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Ta yeule pis gratte !

Par
Mado Lamotte
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Par un bel après-midi ensoleillé d’été, je suis au dépanneur en train d’attendre depuis déjà un bon dix minutes derrière une bonne femme qui fait sa provision hebdomadaire de gratteux, de 6/49, de Banco et de ché pas quelle autre arnaque de Loto-Québec.

Comme d’habitude quand je vois quelque chose qui dépasse ma compréhension, je peux pas m’empêcher de passer un commentaire.

Excusez-moi madame de me mêler de ce qui me regarde pas, mais vous devriez pas plutôt être en train d’acheter de la bouffe pour nourrir votre famille? Ah, vous êtes divorcée et votre mari s’est sauvé avec les enfants. C’est plate. Ben savez-vous d’abord que si vous mettiez de côté les 20 piastres que vous dépensez chaque semaine pour gagner du vent, vous pourriez vous payer un voyage dans l’Sud avec votre meilleure chum de femme. Pas mal mieux que les 50 piastres et les billets gratuits que vous récoltez par-ci par-là!

Comment ça les voyages c’est juste pour les riches? Pensez-vous que j’étais millionnaire quand j’ai fait mon premier voyage? J’avais 20 ans et chu partie trois mois en Europe avec 1 000 piastres en poche pour me loger, me nourrir, boire et me déplacer d’un pays à l’autre, c’est-tu ça que vous appelez être riche? Comment ça vous êtes trop vieille? On est jamais trop vieille pour voyager madame. L’âge, c’est dans la tête que ça se passe. Et d’abord, quel âge avez-vous? Soixante ans! Ben voyons ma noire, vous êtes dans la fleur de l’âge. Y vous reste au moins 15 ans avant de porter une couche et un bon 5 ans avant d’avoir votre 10 % de rabais le mardi chez Jean Coutu! Savez-vous combien ça fait de semaines ça? À peu près 780 si vous vivez jusqu’à 75 ans. Allez-vous toutes les passer à gratter et attendre que le million vous tombe du ciel?

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Vous êtes ben chez vous? Ben gâtez-vous d’abord! Économisez l’argent que vous dépensez en loterie pour vous offrir une petite sortie, un bon massage, une visite chez l’esthéticienne, un souper au restaurant, une nouvelle robe, je sais pas moi. Pardon? Ben non, elle a rien votre robe, est ben belle. Je dis juste que si vous mettiez de côté l’argent que vous brûlez chaque semaine en espérant gagner un peu de félicité, ben vous pourriez vous payer la traite un peu plus souvent. Vous y gagneriez ben plus qu’en grattant votre ennui sur le comptoir d’un dépanneur.

Ben non, calmez-vous, je dis pas que vous êtes ennuyante. J’essaie juste de vous conscientiser par rapport à la somme d’argent que vous gaspillez chaque semaine et qui pourrait servir à autre chose que de remplir les poches d’un big shot de Loto-Québec qui, grâce à votre 20 piastres et à celui de millions de Québécois, roule en Mercedes et lunche au Toqué alors que vous avez d’la misère à vous payer un hot-dog chez Valentine.

Oui ma p’tite madame. Pendant que vous attendez de gagner le motton, y a quelqu’un qui fait le party avec votre pognon. Quoi! Vous vous en câlissez? Coudon la codingue, ça vous dérange pas de manger de la soupe Habitant pis du Kraft Dinner à la semaine longue pendant qu’un gros dégueulasse avec une tétine dans l’cou pis du poil dans l’dos se la coule douce sur une plage aux Bahamas avec VOTRE argent? NON? Vous méritez juste que je vous frappe avec mon jambon Toupie.

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Ça fait que si j’ai bien compris votre petite mentalité de tricoteuse de pantoufles en Phentex, pour vous le bonheur, c’est de gratter semaine après semaine en attendant que le cash vous saute dans face? Ça vous tenterait pas des fois de vous faire teindre les cheveux chez la coiffeuse au lieu de faire ça dans votre lavabo de cuisine? C’est quoi le rapport? M’en va vous l’dire moé, c’est quoi l’rapport! Si vous preniez tout l’argent que vous dépensez dans vos osti de billets de loterie ben vous pourriez vous la payer la permanente de vos rêves, dans un salon chic de la Plaza St-Hubert. Vous aimez pas ça les cheveux frisés? Ben on s’en côlisse! Là n’est pas la question. J’essaie juste de vous faire réaliser ma chère madame, à vous pis à toute le line-up de tawouins en arrière de moé qui s’en viennent grossir les poches de l’escroc-québec, que c’est pas en passant votre vie à gratter que vous allez pouvoir vous la payer votre patate sucrée avec votre boulette de steak haché!

R’gardez-moi, par exemple, j’ai grandi à Rosemont, mes parents étaient pas riches mais y avait toujours de la mayonnaise sur la table. Pis pas de la Miracle Whip, de la Hellman’s madame. Quand chu partie de chez nous, ben j’en ai mangé des toasts à la mayonnaise, pis j’en ai passé du temps à vivoter, à recommencer ma vie trois, quatre, cinq fois, sans jamais regretter les folies et les mois d’insécurité à vivre dans le rouge et à dormir sur le canapé d’un ami. J’étais pas mal pauvre et j’aurais ben pu dépenser le peu que j’avais en billets de loterie dans l’espoir de voir ma situation s’améliorer. Mais moi madame, quand j’avais 10 piastres qui traînaient dans le fond de ma sacoche, j’me gâtais. Une grosse King Can de Black Label, un sac de chips au dill pickle, un gros livre de mots croisés jumbo pis j’étais au paradis. Être riche, avoir une maison à Westmount, conduire une BMW ou voyager en première classe, ça me servirait à quoi si j’ai raté ma vie? Pardon? Oui j’ai fini. Quoi? Vous v’nez de gagner 2 000 piastres à Loto-Bingo! J’vous cré pas! Montrez-moé donc ça. Ah ben ça parle au yable. Tasse-toé la vieille.

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S’cusez mademoiselle, y vous reste-tu des Loto-Bingo? J’vas en prendre deux douzaines!