Cet article est paru initialement dans The Main, un média numérique indépendant qui explore la culture montréalaise.
On entend souvent dire : « C’est plus comme avant » ou « c’était mieux dans le temps ».
Et c’est parfois vrai, surtout quand il est question d’une recette. Après tout, c’est difficile de remplacer un maître après qu’il ait fermé boutique. Bien qu’il n’est pas impossible de trouver de nouvelles recrues pour faire revivre un populaire casse-croûte, qu’arriverait-il si les producteurs emblématiques de bagels ou de smoked meat montréalais venaient à disparaître, emportant avec eux tout leur savoir-faire en la matière? Après tout, ce sont des métiers exigeants qui s’efforcent de survivre dans un monde où tout doit être prêt pour la veille.
C’est ce contexte qui fait de quelqu’un comme Matthew Berry une denrée rare. Dans la boucherie de Pointe-Saint-Charles Taglio, qu’il co-possède avec son partenaire David Malka, il redonne vie à un savoir-faire en voie de disparition : une boucherie qui privilégie la patience, la précision et le respect du métier, pour une cuisine qui prend son temps, ne bâcle rien et ne fait aucun compromis.
Là-bas, des viandes maturées et des charcuteries maison sont découpées dans un dédale de chambres froides au style industriel avant d’être déposées dans un élégant comptoir de style deli. On y prépare aussi une variété de sandwichs à la porchetta, des focaccias garnies de mortadelle et de crème de pistache, ainsi qu’un saumon fumé qui s’est déjà taillé une place de choix auprès de la clientèle.
Avant tout, Taglio – avec son deli, sa boucherie et son fumoir – cherche à préserver l’esprit du Montréal d’antan.
Quand la foudre frappe le billot du boucher
Le parcours ayant mené Matthew Berry à Taglio est tout sauf conventionnel. Né et élevé dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, il n’a pas évolué dans le milieu de la gastronomie – jusqu’à ce qu’il soit littéralement frappé par la foudre tandis qu’il faisait des travaux dans une cour.
« Ça m’a forcé à me remettre en question parce que j’ai tout perdu, y compris ma mobilité », raconte Matthew.
« J’ai dû réapprendre à parler et marcher, à lire et à écrire. »
.jpg)
Devant tout recommencer, il est retourné sur les bancs d’école afin d’apprendre à cuisiner, mais c’est le programme de boucherie qui a particulièrement retenu son attention.
« J’adorais le côté artistique des méthodes à l’ancienne », explique-t-il. « Comment les choses se faisaient avant que les épiceries ne commencent à tout emballer sous vide. La boucherie, c’est connaître chaque partie de l’animal – pas juste jeter un filet mignon sur un plateau de styromousse. »
Son apprentissage s’est fait sur le terrain, débutant dans des abattoirs et supermarchés, avant de passer par des institutions montréalaises telles que Joe Beef, 40 Westt et le désormais ferm é La Queue de Cheval. Ces expériences l’ont mis en contact avec des bouchers européens pour qui le métier exige des années de formation, ce qui l’a poussé à approfondir son propre savoir-faire.
« Pour eux, la boucherie n’est pas qu’un travail – c’est un art », se remémore-t-il.
Faire vivre les traditions
Alors que Matthew se lance dans la viande fumée, la scène culinaire montréalaise est en pleine mutation. De véritables instituts fermaient leurs portes, et le plat emblématique risquait de devenir une simple attraction touristique plutôt qu’une véritable tradition.
C’est alors qu’une opportunité s’est présentée à lui : « J’étais à la recherche d’un endroit avec un permis C1 quand un ami m’a parlé d’un vieux restaurant de smoked meat qui était à vendre », raconte Matthew. Cet endroit, c’était Québec Smoked Meat, une institution de Pointe-Saint-Charles qui servait de la brisket à l’ancienne depuis près de 70 ans.
