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Plus jeune, j’étais toujours celui qui détruisait, qui faisait mal au monde.

Nous arpentons les rues de notre ville, à la rencontre des Montréalais et de leurs histoires

Par
Portraits de Montréal
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1/3 « Il y avait des problématiques avec mes parents donc je n’allais pas très bien, et je n’étais pas un ange. Mon beau-père était un peu colérique, il y avait des coups qui se donnaient… Et quand ma mère a levé la main sur moi pour la première fois, elle a appelé la DPJ et a demandé le placement. On m’a envoyé en Centre jeunesse, ça a pris un an et demi à deux ans avant que je puisse revoir ma mère, parce qu’elle n’était pas prête avant. Et un jour, mon père m’appelle et me demande “T’as le droit aux visites ?” – “Papa, c’est parce que ça fait deux ans que j’ai droit aux visites…” J’ai été de 5 ans à 17 ans et demi en Centre jeunesse. Évidemment quand on a 5-6 ans, on fait juste jouer et on ne travaille pas sur nos problématiques. Ce temps-là, j’aurais peut-être pu plus le prendre à bâtir des liens avec mes parents, parce que présentement c’est toujours ce que je me bats à être capable de retrouver : des liens émotifs avec eux. »

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2/3 « J’ai été diagnostiqué psychopathe. Tout le monde à l’impression qu’un psychopathe c’est quelqu’un qui se promène avec une tronçonneuse dans un centre d’achat. Mais un psychopathe c’est juste une personne qui est en manque émotif. Il y a deux sortes de psychopathes : ceux qui aident, et ceux qui tuent. Présentement j’essaie d’aider du monde via un organisme ; il n’y a pas plus tard que trois jours j’ai aidé trois personnes à ne pas se suicider quand elles avaient des idées noires. J’essaie d’aider le monde du mieux que je peux parce qu’étant plus jeune, j’étais toujours celui qui détruisait, qui faisait mal au monde.

Il y a deux sortes de psychopathes : ceux qui aident, et ceux qui tuent.

La sociabilité… Je ne suis pas nécessairement bon à entrer en conversation avec les autres, alors pour ne pas être mis de côté, c’était “Si vous voulez que je vous rende un service, je peux le faire.” La première fois, on m’a demandé de blesser l’agent de sécurité du Centre jeunesse : j’ai foutu la merde dans l’unité pour que l’agent arrive, et je lui ai cassé un bras. C’est chien à dire, je ne suis pas fier de ce que j’ai fait, mais j’étais à la recherche de moi-même, je voulais éviter d’être mis à part. Je cherchais le contact avec les autres, à ne pas être abandonné. On me disait “Marshal, lui, faut lui faire mal” et je le faisais. Ça me permettait d’être dans un groupe, de ne pas me sentir seul. »

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3/3 « J’ai compté que j’avais 62 marques sur moi. Elles ont toutes été faites dans la même soirée. J’ai honte de ce que j’ai fait, mais je l’assume entièrement. Selon les policiers, j’ai marché pendant 5 minutes pendant qu’ils me suivaient en me demandant de lâcher les couteaux. Je continuais à me faire des marques et je répétais le nom de l’infirmière qui m’avait le plus aidé en psychiatrie. Je suis tombé et je me suis réveillé quatre jours après, hospitalisé et attaché. Présentement, j’ai hâte de partir, mais sans mettre les choses à l’œuvre. Je ne passerai pas à l’acte, mais oui, j’ai hâte de mourir.

J’ai passé 16 ans à souffrir et ça ne me tente pas de continuer à souffrir.

On me dit “T’as plein de choses encore à vivre, il te reste beaucoup de temps devant toi.” Oui, il me reste peut-être encore 50 ans à souffrir. J’ai passé 16 ans à souffrir et ça ne me tente pas de continuer à souffrir. Il y en a qui veulent vivre leur vie au maximum, moi je me dis que si je meurs là, je vais juste me réincarner en autre chose. J’ai beaucoup souffert, et il y en a beaucoup qui me demandent pourquoi je n’ai pas encore lâché prise ou pourquoi je n’ai pas commencé à consommer. Tout simplement parce que j’ai encore la foi à l’intérieur, j’ai encore de l’espoir. Et présentement mon espoir, c’est d’être capable d’éviter à d’autres personnes de dormir dehors, pour qu’ils puissent se sentir bien. Parce que je te le confirme, dormir dehors en hiver, c’est pas confortable ; il fait frette, tu te réveilles avec des engelures, c’est pas super le fun. »

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« Je suis barbier, elle vient de Baltimore, et je la forme pour devenir barbier. »
« Je vais emménager ici, je suis venue visiter car je n’étais jamais venue avant. C’est beau ! »
« Et là je vais lui faire goûter à la poutine ! »

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« Je me sens toujours à l’écart de la société. Aujourd’hui, tout doit aller vite, même à l’hôpital, où je travaille : tout le monde veut que la job soit faite le plus rapidement possible. On veut tous être le top du top, mais je me suis rendu compte que moi je ne voulais pas ça. Je veux juste être moi-même et faire ma vie. Si je peux juste aller chercher mes petits bonheurs, ma vie va être magnifique. Souvent j’ai besoin de m’échapper en faisant de la randonnée ; quand je suis dans la nature, je me ressource, je suis plus à l’aise et je peux évacuer la pression de cette société. Quand tu rentres en ville, ça roule, ça roule, ça roule, il faut toujours fournir, je me sens comme dans une fourmilière. Quand t’arrives dans la forêt, tu n’as plus à penser à rien ; t’as juste le goût de vivre, t’as le goût de relaxer, t’as le goût de juste être qui tu es. »

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1/4 « Ma mère était alcoolique avant de m’avoir, et quand elle a perdu sa job, elle est retombée dedans. Des fois elle était sur le divan, complètement saoule morte, et étant enfant je ne comprenais pas, j’essayais de la réveiller, ça ne marchait pas, alors je jouais toute seule dans ma chambre et souvent je manquais l’école à cause de ça. Ma mère ne prenait plus soin de moi et j’avais une amie qui vivait à côté, je voyais que sa mère prenait bien soin de ses enfants alors je voulais aller vivre avec eux.

