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Survivre à La Ronde

Retour vers le futur... horrifique

Par
Marilyse Hamelin
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Ça faisait un bout de temps que j’avais envie de retourner à La Ronde. J’y ai passé l’été de mon secondaire 2, en 1994, dans le temps où détenir une passe saisonnière n’était pas un privilège réservé aux petits bourgeois (et qu’arborer une sorte d’afro long était dans l’ordre des possibilités pour moi et mes cheveux désormais fins et mous). C’est un de mes plus beaux souvenirs de jeunesse (La Ronde, pas les cheveux).

Crédits photo: Marilyse Hamelin
Crédits photo: Marilyse Hamelin

Tôt le matin, une fois mon sandwich garoché au fond de mon sac à dos, je me tapais 45 minutes de marche de l’appartement de mon père sur la rue Saint-Jean à Longueuil en direction de la station de métro du même nom (la carte de bus de l’ancienne STRSM, c’était pour les gosses de riche). Au moins, j’avais ma passe de la STCUM (aujourd’hui STM) et pouvais me rendre à la station Île-Saint-Hélène (aujourd’hui Parc Jean-Drapeau) pour rejoindre ma chum Rebecca (Allo!) qui, elle, partait du métro Beaudry.

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Une fois sur place, on raffolait des manèges qui nous étourdissaient ou allaient vite (mais pas trop quand même), comme le Mont Blanc et la Disco Ronde, ou qui montaient haut dans les airs, comme les Papillons et la Grande Roue. Allez savoir comment, mais on finissait par y passer des journées entières à toujours faire les mêmes affaires. Il faut dire que les trois quarts du temps se déroulaient en file à attendre, mais on s’en fichait, on était pleine de rêves de jeunes filles et on bavardait non-stop.

Le temps a passé, je n’ai plus revu ni la Ronde, ni Rebecca, pendant de nombreuses années.

Et puis voilà qu’en début de semaine dernière, j’apprends l’existence de la soirée de lancement du Festival de la frayeur, qui promet des DJ, des gens déguisés, de l’alcool et (certains) manèges ouverts. Attaboy! La Ronde + pas de canicule + pas de foule + pas de files interminables + Halloween = promesse d’allégresse totale en ce qui me concerne.

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Sauf qu’au fil des ans, j’ai développé des troubles à peine légèrement incapacitants, tels que le vertige et la phobie des transports. Malgré tout, deux décennies et des poussières plus tard, le désir nostalgique de revoir mon terrain de jeu d’autrefois était tenace et, d’ordinaire, j’essaie de céder à mes envies le plus possible, même quand je crains le pire, comme de faire une syncope juste en passant le tourniquet d’entrée.

Excursion post-apocalyptique

Une fois sur place, j’ai découvert un parc d’attractions quasi désert, plongeant doucement dans la brunante. Superbe décor pour accueillir une armée de zombies digne de la série The Walking Dead, qui ne s’est pas fait attendre en prenant un malin plaisir à surgir de partout, au moment où l’on s’y attend le moins. Ouais, bon, c’est relax han… (Non, pas vraiment!)

Crédits photo: Marilyse Hamelin
Crédits photo: Marilyse Hamelin
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Mais, hého, j’avais prévu le coup. Je me suis rendue à la soirée en compagnie de la personne la plus placide que je connaisse, mon amoureux. Malgré sa présence rassurante, après avoir croisé de manière impromptue qui Freddy Krugger et ses ciseaux, qui Jason et sa machette, tantôt un énorme troll sorti du pays de Mordor et autres troublantes créatures non identifiées, comme cette impressionnante mariée cadavérique, j’étais légèrement sur le qui-vive.

Crédits photo: Marilyse Hamelin
Crédits photo: Marilyse Hamelin
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Pour tout vous dire, je me suis cachée quelques fois derrière des kiosques de nourriture barricadés pour l’hiver (une fille a le droit de se faire oublier, non?) et j’ai bien ri de voir mon homme, au loin, se rendre compte à retardement qu’il parlait tout seul. Non, mais, c’est quoi de faire quelques microdétours quand vient le temps d’éviter Leatherface et sa tronçonneuse entamant l’effrayant ballet final du film culte de 1974, je vous le demande?

Bon, je le sais que c’est nono d’embarquer à ce point-là, mais, en même temps, je suis la fille qui hurle encore quand Norman Bates poignarde Marion Crane sous la douche dans Psycho. Au fond, tout ça, c’est des plaisirs coupables d’adulescent, comme le fait de faire un tour de Disco Ronde au son de la musique d’ouverture de The Shining, mon film préféré ever. C’était juste parfait (quoique un peu étourdissant, oui). C’est là que, prise d’un enthousiasme aussi subi que débordant, j’ai lâché : “En plus, c’est la première fois que je bois de la bière à la ronde!”

Mon chum de répondre : “En servent-ils ici d’habitude?”

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Moi : “Aucune idée, la dernière fois que je suis venue, le gros fun c’était de manger ses McCroquettes en essayant d’éviter les chiasses du nuage de mouettes.”

Les décennies passent, les plaisirs changent.

Pour moi, devenir adulte, c’est mener une lutte de tous les instants pour conserver une certaine part de magie dans ma vie et ne pas y arriver, la plupart du temps. C’est aussi constater que l’espace rétrécit (“Quoi! C’est pas plus grand que ça La Ronde?”).

