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« Stresse pas, minou! » : l’anxiété au féminin
Avertissement : Ce texte contient une description détaillée d’une attaque de panique.
« Tout ce qui défilait en boucle dans ma tête, en lettres majuscules et phosphorescentes, était : “JE SUIS EN TRAIN DE MOURIR.” Mon cœur devait être sur le point d’exploser tant il battait vite, mes mains étaient engourdies, le bout de mes doigts m’élançait, je sentais plus mes orteils, je tremblais de la tête aux pieds, mes genoux fléchissaient, j’avais chaud, si chaud, je cherchais mon air la bouche grande ouverte, mes oreilles sillaient, mon œil gauche voyait tout en noir et mon œil droit était plein d’étoiles (pas les bonnes). »
Quiconque a déjà fait une attaque de panique ne connaît que trop bien ce tsunami de symptômes physiques. Peut-être même avez-vous le souffle court à la seule lecture de ces lignes.
C’est par cette description de sa toute première attaque de panique que débute le récit éponyme de Joanie Pietracupa dans le collectif Stresse pas, minou!, un ouvrage sur l’anxiété réunissant un chœur de voix féminines.
Ni un livre de psychologie ni un guide offrant des conseils, Stresse pas, minou! fait plutôt le pari de raconter l’anxiété de l’intérieur, telle que vécue par celles qui cohabitent avec elle au quotidien. On y retrouve les plumes sensibles de Juliette Bélanger-Charpentier, Stéphanie Boulay, Gabrielle Boulianne-Tremblay, Gabrielle Lisa Collard, Caroline Décoste, Vanessa Destiné, Catherine Ethier, Florence K et Ines Talbi, ainsi que des illustrations de Safia Nolin.
On s’est entretenu avec la directrice du collectif, Joanie Pietracupa, qui y signe elle-même un texte sur sa relation tumultueuse avec le « mal du siècle ».
Joanie, tu es rédactrice en chef des magazines VÉRO, ELLE Québec et ELLE Canada. On pourrait donc croire que tu t’intéresses surtout à la mode et à la beauté. Pourquoi avoir décidé de créer un livre sur l’anxiété?
L’anxiété est quelque chose avec laquelle je vis depuis mon plus jeune âge. J’ai reçu un diagnostic de trouble d’anxiété généralisée (TAG) il y a six ou sept ans, mais je réalise, en repensant à ma vie, que ç’a toujours été en moi.
«Je paniquais, et ce qui me faisait le plus paniquer, c’était de me sentir toute seule là-dedans.»
Je t’avoue que j’ai eu envie d’en parler parce que quand j’ai été diagnostiquée, mon réflexe, ç’a été de chercher en ligne des ressources, des témoignages, des gens qui parlaient de ça, parce que c’était tellement nouveau pour moi. Je paniquais, et ce qui me faisait le plus paniquer, c’était de me sentir toute seule là-dedans. Et avoir accès à un psy, c’est pas super facile et rapide au Québec…
Comme je ne trouvais pas grand-chose, je me suis mise à en parler sur mes réseaux sociaux, en me disant que peut-être qu’il y aurait des gens qui s’identifieraient à ça et avec qui je pourrais avoir des discussions.
La réponse a été vraiment surprenante. Ça m’a étonnée de voir à quel point les gens souffraient d’anxiété, sous une forme ou une autre. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire avec ça, parce qu’on en parle, mais pas tant que ça non plus.
Justement, quand on se met à en parler autour de nous, on a l’impression que presque tout le monde fait de l’anxiété. Qu’est-ce qui explique, selon toi, que ce mal-être soit si répandu?
On appelle ça « le mal du siècle » : ce n’est pas pour rien! J’ai l’impression qu’avec les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, le fait qu’on est toujours connectés, la job qui prend de plus en plus de place avec la pandémie et le télétravail… Tout ça, j’ai l’impression que ça fait qu’on se met énormément de pression pour être des superhumains qui performent dans toutes les sphères de leurs vies.
J’ai l’impression qu’on prend de moins en moins de temps pour penser à nous. T’sais, oui, il y a les self-care sunday et tout, mais est-ce qu’on prend vraiment le temps de s’arrêter pour penser à ce qui nous fait vraiment du bien? Pas tant.
Pourquoi avoir décidé d’inclure uniquement des textes de femmes dans le collectif?
En tant que rédactrice en chef de magazines dits « féminins » et en tant que féministe, j’aime beaucoup travailler avec des femmes et mettre en lumière leur travail. Je trouve qu’encore aujourd’hui, les femmes – en plus d’être tuées, violées et tout ça – ne sont pas assez mises de l’avant de façon positive.
«Je trouve qu’en tant de femmes, on a comme une pression supplémentaire à surperformer pour prouver qu’on a notre place.»
Et je trouve que l’anxiété féminine, sans vouloir généraliser, est assez différente de l’anxiété masculine. Ou en tout cas, il y a des enjeux qui nous touchent plus particulièrement, comme l’anxiété d’être une super bonne mère par exemple. Loin de moi l’idée de genrer l’anxiété, mais je trouve qu’en tant de femmes, on a comme une pression supplémentaire à surperformer pour prouver qu’on a notre place, que ce soit dans un univers d’hommes au travail ou juste dans la société. On s’entend que ça ne va pas bien pour nous ces temps-ci; on n’a qu’à penser au renversement de Roe v. Wade… Donc, j’aime l’idée de donner une voix aux femmes dans mes projets et dans ma vie en général.
