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Entrevue : Steve Jolin – 15 ans au 7ième Ciel
Cette année, les Disques 7ième Ciel fête 15 ans de mise en avant du hip-hop québécois. URBANIA Musique et Spotify s’allient pour vous présenter son fondateur, un des artisans clé derrière la montée en popularité du hip-hop au Québec, Steve Jolin.
Le label 7ième Ciel est un des piliers de la scène du rap québécois. On retrouve à sa tête Steve Jolin, qui gère la maison de disques depuis quinze ans maintenant. Sauf qu’il est beaucoup plus qu’un simple patron de label; Steve Jolin, c’est un gars qui travaille pour la scène. Le grand manitou du label 7ième Ciel s’est pointé à notre rendez-vous avec sa casquette d’Alaclair Ensemble et son coton ouaté des Francos de Montréal, en toute humilité. Rencontre avec un des rares artisans de la scène qui a su traverser les époques en les marquant à sa façon.
Le petit gars de Rouyn
Faut dire, quinze ans pour une maison de disques de rap québécois, c’est pas rien. Ça représente quoi, alors, une quinzaine d’années de rap québ?
« Ça représente beaucoup d’efforts, de sacrifices, mais aussi d’accomplissements » me répond Steve devant la salade qu’il s’empêche de manger pour répondre à mes questions. « Faut dire que j’ai commencé seul, en montant un label pour sortir mes projets. J’ai frappé à plein de portes, mais un rappeur conscient qui vient de Rouyn-Noranda, c’était pas très convaincant. »
C’est donc ce qui a lancé l’aventure 7ième Ciel au début des années 2000. Tout d’abord créé pour autoproduire sa musique, le label a pris des proportions beaucoup plus larges alors que la carrière de Jolin, connu à l’époque en tant qu’Anodajay, commençait à se développer. Après ses deux premiers albums, il a commencé à travailler sérieusement sur 7ième Ciel afin d’épauler d’autres artistes. Les signatures de Samian, Koriass et Dramatik ont marqué un changement de cap pour Jolin, qui a fini par laisser de côté sa carrière de rappeur afin de se consacrer à son entreprise. Pas trop difficile à accepter?
« Tsé, faire un MTelus avec Koriass, ou de voir FouKi qui est en train d’exploser, c’est mes victoires à moi aussi, finalement. »
« Non pas du tout, » me dit Jolin avec franchise et paix d’esprit. « Préparer un album et ce qui entoure ça, c’est du travail, et c’est du temps que je ne mettais pas dans le label. Ça, je l’ai compris assez vite avec mon dernier album en 2010 (ET7ERA), je faisais des shows pis j’avais pas la tête à mon art, j’avais la tête au label et à faire marcher les albums de Samian, Koriass et Dramatik, donc ça s’est fait naturellement. »
De toute façon, pas besoin de faire du rap pour pouvoir en faire une vie, et c’est en tant que patron de label et acteur majeur de l’arrière-scène du rap québ que Steve Jolin s’est vraiment épanoui.
« Tsé, faire un MTelus avec Koriass, ou de voir FouKi qui est en train d’exploser, » avoue-t-il, « c’est mes victoires à moi aussi, finalement. Pis je suis sur plein de conseils d’administration importants — Musicaction, l’ADISQ — et les accomplissements et le travail passent par là aussi. »
Évolution et adaptation
Faut dire que le patron de 7ième Ciel ne chôme pas, et ce depuis longtemps. En quinze ans, il a eu la chance de suivre une industrie en changement, qui se construisait tranquillement. Il a vu la scène évoluer d’une dépendance aux médias comme MusiquePlus à un paysage plus global, où les services de streaming et les playlists permettent une démocratisation des écoutes.
Des playlists dont il se sert lui-même pour faire des découvertes. « Ce que j’aime des playlists, » me dit-il, « c’est que contrairement à MusiquePlus ou aux radios, où c’est très difficile de faire de la découverte, là t’as des gens qui sont à l’affût de ce qui sort et qui montent des playlists. Donc pour la découvrabilité c’est merveilleux. »
Et force est d’admettre que ça marche parce qu’en quinze ans, Jolin ne s’est jamais vraiment trompé avec ses signatures. Alors, on fait comment pour conserver une aussi bonne moyenne au bâton?
« Je signe des projets de cœur, dans lesquels je crois et que je veux m’investir à 100 %, » m’explique Steve entre deux gorgées de café. « Puis, on a l’étiquette d’être très sélectifs, de choisir nos artistes selon le fit et non la popularité qu’ils pourraient atteindre. Par exemple, on a eu des succès commerciaux, mais aussi des projets qui ont moins vendu, en étant par contre reconnus par la critique, comme l’album d’Obia le Chef, par exemple. »
Petite et grandes victoires
Pour Jolin, le plus important, c’est de travailler dur et de se fixer des objectifs réalisables. « Je pense qu’on s’est pas souvent trompés dans la mesure où on est très réalistes dans notre façon de faire, » explique-t-il, « et je pense que tous les projets qu’on a sortis ont amené quelque chose d’intéressant au label et j’ose espérer que nous aussi on a amené quelque chose à l’artiste. Faut que ça soit un win/win. »
En attirant des artistes volontairement indépendants comme Alaclair Ensemble, 7ième Ciel a réussi à prouver que vivre du rap au Québec, c’était finalement possible. Comment on se sent de participer à la légitimation du rap comme une vraie job?
