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Sul frigo

Faut-tu que je dise salut. Hé. Yo. Je sais comme pas trop. Je ne nous écris pas souvent.

Par
Véronique Grenier
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Quand j’étais petite pis que je commençais un nouveau journal intime, j’avais le même genre de problème avec l’ossetie de première page. Je la regardais un peu trop longtemps, figée par je ne sais pas trop quoi. Je finissais tout le temps par faire un grand récapitulatif de ma vie. J’me sens un peu pareil, là. Avec mon allô. Mais c’t’important. Le décorum.

Faudrait pas que tu oublies. Ça va te prendre une copie sul frigo, une autre dans l’char, une pliée en p’tit dans le fond de la sacoche, une proche de ton oreiller. Ça se pourrait que t’en aies pu jamais besoin. On se le souhaite. Mais toute l’idée, là, c’est de prévenir. Fa’que faut penser au pire pis le pire c’est que ça te repogne, t’sais. Ça t’a repogné tellement souvent, ça serait pas étonnant que ça revienne en force, avec du vent, du mouvement. Ça te pognerait tout le corps, tout l’être, tout le cœur. Ça ferait des miettes de toé. Pour que t’aies le goût de te balayer, que tu n’y vois même pas d’effort, t’sais.

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Faut que tu te rappelles. Ton père qui te sèche les cheveux quand tu as six ans. Ton père qui t’apprend les noms des arbres pis des oiseaux, en latin. Ta mère qui lit. Tes amis. Y’a-du-monde-qui-t’aime. Pis toi aussi, tu les aimes. Ta machine à écrire. Ta collection de macarons. Le moonwalk.

Faut que tu voies. Les yeux de ta Fille. D’autres yeux qui te connaissent bin’que trop pis qui se crissent dans les tiens pour t’empêcher de fermer les paupières, détourner le regard. La neige qui floconne. La lumière entre les feuilles des arbres. La Vénus de Milo, de dos. Barcelone.

Faut que tu entendes. Le rire des p’tits quand tu fais un jeu de mots avec caca ou pet. Leur rire tout court. Comment Fils dit “sandwich”. Un cœur qui bat. La compagnie Créole. Lionel Richie. Des feuilles qui font crou-croush sous le pied.

Faut que tu sentes. L’odeur des p’tits. Leur bedaine. Leur nuque. Des biscuits qui cuisent. L’été. La mer.

Faut que tu tiennes. Le petit doigt de ta fille. Ta tasse préférée. L’étranger de Camus, ta copie toute annotée, surlignée. Ta copie pleine de vie. Une craie.

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Faut que tu goûtes. Le fudge de ta mamie. Du melon d’eau qui dégouline l’été. De la poutine inversée qui t’éclate dans toute la bouche. De la crèmaglace à la vanille. Du bacon qui craque sous la dent. Le poulet en boîte et les doigts que tu lèches, après. De la peau.

Faut que tu penses. Ta joke préférée. Tes ami(e)s préféré(e)s. Ton esti de chat qui est mort-merci-beaucoup-mais-qui-était-don’-doux.

Surtout. Faut tu ouvres ta yeule. Faut tu cries ben fort. Pis que t’arrêtes pas. Tu vas vouloir te taire, tu veux toujours te taire. Faire ça en cachette. Derrière le dos de tout le monde à qui tu feintes un sourire de pâte à dents. Ça te prend du temps, anéwé. Té du genre à planifier ça bien. Mais là, tu te rendras même pas là. Non, fille. Parce que tu vas te mettre à crier, je t’ai dit. Toute va sortir pis nécessairement kekun va finir par te prendre dans ses bras pis te lâchera pu parce qu’y va comprendre qu’on crie pas de même pour rien.

Pis toi, tu vas te laisser faire.
Tu vas te laisser bercer.
Tu vas te laisser dire que ça va aller.

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Pis tu vas y croire. Pis ta yeule a va toute laisser couler. A va le dire que la vie veut te sortir du corps. A va le dire que la mort te fait des clin d’yeux pis que ta trouve chicks pis que tu feel pour avoir une date avec. A va le dire parce que c’est ça qu’y faut. Les secrets pis les cachotteries, c’est de la marde.

Parce que faut que tu te capslockes que ça passe, que ça part, que la joie revient, que tu aimes ça au fond et sul dessus être-là. Tu peux pas manquer ça. La vie, le monde, le parté d’exister. Même le triste, même le laitte, même le ark méritent que tu les voies, que tu te fâches.

Là si tu es en train de lire ça, tu nous dis « esti que té conne, tu le sais que ça change rien pile là en ce moment tous tes détails de marde, ça n’enlève pas la crampe, la mort qui vague en dedans, l’envie de faire pouf ». Pis là, je te réponds : «Je sais bin. Mais c’est ça pareil. Pis tayeule. De moé à moé, je te le dis, je te le répète : faut que tu restes. On a du fun. On s’aime, t’sais. Tu ne vois pas bien quand tu es de même. Là, va crier, steplaît. J’ai besoin de toé, moé».

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Illustration faite pile pour l’occasion de: Gabrielle Laïla Tittley

C’est la Semaine nationale de prévention du suicide. C’est une cause qui nous tient à coeur chez Urbania, et Rabii Rammal a aussi écrit un texte sur le sujet.

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