Son propriétaire, Richard Nower, s’apprêtait à prendre sa retraite, et Matthew y a vu une opportunité de préserver quelque chose de spécial.
« Quand j’y ai mis les pieds pour la première fois, j’ai eu l’impression de faire un retour dans le temps », dit-il.
« L’endroit fonctionnait de la même manière depuis des décennies. Il y avait encore les fumoirs en brique d’origine. »
Matthew a repris les rênes, mais pas juste pour assurer la survie de l’endroit. Il l’a transformé pour en faire ce qu’est Taglio aujourd’hui.
.jpg)
Pas de fumée sans feu
Chez Taglio, la viande fumée, c’est bien plus que de la brisket cuite dans un fumoir. C’est un processus. « Il faut de 13 à 14 jours pour arriver au résultat souhaité », explique Matthew.
D’abord, les poitrines de bœuf sont enrobées d’un mélange d’épices à sec, empilées dans des barils et retournées un jour sur deux. Après deux semaines, elles sont à nouveau assaisonnées, puis fumées pendant treize heures avec un mélange de bois de cerisier et de noyer cendré, avant d’être cuites à la vapeur pendant encore trois à quatre heures. « On ne peut rien précipiter », précise Matthew.
Mais la viande fumée n’est qu’un élément du menu en constante évolution de Taglio. « Notre but est de remettre la boucherie de l’animal entier au goût du jour », explique Matthew.
« Chaque partie est utilisée. Le gras est transformé en suif pour la friture, nous faisons nos propres charcuteries, en plus de produire de la nourriture adaptée aux animaux de compagnie. »
Par-dessus tout, ce sont les sandwichs qui font courir les foules. Taglio offre bien sûr le classique smoked meat, mais aussi du rôti de bœuf avec aïoli épicé et oignons caramélisés, de la porchetta maison accompagnée d’aubergines et de sauce aux poivrons rouges, du carpaccio avec ricotta truffée et roquette, ainsi qu’un sandwich à la mortadelle garni de burrata et de crème de pistache.
Puis, il y a le saumon fumé maison. « Le saumon fumé, c’est une tout autre histoire », explique Matthew. « Il m’a fallu trois semaines et dix-huit filets pour trouver la méthode parfaite. Maintenant, nous utilisons uniquement du bois de cerisier et le fumons à froid pendant cinq à six heures. Il développe alors cette saveur riche et profonde qu’on ne peut répliquer. »
Méthodes anciennes, sang nouveau
À l’intérieur de l’établissement, vous ne trouverez que cinq sièges au comptoir. C’est voulu.
« Tout tourne autour de la nourriture », déclare Matthew. « Venez, dégustez un sandwich et repartez avec de la viande pour le souper – ici, il n’y a rien de prétentieux. »
Le tout dans une ambiance à l’italienne, que ce soit à travers la musique ou le design, des touches apportées par les associés de Matthew. Bien sûr, le smoked meat n’a rien d’italien, mais l’endroit est loin de se limiter à ce seul plat.
L’endroit est également en constante évolution. À l’étage, des rénovations sont en cours afin d’agrandir les espaces de stockage et de préparation, le tout dans le but d’éventuellement ouvrir une boulangerie sur place. « On veut tout faire nous-mêmes : focaccia, seigle, un peu de tout », affirme Matthew.
.jpg)
Et pour ce qui est du futur? Matthew affirme ne pas s’inquiéter.
« J’ai la chance de faire ce dont j’ai envie. Je crée des plats, j’aide les gens, et je fais partie d’une tradition. C’est mon but. De demeurer authentique. »
Alors que les institutions de smoked meat montréalaises se tournent de plus en plus vers l’élevage industriel et la production de masse, Taglio se démarque en conservant une approche artisanale. En mettant la main à la pâte et en préparant la nourriture comme il se doit.
***
Suivez The Main pour découvrir le meilleur de ce que Montréal peut vous offrir.