suis tout à fait outrée. Je vis au centre-ville et j’y travaille. Je parle toujours en français en premier et je ne peux me rappeler la dernière fois que j’ai rencontré un commis qui ne pouvait me répondre en français. Oui, certains avaient un accent mais plusieurs francophones parlent en anglais avec un accent et je trouve cela normal aussi. Des deux côtés de la clôture, il y a des bornés qui ne veulent pas apprendre l’autre langue. L’effort doit être mis de chaque côté et on doit se respecter et s’ouvrir à l’autre. Je trouve encore cela bizarre que dans le métro, on ne fasse pas les annonces dans les deux langues. Donc, les pauvres touristes ne comprennent rien de ce qui se passe quand il y a des pannes, des bris, des retards, des arrêts de service, etc. Ce sont eux-mêmes qui me l’ont fait remarquer. Je pense aussi que la chicane anglo-franco remonte aux années de mes parents. Il reste du chemin à faire mais j’aimerais enfin que les médias montrent à quel point depuis les vingt dernières années, les choses ont beaucoup évolué et que nous sommes loin de 1976 quand la loi fût instaurée. Peut-on enfin parler de la majorité et non des exceptions qui ne respectent franchement pas la règle ?
Je pense que c’est ce qui fait la beauté de Montréal et qui nous distingue des autres villes du Canada et du monde. Nous devons accueillir cette différence les bras ouverts. Parlons tous les deux langues et soyons-en fiers !!! En tout cas, moi, je le suis !!!
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