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T’as abusé de moi parce que tu m’aimais?

Par
Sarah Labarre
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Par les temps qui courent, on entend beaucoup parler, redéfinir, ce qu’est la violence conjugale et ce que sont les abus sexuels. On insiste sur la notion de consentement, ou de refus. On souhaite établir, bien trancher entre le noir et le blanc, ce qui est l’abus ou la violence, sans qu’il n’y ait de zone grise à démystifier. Or, l’affaire, c’est qu’il n’y a rien de jamais tout à fait noir ou tout à fait blanc.

Quand je t’ai giflé
C’est après avoir rempli un questionnaire à propos de la violence conjugale que j’ai vraiment compris ce qui m’était arrivée. Sur 21 questions, j’avais répondu « oui » à 18 d’entre elles. Tout m’est revenu, en flash-back, comme dans les mauvais feuilletons télévisés, mais avec beaucoup, mais beaucoup de zones grises.

Tellement grises, les zones, que presque personne ne m’a crue. Pas même mon père, lorsque quand j’ai enfin pu mettre le mot « violence conjugale » sur cette relation déjà terminée. Mon paternel m’a simplement dit d’arrêter de dire des niaiseries, qu’on ne voulait pas entendre ça, ces affaires-là. Personne ne m’a crue, surtout pas toi, S., qui es passé maître dans l’art d’adapter la réalité à tes propres conclusions. Tu te croyais toi-même.

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Lorsque j’ai voulu m’enfuir, lorsque j’avais ma valise et mes clés de char, lorsque tu me bloquais la sortie pour m’enfermer dans la maison avec tes bras beaucoup plus puissants que les miens, que tu me menaçais pour ne pas que je m’en aille, je t’ai mordu à l’épaule pour que tu me lâches. Ça a fait une marque. Je suis restée à la maison, la mort dans l’âme, alors que tu paradais tes traces de dents à tout le monde pour qu’on sache très bien que c’était moi la “crisse de folle”.

Je t’ai aussi giflé, à deux reprises. La première après que tu m’aies dit que j’étais une mauvaise blonde, et que ma famille et mes amis étaient tous des cons, et donc, que j’étais rien qu’une conne, moi aussi. La deuxième, en voiture, tu m’as gueulé que j’étais rien qu’une idiote et que tu m’avais emmenée à cette soirée juste parce que tu avais besoin d’un lift. Puis tu es sorti de la voiture, t’es allé rire de moi avec tes amis et je t’ai rejoint, t’ai giflé, puis je suis retournée à la maison.

Quand tu t’es autoproclamé mon tuteur
Tu surveillais et contrôlais tout, S. Depuis mes conversations téléphoniques jusqu’à mon accès à Internet. J’ai perdu de nombreux amis à cause de toi, S., notamment parce que tu m’engueulais si je parlais au téléphone avec un homme, et aussi parce que tu te glissais en douce sur mon ordinateur pour couper tout contact avec des copains et copines que tu jugeais trop près de moi.

Tu contrôlais aussi mon argent, S., et t’en profitais, salaud. Avec nos revenus à peu près égaux et notre contribution égale – moitié-moitié – pour payer le toit sur notre tête, tu me donnais 20 piasses par semaine pour l’épicerie et je devais me débrouiller avec le reste. 20 osties de piasses avec lesquelles je devais t’acheter du fromage, des olives, pis de la viande pour ton câlice de chat. Pis quand je voulais faire un beau souper, avec des chandelles pis toute, tu gueulais que ça coûtait trop cher, que c’était trop de trouble, pis qu’y faudrait laver la vaisselle après. Tu préférais manger ton sacrament de poulet pop-corn pis boire ton Pepsi.

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Mais quand il te prenait l’envie de manger quelque chose de plus fancy, je te le faisais avec ce que je pensais être du plaisir, mais il fallait que je le fasse en silence, sans faire cogner les assiettes ou sans faire claquer les ustensiles et les chaudrons, pour ne pas te déranger pendant que t’écoutais Naruto pis la lutte à la TV. Sinon, tu me gueulais après.

Tu gueulais souvent. Tout le temps. Pis maudit que j’étais donc inutile, bonne à rien, connasse, épaisse, bonne à se faire frapper dessus. Tu ne m’as jamais frappée, mais maudit que tu me disais tout le temps que t’allais le faire.

Pis t’aimais me rabaisser. T’aimais rabaisser mon rêve d’aller à l’Université. Quand j’allais travailler, tu gueulais que j’allais perdre mon temps là-bas au lieu de m’occuper de toi.

Quand t’as sali mon corps
Tu n’aimais pas ma crinière de cheveux bouclés, S. Tu insistais pour que je me la raidisse, afin de ressembler à tout le monde. Tu m’as déjà dit, S., que les cheveux frisés, c’est dégueulasse. Particulièrement, tu n’aimais pas que l’on me remarque. Tout vêtement trop coloré, trop ceci ou pas assez cela m’était interdit, parce qu’anyway, je t’appartenais et ma sexualité t’appartenait. Fallait pas que je me maquille, non plus. Astheure que je t’avais dans ma vie, pourquoi faire exprès pour te mettre en colère pis m’attirer les regards des autres hommes? Tu m’interdisais aussi de porter des talons hauts, parce que, de un, j’avais l’air d’une salope avec ça dans les pieds, et parce que, de deux, ça faisait du bruit, et je ne devais jamais faire de bruit.

