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Après avoir essuyé trois refus consécutifs de la part de ma copine à la question : “Veux-tu venir au cinéma pour voir American Sniper avec moi?”, je m’y suis finalement rendu seul, j’ai acheté un grand Coke diète et j’ai enlevé mes bottes pour être bien confortable devant un film que j’attendais depuis la parution de la première bande annonce. Malgré la controverse, j’ai adoré. Tellement, que j’y suis retourné une deuxième fois. Pourquoi?
Inévitablement, un film de guerre a un point de vue. American Sniper fait jaser. MSNBC a son opinion, les républicains aussi, Michael Moore, les militaires. Je n’ai pas envie d’en faire la critique politique. Ni artistique, d’ailleurs. Je ne suis pas un critique de cinéma. Clint Eastwood prétend que c’est un film anti-guerre. Oui, peut-être. Je m’en fous. On y raconte que Chris Kyle, le vrai American Sniper de la vraie vie, compte plus de 160 tirs létaux. Tous au nom de la patrie. C’est peut-être ça qui me fascine? La récupération de la violence comme forme d’identité? Suis-je American Sniper? Sinon, qui suis-je?
L’affaire est que, moi, je ne crois en rien. Ok, la liberté, eeee la science, le respect, en général, mais mollement. Je ne suis pas sociologue. Je suis auteur. Dans la vie, je parle de moi ou des personnages que j’invente, ce qui est l’équivalent, vraiment. Pour cette raison, j’ai souvent peur qu’on me qualifie d’égoïste ou d’égocentrique. Alors, je fais quoi?
Parfois, je me demande si je devrais être religieux, ou spirituel. Je voudrais m’offrir à une cause plus grande que moi. Quelque chose de beau, de sublime. Je pense à m’inscrire au yoga ou alors apprendre le krav maga. Pour mon premier livre, j’ai beaucoup étudié les tueries dans les écoles. Columbine, surtout, parce qu’ils ont fait ça à deux, en équipe. Je voulais essayer de comprendre la psychologie de ces criminels. Leur folie, leur lâcheté, leur manque de connexion avec le réel. J’ai toujours interprété ces gestes comme des attentats terroristes apolitiques. Et dès les premières attaques de « loups solitaires » qui se réclamaient tout à coup de l’EI dans les derniers mois, je me suis rappelé mes recherches. Le lien était facile à établir. Même type d’individus, MO semblable. Ils ont simplement échangé leurs trench coats contre des drapeaux noirs. Bon, je sais, c’est plus complexe que ça. N’empêche qu’Olivier Roy, politicologue français, fait la même comparaison en entrevue pour le journal Libération en expliquant que, malgré qu’on ne veuille pas voir les points communs, « ces conflits sont le symptôme d’un même effondrement culturel » et que, « en Orient comme en Occident, il existe une jeunesse fasciné par ce nihilisme suicidaire ».
Bien sûr, je ne suis pas criminaliste, ni psychologue. Mais dans un sens, je peux comprendre d’où vient le vide parce que cette vacuité me nargue aussi, parfois. Rassurez-vous, jamais je ne m’abandonnerais à la violence. L’écriture est un exutoire qui me suffit. Oui, il m’arrive d’essayer de me prouver que la vie a une signification. Je ne suis pas physicien, mais, je me dis, tout au plus 80 années de vie dans un univers qui en est âgé de 13.8 milliards, qu’est-ce que ça veut dire? Probablement rien, hélas. Par contre, quand je vois un film comme American Sniper, j’ai l’impression que, à bien y penser, moi aussi je fais partie d’un clan, d’une équipe. Moi aussi j’ai un drapeau, un but, un rêve. Est-ce que la thèse du nouveau Houellebecq est juste? L’humain était-il prêt pour l’athéisme? Est-ce que la société a changé plus rapidement que les individus qui la composent?
Évidemment, il est permis de se méfier de ceux qui versent trop de larmes à la simple vue d’un drapeau, encore faut-il au moins en connaitre les couleurs. Nous, les Canadiens français, sommes orphelins constitutionnels et vivons dans le pays imaginaire du Québec. Même si des sondages indiquent qu’une majorité voterait « non » à un éventuel référendum, ça ne veut pas dire qu’ils se sentent Canadiens pour autant. « Le Québec ma patrie, le Canada, mon pays »? Ouais, bof. Je ne sais pas. Et mon passeport, lui? J’ai l’impression qu’à force de vouloir se donner une identité depuis la Révolution tranquille, on a peut-être fini par se l’enlever. On oublie souvent que notre histoire est remplie de guerriers et d’aventuriers. De Étienne Brûlé à Léo Major du Régiment de la Chaudière, seule unité canadienne française à avoir participé au débarquement de Normandie, trimballant fièrement la devise « Plus durable que le bronze ». Je n’essaie pas de faire l’apologie de la guerre, je dis simplement qu’on a tendance à oublier cet esprit de nos ancêtres qui coule dans nos veines. Et depuis qu’on est jeune, on nous a tellement appris à détester l’unifolié qu’il nous est devenu presque impossible de s’identifier avec fierté à une armée qui le porte.
En allant voir American Sniper, pour quelques instants, je me suis senti moins orphelin. Ce n’était peut-être pas sous mon drapeau que les guerriers risquaient leur vie, mais l’aspect propagandiste du film a réussi à me faire croire que oui. Hier, j’y suis retourné. Et pas seulement parce que j’avais pris un trop grand Coke diète la première fois et que j’ai dû sortir à trois reprises me vider la vessie. Maintenant qu’on nous a convaincu qu’il fallait lâcher Dieu pour prier d’avoir toujours plus de pouvoir d’achat, mais que, du même coup, on nous dit que notre génération est la première depuis longtemps qui en aura moins que ses parents, on fait quoi? On peut rêver avec des billets de loterie ou des tickets de cinéma. Je garde mes chances pour ces derniers. Oui, il est beaucoup trop simpliste de séparer l’humanité en « loups », en « moutons » et en « chiens de berger », j’en conviens, mais parfois, c’est une lecture facile à comprendre qui réconforte et nous fait oublier la complexité de tout le reste.
Alexandre Soublière est l’auteur de Charlotte before Christ (Boréal). Son deuxième roman devrait paraitre à l’automne 2015. Vous pouvez le suivre sur Twitter.
Photo: enigmabadger
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