J’ai pris des vêtements de poupée, je les ai noués, et j’ai voulu me sauver par le balcon, au 3e étage.

J’ai pris des vêtements de poupée, je les ai noués, et j’ai voulu me sauver par le balcon, au 3e étage. Je savais que ça ne serait pas assez long, mais je m’étais dit que j’allais faire comme la super héroïne Fantomette à la télé, et atterrir sur mes pattes. Ça n’a pas été le cas. Rendu de l’autre côté de la rambarde j’ai pleuré, ma mère s’est réveillée en sursaut, mais elle était à moitié plus là donc elle n’a pas pu m’aider : j’ai lâché, je suis tombée, et je me suis cognée la tête sur le gazon, à deux pouces d’une roche. À partir de ce moment-là, la DPJ a décidé de prendre action, et c’est… Ma tante, je pense… Non. C’est ma grand-mère qui m’a prise en premier. »

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2/4 « En crise de panique, on fait de l’hyperventilation, on est étourdi, on est confus, l’anxiété monte et tout devient flou. Pour que ça finisse, tu serais prêt à tout, fait que, sérieusement, je peux devenir dangereuse. Moi-même je ne sais pas ce qu’il peut se passer quand je suis en crise de panique. J’ai une passion pour les tornades depuis que j’ai huit ans, et je ne voyais pas le lien avec moi ; mais aujourd’hui je comprends que je suis aussi imprévisible : s’il y a des nuages, ça ne veut pas dire qu’il va y avoir de la pluie, s’il y a de la pluie ça ne veut pas dire qu’il va y avoir un orage, s’il y a un orage ça ne veut pas dire qu’il va y avoir une tornade. Tout est connecté, mais pas connecté en même temps. Et une tornade peut toucher terre et remonter, ça peut revenir plus gros, ça peut revenir plus petit, ça peut repartir, c’est imprévisible. Le plus que tu peux prévoir c’est “Il y a des risques de tornades dans 24h”. C’est exactement pareil avec mes crises de panique. »

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3/4 « Ma mère est morte quand j’avais 17–18 ans, mais j’avais déjà fait mon deuil depuis l’âge d’à peu près 12 ans, quand elle ne venait plus me rendre visite les fins de semaine. Je pense que ça été même plus tôt que ça, je ne comprenais pas pourquoi elle n’était plus capable d’être une maman pour moi. À 8 ans je sentais que je la perdais déjà, mais j’avais toujours espoir qu’on redeviendrait une famille heureuse. À partir de 12 ans, j’ai commencé à comprendre qu’elle était malade, et que si elle continuait à boire, c’est vraiment à petit feu qu’elle allait se tuer.

C’est un peu comme quelqu’un qui reste au bord de la porte, et à qui on n’arrête pas de dire “bye”.

La dernière fois que je l’ai vue, c’était après qu’elle ait fait une cirrhose du foie, ou après son AVC je ne sais plus, mais elle était à l’hôpital. Je ne lui ai pas officiellement dit au revoir parce que je ne savais pas combien de temps ça allait durer ; c’est un peu comme quelqu’un qui reste au bord de la porte, et à qui on n’arrête pas de dire “bye”. C’est malaisant. Je lui ai juste dit que je l’aimais. Je suppose que je lui ai dit que je l’aimais, je ne me rappelle même plus. C’est juste triste. Je ne lui en veux pas parce que plus je grandis, plus je la comprends. Je ne pense pas que j’aurais jamais d’enfant parce que j’ai de la misère à m’occuper de moi-même, alors m’occuper d’un enfant… Non. Je ne me permettrai pas qu’un enfant soit malheureux à cause de moi, j’aurais trop peur de reproduire ce qui est arrivé à ma mère. Je suis en paix avec ma mère, mais il faut encore que j’entre en paix avec moi-même. »

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4/4 « Je dessine depuis que je sais tenir un crayon. J’ai toujours eu une connexion avec les cartoons, j’aimais ça écrire des histoires, à tel point que dans la cour d’école les gens ne comprenaient pas : je me mettais tellement dans mes histoires que je faisais des longueurs – et je le fais encore. C’est comme si j’étais dedans, je suis enveloppée ; des fois je peux même avoir des tics nerveux, des réflexes : mettons que j’imagine quelqu’un brandir une épée, je vais faire un geste de la main. Les gens pensaient que j’avais des amis imaginaires. Je fais des longueurs en marchant, et j’entre dans ma bulle. En Centre jeunesse il y avait un corridor, je l’appelais Shawnee Street. C’est un gros reliever de stress, et c’est un moyen de me recentrer sur moi-même. »

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