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T-shirt, ou l’histoire d’un dessous qui voulait être dessus

Par
Steve Proulx
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La combinaison de coton ou de laine, boutonnée jusqu’au cou, descendant jusqu’aux genoux, dotée d’une porte arrière pour la livraison de numéros deux. Tel était le sous-vêtement du mâle américain au début du siècle dernier. Rappelons-nous, c’était avant l’entrée officielle du mot «sexy» dans le dictionnaire (1925).

Une légende raconte que lors de la Première Guerre mondiale, des soldats étatsuniens expédiés dans les vieux pays auraient été séduits par leurs homologues français, ou plutôt par leur interprétation du sous-vêtement masculin, composé d’un gilet de corps (de type camisole). La légende n’abonde cependant pas de détails sur le comment ce sous-vêtement français a pu aboutir dans le fourniment des soldats américains, à leur retour chez eux.

Quoi qu’il en soit, la découverte de ce dessous ô combien confortable est une révélation au sein de l’armée américaine. Et comme toute révélation n’est pas bonne à voir, la Marine donne des manches courtes à la camisole française. Avec sa forme en « t », on le baptise « t-shirt ». En 1920, le mot fait son entrée dans le dictionnaire Merriam-Webster.

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Comme la sueur dans le dos d’un gros type, le t-shirt se répand rapidement. Il est d’abord populaire auprès des jeunes hommes en rut, qui le préfèrent à l’antique combine du père Gédéon. Sur les campus, le t-shirt commence même à être porté seul, surtout comme vêtement de sport. Cependant, le temps n’est pas encore venu pour le t-shirt d’officiellement sortir du placard. Mais petit à petit, l’oiseau fait son nid.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, 12 millions de soldats suent dans le sous-vêtement. Et comme les nouvelles des tranchées sont présentées au public américain par le biais des films d’actualités (newsreels) au cinéma, la populace s’habitue tranquillement à la présence du t-shirt, porté sur le torse musclé des « boys » partis mâter du Teuton. Pour les jeunes filles d’âge pubère, cela s’avérait une représentation fort érotique du héros mâle.

La guerre terminée, les hommes rentrés au pays n’abandonnent pas leur t-shirt, qui reprend toutefois son rôle de sous-vêtement. C’est davantage du côté des enfants qu’il gagne en popularité dans la dernière moitié des années 50. On commence d’ailleurs à imprimer des t-shirts aux couleurs des héros de l’époque que son Roy Rogers et Davy Crockett.

Preuve que le t-shirt, en tant que vêtement à part entière, est d’abord l’apanage des enfants, le chroniqueur du Monde, Jacques Cellard, propose (en 1974) le mot « gaminet » comme terme pour éviter l’anglicisme « t-shirt ». Un jeu de mots sensé désigner les t-shirts des gamins. Holà à ceux qui voudraient ploguer le terme dans une conversation afin de paraître cultivé, l’Office québécois de la langue française considère aujourd’hui « gaminet » comme une forme fautive pour remplacer « t-shirt ».

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Mais revenons à nos moutons. Si l’épidémie de t-shirts demeure conscrite à la population infantile pendant quelques années, les choses changent en 1951. Dans le film A Streetcar Named Desire, un certain Marlon Brando déchire au grand écran son t-shirt, dévoilant ses pectoraux (alors montrables). Une brutale allégorie de la masculinité. Dans cette scène classique, le t-shirt, joue son plus grand rôle de décomposition et subjugue l’Amérique adolescente, qui se l’arrache. Cette année-là, 180 millions de t-shirts sont vendus aux États-Unis.

Quatre ans plus tard, une autre star d’Hollywood, James Dean, donne au t-shirt son petit air rebelle dans le film Rebel Without a Cause. Le blouson, le blue-jean, le t-shirt immaculé, voilà désormais l’uniforme officiel de l’adolescent frondeur et ténébreux, prêt à dévergonder les filles de bonnes familles. Mais si le port du t-shirt seul devient socialement accepté, il demeure un vêtement strictement masculin.

Avec la révolution culturelle des années 60 et 70, le t-shirt se dote de nouvelles couleurs. La sous-culture hippie popularise la technique de la teinture au noeud (tie-dyeing) qui consiste à créer des formes circulaires psychédéliques en teignant un t-shirt au préalable enroulé dans une corde.

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Autre révolution des années 60 : de nouvelles technologies d’impression sur textile rendent viable la commercialisation du t-shirt imprimé. Du coup, plutôt que de n’être qu’un symbole générique de la rébellion, le t-shirt devient un espace où le porteur peut exprimer librement ses goûts musicaux ou sa fidélité indéfectible à une marque de bière. Parce que les publicitaires ont rapidement identifié le t-shirt imprimé comme un véhicule médiatique idéal pour mousser leurs cochonneries. Aujourd’hui, des millions de gens se transforment chaque jour en hommes-sandwichs, au grand plaisir des pubistes.

Fin des années 70, le t-shirt dans toute sa diversité est porté par les enfants, les hommes et les femmes. Finalement, le dessous est devenu dessus. Quelles péripéties pourraient encore connaître le célèbre vêtement ? En 1977, l’actrice Jacqueline Bisset, dans le film The Deep, émerge de l’eau en portant un t-shirt trempé, ce qui laisse évidemment transparaître les protubérances sensuelles de ses mamelons en érection. Et un autre tabou était tombé.

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Les historiens des choses humides lient souvent cette scène du film The Deep à la naissance des concours de wet t-shirts. Ces compétitions amicales mettent en scène un panel de naïades vêtues d’un t-shirt. Celles-ci se faisant asperger d’eau, la réaction chimique entre le liquide et le textile crée une semi-transparence qui dévoile, sans dénuder, les attributs mammaires des concurrentes. Dans une ambiance bon enfant, un regroupement de jeunes hommes est ensuite invité à apprécier le volume, la tenue et l’aspect général des glandes qui leur sont ainsi présentées.

Après la morosité des années 80 sur le plan des idées révolutionnaires, les années 90 sont marquées par un renouveau militant. Avec la mode grunge, le t-shirt retrouve sa vocation rebelle. La grosse mode : travestir des logos de multinationales pour leur faire dire à peu près n’importe quoi. Un classique du genre demeure le « M » de McDonald’s suivi de la mention « Marijuana ».

Et aujourd’hui ? On peut facilement déduire qu’un jeune qui porte un t-shirt arborant le visage du « Che » n’a pas voté pour Jean Charest. Que celui qui porte un t-shirt « Jesus is my homeboy » est probablement athée, tout comme n’a jamais lu No Logo de Naomi Klein celui qui revêt un t-shirt signé Nike. En outre, celui qui porte un t-shirt de Harvard n’a probablement jamais étudié à Harvard (au contraire de celui qui porte un t-shirt de l’UQÀM).

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Certes, le t-shirt est désormais un vêtement dont le port est généralisé. Mais il est surtout, et plus que jamais, une extension de sa personnalité…