« Je rêve de ce moment-là depuis longtemps, pour les artistes »
« Je rêve de ce moment-là depuis longtemps, pour les artistes, » dit-il avec un sourire qui laisse deviner tout le travail accompli pour se rendre ici. « Sauf que tout ça, c’est à force d’avoir travaillé fort dans l’ombre, d’avoir poussé pour rassembler les artistes et de faire des moves non seulement pour le label, mais surtout pour la scène au complet. »
Il a pu démontrer cette volonté en aidant à mettre sur pied le spectacle Rapkeb All-Starz présenté aux Francos l’été dernier. Par contre, ce n’était pas sa première expérience rassembleuse, alors que déjà en 2007, il tentait d’unir la scène.
« J’ai organisé le rassemblement HHD (Hip-Hop Dépendant), le 7 avril 2007, » raconte le rouynorandais. « Ç’a été le premier gros coup à Montréal, dans le temps où j’avais sorti Le beat à Tibi qui runnait “à planche”, donc j’avais la notoriété pour faire ça. Donc ça ç’a été un des highlights qui a aidé à mettre la suite en place. »
Après le Québec, le monde
Alors que 7ième Ciel s’est toujours consacré au rap francophone, le label s’est lancé dans le marché international en 2018, en signant Zach Zoya, un rappeur anglophone lui aussi originaire d’Abitibi-Témiscamingue. Avec un potentiel commercial très fort, Zoya pourrait finalement être celui qui fait bouger les choses pour le rap anglophone québécois. Ça fait quoi de trouver le « next big thing » dans sa cour?
« C’est comme si y’avait quelque chose dans l’au-delà qui me disait “ça fait 15 ans et plus que t’es là pis que tu te pètes le cul pour la scène urbaine locale,” explique-t-il avec passion. “T’es le premier rappeur de l’Abitibi à avoir eu une carrière sur la scène québécoise. Voici le 2e, et lui il a le potentiel de faire une carrière internationale.” »
Avec Zach Zoya et FouKi, l’avenir semble prometteur pour 7ième Ciel. Alors, on souhaite quoi au label et à son patron pour les quinze prochaines années? Pour Jolin, c’est d’être en mesure de s’installer dans la francophonie at large.
« Depuis quelques mois maintenant, notre label est installé en France, » dévoile-t-il. « L’idée, c’est d’essayer de se développer le plus possible sur la francophonie. Je pense qu’on est bien partis, mais j’suis un gars assez réaliste, donc j’aime mieux me fixer des objectifs à court terme et travailler pour les atteindre. »
Réalisme et humilité
Au final, cette notion de travail, d’humilité et de réalisme est ressortie constamment lors de notre discussion, et c’est probablement ce qui définit le mieux le travail du label sur les quinze dernières années. Pour Steve Jolin, il est crucial de garder en tête la chance qu’ont les acteurs du rap québécois d’œuvrer dans une scène qui est finalement arrivée à un point de légitimité aux yeux de l’industrie musicale.
« Il faut reconnaître la chance qu’on a, » m’explique le boss de 7ième Ciel avec candeur, « parce que c’est un privilège qu’on a de pouvoir vivre de la musique, mais aussi de pouvoir procurer des émotions à un public. Tant et aussi longtemps que les gens vont s’en rendre compte, ça va marcher. Le jour où on tient ça pour acquis, ça peut tomber vite. »
Après quinze ans, 7ième Ciel n’est toujours pas tombé. En regardant les sorties à venir, notamment des nouveaux albums pour Dramatik, Manu Militari et FouKi en 2019, on se doute que la montée de 7ième Ciel est loin d’être terminée. Associée à la montée en flèche plus globale du rap québécois à l’intérieur de la francophonie, les choses augurent très bien pour l’avenir, en attendant d’un jour conquérir le monde au complet.
« J’ai vraiment espoir que bientôt les yeux seront tournés vers Montréal au niveau international (pour le rap anglophone). Ça va prendre un déclic, avec un ou deux artistes qui vont donner le coup d’envoi. »
Un artiste comme Zach Zoya, peut-être?
« Ça pourrait être un Zach, oui » me dit-il en laissant paraître un sourire qui indique toute la confiance qu’il a en ce projet. Comme quoi, en travaillant fort et en fonçant, tout est possible, même pour un gars de Rouyn-Noranda qui voulait juste trouver un moyen de sortir son rap.
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Pour découvrir les artistes de 7ième Ciel, retrouvez-les sur la playlist Rap Québec juste ici.