Oh, je ne vous dirai pas que j’ai bravé l’interdit en franchissant les cordons de sécurité qui délimitaient la zone ouverte aux visiteurs pour la soirée en vue d’explorer la totalité du parc d’attractions, parce que je ne FERAIS JAMA’ ÇA. J’ai pu 13 ans. Voyons.

Pas plus que de fureter entre les attractions désertes en faisant des bonds de ninja pour éviter les lampadaires, pendant que mon chum marche calmement quelques mètres en arrière, une brindille à la commissure des lèvres, en lançant des “Sérieux, arrête. T’as juste l’air ridicule!”.

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Inquiétez-vous pas, l’honneur est sauf, vu que j’ai PAS fait ces choses. (D’oh!)

Hum, hum. Devenir adulte, c’est aussi constater que le temps raccourcit et que les tours de manèges ont vraiment l’air de durer 15 secondes (à mon grand soulagement de poltronne, je vous l’accorde). Parmi les six manèges ouverts ce soir-là, la Disco Ronde était pas mal ma seule option. Parce que de m’envoyer en l’air avec l’Orbite ou faire un tour de Vertigo (le nom le dit, viarge, vertigo = vertige, pour les non bilingues ou non-amateurs de Hitchcock, quoiqu’en français, ça s’appelait “Sueurs froides”…), de Cobra ou de Vampire, à 100 milles à l’heure, la tête à l’envers, c’était non merci!

Mon chum les a tous faits, lui, et je crois qu’il n’a même pas cligné d’un œil, le maudit.

Baswell que je m’ennuyais des papillons, ou de feu les papillons, devrais-je dire, parce que que ce manège-là n’existe plus. Autre temps, autre mœurs, je me suis donc laissée tenter par l’autre attraction ouverte ce soir-là qui semblait à ma portée : Le Vol ultime. Oh, c’est la même affaire que les papillons, pareil pareil, des nacelles à deux places dans les airs, mais en BEAUCOUP plus haut, plus vite et plus penché. (Gloup!)

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Exit, donc, les papillons au ventre du plaisir anticipé, place à l’estomac noué par la peur. J’ai regretté ma témérité dès que le commis a bouclé ma ceinture. Ça montait, ça montait, ça montait. Ça penchait et ça tournait TROP VITE. Le pouls qui s’accélère, l’affolement qui s’impose, voilà que la pas douce et familière sensation d’anxiété généralisée embarquait.

Le Vertige a pour curieux effet de donner l’envie irrépressible de se lancer dans le vide, ce qui démontre avec aplomb les limites de l’efficacité de la psyché humaine. Une maudite bonne chance que j’étais bien attachée. Il me restait juste à psalmodier “je panique, je panique, je panique, etc.”, tel un robot, sur un ton que j’espérais inaudible pour les ados d’en avant. Peine perdue, humiliation gagnée.

Passion rétro-kitsch

J’ai appris beaucoup de choses sur La Ronde ce soir là (et la veille, devant mon ordi, en faisant quelques recherches). D’abord, c’est avec tristesse que j’ai accusé le coup du trépas d’autres de mes bonnes vieilles attractions préférées.

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D’abord, le Mont Blanc – qui fut un temps nommé Matterhorn, dans le Québec d’avant la Loi 101 -, a cessé de nous faire tourner en rond au début du nouveau millénaire, suivi du Palais des glaces en 2003, du Tapis volant en 2002 et de l’Ovni en 2007.

Crédits photo: Archives de Montréal
Crédits photo: Archives de Montréal

Bon ce dernier manège, je l’admets d’emblée, c’est pas une grosse perte. D’accord, le plaisir d’être collée aux parois grâce à la force centrifuge, dans un décor orange totalement psychotonique, mais, d’un autre côté, qui n’a jamais vomi sa poutine dans l’Ovni hein?

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Du reste, j’ai découvert avec étonnement que le téléphérique avait duré jusqu’à l’an 2000, moi qui racontais à l’amoureux avoir eu la chance d’embarquer dans une relique de l’Expo 67 avec feu mon oncle Jacques durant les années 80… (Rigueur, rigueur, rigueur!)

Crédits photo: Archives de Montréal
Crédits photo: Archives de Montréal

Surtout que de vraies attractions originales sont toujours des nôtres, comme en atteste une photo d’archives de Bobby Kennedy dans La Pitoune, l’année de son inauguration, en 1967.

Crédits photo: Archives de Montréal
Crédits photo: Archives de Montréal
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Et y a le Minirail aussi, qui est là depuis 48 ans. Oh, pas tout le circuit inaugural de l’Expo, mais quand même celui de La Ronde, dont l’itinéraire était le plus court à l’époque. En faire le tour coûtait seulement 25 cents!

Toujours en catimini, donc je suis, entrée dans la gare du Minirail pour voir si c’était vraiment vieux et décrépit. Et qu’est-ce que j’ai vu sur le quai désert? Une famille de ratons laveurs avec leurs cute faces! Hoooon! Le cœur beaucoup trop attendri, je n’ai pas eu le réflexe de prendre une photo, encore moins de faire un vidéo. À la place, mon instinct m’a poussée à vivre le moment présent. On se serait cru de retour en 1994…

Au final, contre toutes attentes, j’ai tout de même passé une très belle soirée. Comme quoi on peut s’amuser à La Ronde même sans aimer faire les manèges. Mais ça prend de la musique, de même que beaucoup de bière et de douce nostalgie.