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Le bruit, ça te dérangeait, qu’il provienne de mes ustensiles, de mes souliers, ou de ma bouche.

Farme ta yeule. Maudit que je l’ai entendue souvent.

Mais tu ne contrôlais pas que mon habillement, mes cheveux ou la hauteur de mes semelles, S. Oh que non. Pendant quelques mois, t’as décidé de contrôler mon vagin, aussi. Les poils, ça t’écœurait, mais juste les miens. T’exigeais un petit con lisse, rose et sans poil, pareil comme dans la porno; tu exigeais que je me le rase chaque jour, malgré le fait que ça m’irritait la peau et que j’en faisais infection par-dessus infection.

J’avais beau t’expliquer qu’il fallait que je prenne des médicaments qui me rendaient malade pour les soigner, mes infections, S., mais tu me disais que tu t’en câlissais. Que mon sexe était dégueulasse avec ses poils et qu’il fallait que je me le rase quotidiennement. Point. Tu surveillais les lames de rasoir comme un parent surveille les brosses à dents des enfants. Il fallait que cela serve, chaque jour.

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Pis à un moment donné, S., t’as aussi décidé de contrôler mes désirs.

Au début, rien ne me semblait anormal. J’avais envie de toi, S. Des fois, même pendant le jour, comme tout le monde, ça m’arrivait d’avoir des envies.

Sauf que toi, dans ta tête, c’était pas comme ça que ça marchait. C’était toi qui décidais où, quand et comment nous avions des rapports sexuels. Durant le jour ou le soir, j’essuyais refus par-dessus refus. J’étais une idiote, une salope, de me frotter su-toé comme ça. Je te touchais pis tu me repoussais. Tu me disais, S., que j’étais trop conne pour comprendre qu’il y avait de la lutte à la TV ou que tu jouais à tes sacrament de jeux vidéo. Pis qu’anyway, toi, t’aimais ça plus tard, le soir.

Plus tard, le soir, ou plutôt, quand j’étais déjà endormie. Tu m’obligeais à me réveiller pour toi et m’imposais tes désirs après avoir refusé les miens toute la journée. Parce que toi, t’aimais ça de même : imposer ton sexe à ta blonde qui est endormie et qui n’en a pas envie, qui aimerait juste dormir. Pis tu me disais, S., que c’était normal que je fasse les actes sexuels que tu désirais, parce que t’étais mon chum, pis j’étais ta blonde.

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Le sexe, entre nous deux, c’était jamais quand JE le voulais. Toujours quand TU le voulais. Veux-tu que je te fasse une confidence, S.? Le 69, j’ai jamais vraiment trippé là-dessus. Pis je te l’ai dit souvent, et tu rétorquais que « Ben non! C’est super le fun! Viens icitte, regarde, tu vas aimer ça. »

Et je le faisais. Je me disais que c’était normal. TA position préférée est devenue NOTRE position préférée.

Et j’ai commencé à punir mon corps. Punir mon corps de ne pas être désirable, et le punir de ne pas être prêt, déjà mouillé trente secondes après l’entrée de ton honorable personne dans la chambre à coucher, et de me faire gueuler après qu’aweille, fais-la ta job, anyway c’pas ça que voulais tout à l’heure, hein?

Ça fait que je me suis mutilée. Longtemps. Ça me calmait. Ça me faisait me sentir vivante. Et quand tu t’en es aperçu, t’as gueulé, encore. T’as gueulé que j’avais intérêt d’arrêter de TE faire ça à TOI.

Quand j’ai rangé la coutellerie

Chers lecteurs, chers lectrices. Des zones grises, il y en a trop. Je ne vous le dirai jamais assez. Elles peuvent sembler insurmontables, surtout lorsque quelqu’un qu’on aime cache notre plein gré sous ses manipulations. Ne faites pas comme moi. N’attendez pas de vous punir le corps à coups de couteau avant de vous poser des questions. Et ne faites pas comme beaucoup font parce que c’est trop facile : croire l’agresseur sûr de lui plutôt que la victime désemparée et souvent décousue.

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Pis toi, S., t’auras pas eu le meilleur de moi-même. Je me le suis gardé, même si, à travers tout ça, la lame du couteau a flirté avec mon épiderme. Lorsque t’es parti, je ne t’ai pas laissé revenir, même si t’essayais de bercer tout le monde d’illusions. C’est terminé, maintenant. Tout est derrière moi, même si je t’en veux encore. J’ai rangé mes couteaux, et ce, pour de bon.

Ah, pis by the way, aujourd’hui, mes cheveux frisés, pis mes poils, pis mes souliers à talons, je les aime en sacrament.