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« Ta face me dit quelque chose… » : un moment de malaise qu’on peut éviter

Par
Benoît Lelièvre
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En terme d’aptitude de reconnaissance faciale, on est loin d’être tous égaux. D’un côté, il y a les doués qui n’oublient jamais un visage; de l’autre, ceux à qui il faut se présenter à chaque nouvelle rencontre comme si c’était la première. Quand on est dans le deuxième camp, est-ce qu’on peut s’améliorer?

« J’suis pas bon avec les noms, mais j’oublie jamais une face ». Quelqu’un a peut-être déjà utilisé cette formule en vous regardant, fier de vous avoir reconnu alors que vous avez eu un seul cours de cégep ensemble il y a longtemps. Peut-être même que la personne qui dit ça, c’est vous.

Dans mon cas, c’est le contraire. Je n’oublie jamais un nom. Celui de l’ex manipulateur de l’amie d’une amie de ma copine, entendu une fois il y a dix ans au détour d’une conversation, je m’en souviens encore : Guillaume. Je n’ai jamais rencontré ledit Guillaume, mais même si je l’avais côtoyé à maintes reprises au fil des années, je ne le reconnaîtrais pas dans la rue aujourd’hui.

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Les faces, c’est pas mon fort. Je méprends tout le monde pour une vedette parce que je passe beaucoup trop de temps à regarder des films. L’autre jour, j’ai cru voir Jack Nicholson au volant d’un camion de vidanges. Dans sa version extrême, l’incapacité à reconnaître les visages s’appelle la prosopagnosie et a des conséquences douloureuses. Imaginez ne pas reconnaître vos propres enfants ou faire le saut chaque fois que vous vous regardez dans le miroir…

Clairement, mon cas n’est pas si grave. Mais j’haïrais pas ça m’améliorer un petit peu, ne serait-ce que pour arrêter de confondre mon voisin et le caissier de l’épicerie.

J’ai donc consulté Josh Davis, un professeur de psychologie à l’Université de Greenwich, en Angleterre, qui s’intéresse depuis longtemps aux super-recognizers. Contrairement à moi, les super-physionomistes ont des aptitudes de reconnaissance faciales exceptionnelles. Pour dénicher ces perles rares, Josh Davis a mis au point des tests utilisés notamment par les corps policiers. Ainsi, la police de Londres a réuni en une brigade spéciale ses meilleurs physionomistes, capables de reconnaître un suspect sur une image granuleuse captée par une caméra alors qu’ils l’ont croisé une fois au poste il y a des années.

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Bref, les vrais experts du visage, c’est Josh Davis qui les trouve. Il m’a révélé les secrets les mieux gardés des super-physionomistes… ou presque.

Secret #1 : On naît super-recognizer… on ne le devient pas

« Nos recherches tendent à démontrer qu’une majorité de super-recognizers ont une capacité innée à reconnaître des visages qu’ils n’ont vu qu’un bref instant », m’explique le sympathique professeur avec une bonhomie contagieuse.

Bon, ça commence mal.

«Les personnes ayant fait l’école à la maison et celles avec des parents timides qui sortaient rarement de la maison réussissent moins bien nos tests.»

Il me donne l’exemple de Gary Collins, de la police de Londres. En 2011, il a passé 6 mois à regarder les images des émeutes de Londres captées par les caméras de sécurité et a pu identifier 190 suspects. « Il avait arrêté certains d’entre eux la semaine précédente. Mais d’autres, il ne les avaient pas vus depuis plusieurs années. Peu de personnes ont de telles capacités, mais souvent les super-recognizers ont des enfants et des parents qui le sont également. »

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L’exposition à de multiples visages à un jeune âge fait aussi partie de l’équation, ajoute-t-il. « Les personnes ayant fait l’école à la maison et celles avec des parents timides qui sortaient rarement de la maison réussissent moins bien nos tests. »

Secret #2 : On peut se spécialiser

« Le travail de super-recognizers est contextuel. Leurs exercices de familiarisation ont toujours un objectif en tête », raconte le professeur.

Il me donne l’exemple d’hypothétiques menaces terroristes visant un match de soccer. Disons que la source du danger vient d’Europe de l’Est, l’escouade des super-recognizers procéderait alors à des exercices de familiarisations aux visages russes ou ukrainiens, par exemple. Certains diront que c’est un peu xénophobe comme technique, mais la science et la biologie n’ont jamais prétendu être woke.

« La plupart des suspects identifiés par Gary Collins lors des émeutes venaient de la diaspora caribéenne et jamaïcaine de Londres, une population auprès de laquelle il travaillait depuis plusieurs années », illustre Joshua Davis.

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Secret #3 : Il faut viser le centre

« Les participants de nos études affirment étudier tout d’abord les yeux d’une personne et ensuite le reste », raconte Josh Davis. « Ils garderont également en mémoire toute anomalie comme une cicatrice ou un tatouage. Les super-recognizers, eux, se concentrent sur le centre du visage, juste au-dessus du nez. On croit que ça les aide à absorber le visage complet. »

«Les super-recognizers, eux, se concentrent sur le centre du visage, juste au-dessus du nez.»

J’ai immédiatement mis à l’épreuve ces nouvelles connaissances avec un test en ligne de mémorisation des visages, élaboré par l’Université Western Australia. Il s’agit d’une version plus exhaustive du test conçu par Joshua Davis lui-même pour dépister les super-recognizers. Soixante-douze questions, une centaine de visages et une mission : me concentrer sur le centre du visage.

Résultat?

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60/72! Une note au-dessus de la moyenne, qui se situe entre 30 et 58. Je ne souffre donc pas officiellement de prosopagnosie. La morale de cette histoire : la reconnaissance faciale n’est pas vraiment une science. C’est plutôt un gène. On l’a ou on l’a pas. Cependant, si on sait où regarder et qu’on ne perd pas son temps à analyser les fragments alors qu’on devrait regarder l’ensemble, on peut garder un visage en mémoire plus efficacement.

Mes excuses à toutes les personnes que je vais rencontrer dans un futur proche. Il se pourrait que je vous fixe intensément le haut du nez.