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Survivre au West Edmonton Mall
Les centres commerciaux me gossent. Ils m’exaspèrent pour une infinité de raisons insignifiantes. En général, je les évite comme la peste, mais évidemment, dès que l’on mentionne Edmonton, l’infâme West Edmonton Mall s’impose dans la conversation. « Va au gros centre commercial », chantent les voix à l’unisson.
Chose dite, chose faite. Me voilà face au final boss des centres commerciaux d’Amérique du Nord : 5,6 millions de pieds carrés, 900 échoppes. Le mastodonte. Le Louvre des centres d’achats.
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De l’extérieur, ce n’est pas si impressionnant, c’est même plutôt hideux. Mais mon entrée, choisie au hasard, débouche sur l’allée des restaurants. Pas un banal food court, mais de véritables restaurants entiers. Ça donne le ton et décrit bien la bête : ici, tout est démesuré.
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Enfant détraqué du capitalisme, le West Edmonton Mall est une mosaïque de commerces si vaste qu’elle en devient abstraite, comme un rêve engourdi en plein nuage publicitaire. On y retrouve certes les classiques : Dynamite, Gap, Steve Madden et toute la compagnie, mais aussi un aquarium avec des lions de mer, un galion pirate, une piste de karting, un cinéma, un mini-golf… Je continue? Une tyrolienne, une arcade, une patinoire transformée en salle d’exposition. C’est à la fois un cauchemar et un continent d’amusement.
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Au détour d’un couloir, un gigantesque parc aquatique. No big deal. Une piscine à vagues, un bowling, un karaoké, un stand de tir, une chapelle pour se marier, des montagnes russes. Crisse, un magasin de Lego, de l’aquamassage, une boîte de nuit. Qui vient clubber dans un centre d’achat? Il y a aussi un concessionnaire de voitures, des trampolines, un gym, une épicerie, un casino.
Un vertige noyé dans l’odeur de pizza-pretzel.
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Le West Edmonton Mall se dresse, imposant, tel un gigantesque bouton sur le visage des Prairies, mais aussi comme un monde en soi. J’ai arpenté 4,2 kilomètres de ce labyrinthe babylonien, véritable carrefour des cultures du monde entier. Ici, des Ghanéens savourent du tandoori, des Bangladais se régalent de souvlakis, tandis que des Ukrainiens dégustent des takoyakis. C’est la prodigieuse victoire d’un nouvel Occident unifié sous les bannières Nike, Gucci et Popeye’s Famous Fried Chicken. On y avance comme à travers notre époque, entre cosmopolitisme éclatant et consommation démesurée.
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Je croque un Éthiopien en costume traditionnel oromo, son poignard afar à la taille. Derrière nous, un père bodybuilder, moustache en handlebar et bottes de cowboy. Au « West Ed », turbans et lèvres surgonflées se côtoient. Des femmes en niqab croisent des trans goths tandis qu’un remix de I’m Blue résonne dans les haut-parleurs. Délicieux.
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Bien sûr, comme tout bon centre d’achat, il évoque un quétainisme qui ne s’assume pas. Entre aréna et mini Vegas, on trouve de tout, même des gens bien de chez nous : « Eille Renée, j’vais être au Foot Locker », universellement québ.
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Une file monstre pour du Tim Hortons en fin d’après-midi, alors que la ville compte le deuxième plus grand nombre de Timmy’s au monde. Je ne comprendrai jamais le Canada.
Avec autant de monde, il n’est pas étonnant que ce soit l’attraction touristique préférée des Albertains.
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Étrangement, je dois admettre qu’on s’y sent bien. Le toit vitré baigne les allées d’une douce lumière naturelle. Les grands espaces de divertissement créent des repères, offrant une orientation surprenante pour un centre commercial. Ce que je déteste habituellement dans ces lieux, c’est cette sensation de perte et d’errance. Mais ici, on sait toujours à peu près où on est, et jamais à la fois.
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Le poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson, point d’origine de la ville, semble avoir éclos, 229 ans plus tard, en ce temple difforme du consumérisme. Des fourrures de castor aux sacoches Louis Vuitton, l’évolution est charmante.
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Je marche, marche encore et encore, maudissant l’énormité de cet endroit. Chaque fois que je me dis : « Ah, ce n’est pas si grand », une nouvelle aile s’ouvre devant moi, aussi immense que décourageante.
Me voilà à nouveau devant l’allée des restaurants. Quatre heures se sont écoulées. Pas déçu, mais épuisé et rassasié sans rien avoir acheté.
Hopefully, see you never again. (Dit avec l’accent GSP.)