Le livre s’intitule Stresse pas, minou!, mais tu soulignes en avant-propos que le stress et l’anxiété ne sont pas identiques ou interchangeables. Quelle est la différence et pourquoi avoir tout de même nommé le collectif ainsi?
Je l’ai appelé comme ça parce que ma mère me dit souvent ça, « Stresse pas, minou! », et je trouve ça comme ironique et cute, parce que beaucoup de gens disent des choses semblables aux personnes qui font de l’anxiété : « Stresse pas », « Calme-toi »… Comme si c’était quelque chose qui se contrôlait si facilement! Je trouve ça très drôle.
C’est aussi un jeu de mots sur le fait qu’effectivement, le stress et l’anxiété, ce n’est pas du tout la même chose. Le stress, c’est quelque chose qu’on vit tous à certains moments de notre vie, c’est normal, c’est une réponse du corps à un danger.
Mais l’anxiété, c’est un trouble mental, c’est quelque chose que tu ne peux pas facilement contrôler et qui va faire qu’au quotidien, même des événements qui ne devraient pas te stresser vont se mettre à spinner dans ta tête. C’est souvent beaucoup plus intense que le stress et ça peut même t’empêcher de fonctionner au quotidien.
Dans ton texte éponyme, tu dis que ta psy a essayé de te faire voir l’anxiété comme un super pouvoir. Comment est-ce que ça peut l’être?
«La thérapie m’a amenée à voir l’anxiété comme quelque chose qui me rend super empathique et bienveillante.»
La thérapie m’a amenée à voir l’anxiété comme quelque chose qui me rend super empathique et bienveillante. Je pense tout le temps à tout le monde avant de penser à moi, je veux que les gens se sentent bien, je dénote tout le temps quand il y a un petit changement dans les gestes ou les comportements de quelqu’un qui ne se sent pas bien… L’anxiété me rend très au fait de mes relations et de ce qui se passe autour de moi – ce qui vient aussi parfois avec une certaine lourdeur –, mais ça me rend caring, et c’est une qualité que j’aime avoir comme gestionnaire et comme être humain.
Quels sont tes meilleurs trucs pour gérer ton anxiété?
Je dirais la technique de respiration 4-4-8 (inspirer pendant 4 secondes, retenir son souffle pendant 4 secondes et expirer pendant 8 secondes), la méditation et voir une psy. Je sais que la psychothérapie n’est malheureusement pas à la portée de tous, mais c’est quelque chose qui m’aide énormément.
Tu parles de ta prise d’antidépresseurs dans le livre. Je sais que tu n’es pas médecin, mais qu’est-ce que la médication a changé pour toi personnellement?
À chaque personne sa façon de gérer sa santé mentale; je ne veux pas dire à tout le monde de prendre des antidépresseurs. Mais moi, je suis allée visiter ma médecin parce que je ne savais même pas par quel bout prendre ça, je ne connaissais personne autour de moi qui faisait de l’anxiété. Je n’étais plus capable de fonctionner, pas capable de travailler, ni même de manger ou de dormir quand je faisais des grosses attaques de panique. Ma médecin m’a recommandé d’aller voir un psy et elle m’a prescrit un antidépresseur.
Personnellement, c’est le combo qui m’a vraiment sauvé la vie. Ça m’a permis de me sortir la tête de l’eau pour ensuite être capable d’essayer de comprendre ce qui se passe dans mon corps et dans ma tête et décortiquer tout ça.
Tu écris aussi que quand tu as commencé à faire des attaques de panique, ton entourage ne comprenait rien à ce que tu vivais. Tu dis que pour comprendre l’anxiété, il faut la vivre. Mais qu’est-ce que tu conseillerais aux gens qui connaissent quelqu’un qui souffre d’anxiété et qui ne savent pas du tout quoi faire?
Je pense que quand la personne est dans une bonne passe – pas quand elle est en pleine attaque de panique – ça peut être une bonne idée de tout simplement lui demander ce qu’on peut faire pour l’aider, parce que ça dépend des gens. Tu vois, moi, j’aime être toute seule quand je fais une attaque de panique : je n’aime pas être touchée ou regardée. Mais il y a des gens qui, au contraire, aiment que quelqu’un leur prenne la main ou leur flatte le dos.
Aussi, il faut être compréhensif envers les gens qui font de l’anxiété et qui vont « choker » à la dernière minute des activités qu’on avait prévues avec eux. Il faut comprendre que ce n’est pas la faute de la personne, ce n’est pas un désaveu de l’amitié ou de la relation, c’est juste qu’elle n’est peut-être pas capable de sortir et qu’elle a besoin de prendre soin d’elle. Faire preuve d’empathie et de bienveillance envers la personne, ça peut changer sa vie.
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Stresse pas, minou! (KO Éditions) sera disponible en librairie dès le 7 septembre.