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Stéphane Lafleur aux aurores: la chute de l’ivresse

Récit d'une fin de Festif!

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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« Dommage que tu sois pris, j’embrasse mieux que je parle. » C’est ce qu’elle marmonne péniblement. Les syllabes se bousculent comme dans une parodie. Du théâtre d’été! Sauf que la femme devant moi est saoule pour vrai.

Il est 4h du matin et la file menant vers le show de Stéphane Lafleur (parolier et chanteur du groupe Avec pas d’casque) comprend quelques centaines de personnes. La majorité d’entre elles semblent ne s’être jamais couchées.

Quelques mètres devant moi, Émile Bilodeau (ou une personne ayant exactement sa voix) crie des tounes de camp de jour. Philippe Brach (ou son sosie), en murmure les réponses, comme pour s’excuser aux dormeurs de l’Hôtel le Germain, qui accueille cette performance incongrue organisée dans le cadre du festival Le Festif!.

J’observe ceux qui m’entourent. Un défilé de zombies attirés aveuglément par les mots de Lafleur.

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Moi, j’ai dormi. J’veille rarement tard. Mon cadran était programmé pour 3h30 AM, mais je me suis réveillée dix minutes plus tôt. Je déteste les alarmes, mon corps excelle pour les éviter.

Je suis à jeun, relativement fraîche, et j’apprécie malgré tout la compagnie de ces fêtards. Ils parlent fort, tout croche, sentent un peu drôle, mais demeurent civilisés. La file est respectée, l’ambiance au calme, y’a rien qui retrousse.

Devant la chaise qui accueillera le chanteur sont déjà couchés des spectateurs. Coussins, couvertures de fortune, sleeping bags, tout moyen est bon pour s’évacher sur l’herbe mouillée.

Il fait noir. C’est une étrange réunion de monde post-party, de fans d’Avec pas d’casque et de hippies. Là-bas, des amants incapables de se lâcher. À côté, un couple avec ses deux poupons. Je souris. La mixité me réjouit.

Derrière nous, Stéphane Lafleur se tient immobile, toisant la foule qui lui tourne le dos. Il semble se concentrer, peut-être tente-t-il de comprendre pour qui il s’apprête à jouer. Malgré l’ivresse, personne ne le dérange. Il est là, à quelques pas de nous, mais on dirait qu’aucun n’est ici pour faire le fan. C’est peut-être juste qu’on ne voulait pas finir la nuit seuls.

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Puis il se dirige vers l’avant du groupe, empoigne sa guitare, et nous sert de la poésie pour déjeuner. Des moutons s’approchent en peloton, des poules l’accompagnent de façon sonore. Un train passe. Le soleil se lève. Les montagnes se colorent de rose. Certains ivres s’endorment. Beaucoup s’enlacent. Personne ne parle.

Une communion de tendresse.

Un abri de douceur.

Un camp de base.

J’ai dansé mon premier slow matinal. 5h30, ce sera dur à battre.

On est tous repartis plus croches qu’à l’arrivée.

Une heure de berceuse, ça te ralentit un beat.

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Une heure de repos contre des étrangers, ça te revire l’intérieur.

Elles sont rares, les occasions de vulnérabilité salvatrices. Les foules de fin de bar m’inspirent rarement la confiance… Mais partager un rêve éveillé entre saoulons et familles, hommes et femmes, ça te pousse à te questionner sur les possibles. Faut-tu juste une fermette, une nuit, pis Stéphane Lafleur pour se recoller les morceaux?

On est encore capable de refuges. De collectivité. La preuve, je l’ai vue à Baie St-Paul.

C’est ce que je me dis, encore un peu bouleversée, sur la route me ramenant à Montréal. Puis, comme si j’étais en plein décalage horaire, une envie de poutine me pogne à 10h AM. On s’arrête à la fromagerie Lemaire.

Dans la file, un homme arbore fièrement son coton ouaté de La Meute.

C’est la chute de mon ivresse. La fin d’un trip de trois heures.

Ramenez-moi, svp.

Maintenant.

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