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Stalker un ami Facebook mort : le deuil numérique expliqué

Pourquoi de plus en plus de gens vivent également leur deuil sur les réseaux sociaux?

Par
Emmanuelle Parent
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En 2009, j’ai appris le décès de mon amie Caroll-Ann à travers le froid petit écran de mon iPod Touch. Scroll, scroll, scroll, fil d’actualité qui aligne vidéo d’un labrador qui court, pub de Sunglass Hut, photo de gens dans un parc, puis sur son mur « Repose en paix ».

Côtoyer la mort sur Facebook peut entraîner un sentiment étrange. Le deuil est souvent perçu comme un processus très personnel, ce qui peut entrer en opposition avec sa place sur les réseaux sociaux, un espace extrêmement public. Le média social est tantôt humoristique, tantôt informatif, et tout à coup on y rencontre des messages où les gens ouvrent leur cœur sur la perte d’un être cher.

Pourquoi le deuil vécu ainsi en public est-il de plus en plus pratiqué ? Voici quatre propositions qui permettent de mieux saisir la pertinence d’un profil Facebook in memoriam.

Distribution-éclair de la nouvelle

Un avis de décès partagé, des condoléances publiées sur un profil : la circulation numérique d’informations a radicalement changé la manière dont on apprend la mort de quelqu’un.

Pour les proches de la personne décédée, les études affirment que les réseaux sociaux offrent un accès à un large public, ce qui peut sauver le trouble de faire beaucoup d’appels téléphoniques.

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Lorsque j’ai pris conscience de la perte de mon amie, les heures qui ont suivi ont consisté à rafraîchir l’URL de son profil Facebook pour accéder à plus de détails. Je n’étais pas une amie assez proche et personne ne m’aurait téléphoné. Les publications de la famille ont été importantes pour que je sois au courant du moment du salon et des circonstances du décès.

Pour les proches de la personne décédée, les études affirment que les réseaux sociaux offrent un accès à un large public, ce qui peut sauver le trouble de faire beaucoup d’appels téléphoniques.

Un mémorial en ligne

En écrivant cet article, je me suis adressée à la maman de mon amie, Katy, une femme résiliente qui a répondu avec beaucoup d’amour à mes questions.

« Le Facebook de Caroll-Ann est primordial dans ma vie! Quand je m’ennuie, j’y vais et je lis les commentaires qu’elle (Katy met du poids sur le mot “’elle”’) a écrits de son vivant et par le fait même je la sens vivante, elle s’exprime! »

Voyez le profil Facebook d’une personne partie comme un mémorial, un hommage. Il regroupe des archives auxquelles se référer quand, comme Katy, on s’ennuie de quelqu’un qu’on aime. À même titre que les photos et les vidéos où on se rappelle la personne en train de rire, sourire, crier, danser (!), les commentaires et les statuts disponibles sur le profil Facebook d’un individu rafraichissent notre mémoire sur la manière dont elle s’exprimait.

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Communiquer autrement

On voit le visage de Roxanne partout sur le profil Facebook de Caroll-Ann, c’était sa meilleure amie. Elle me dit : « Le fait de publier sur la page Facebook de Caroll-Ann me donne l’impression qu’elle est encore un peu parmi nous. »

« Le fait de publier sur la page Facebook de Caroll-Ann me donne l’impression qu’elle est encore un peu parmi nous. »

Une étude propose que conserver l’identité numérique d’une personne qui n’est plus là physiquement rend possible d’entretenir une sorte de nouvelle connexion avec elle. On peut relire ses commentaires, écrire sur son mur comme si elle pouvait lire, et cela peut nous faire du bien même en sachant qu’elle ne répondra pas.

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Roxanne ajoute « Lorsque je lui écris je me sens comme si je lui parlais vraiment (…) Même si je n’attends pas de réponse, j’ai l’impression que mon message se rend au destinataire. »

Une place publique de recueillement

Traditionnellement, les funérailles représentaient le lieu et le moment pour donner ses condoléances aux proches, à la famille et échanger au sujet de la personne décédée. Maintenant, il est possible de vivre collectivement le deuil en un clic.

Facebook a répondu à cette situation en créant le compte de commémoration, qui a pour but de « [permettre] aux amis et à la famille de se réunir et de partager des souvenirs après le décès d’une personne. »

« Lorsque je vois des personnes lui écrire pour lui donner de l’amour ou mentionner qu’ils s’ennuient d’elle ça me fait du bien, ça prouve qu’elle est encore bien présente dans nos cœurs et qu’elle n’est pas oubliée. »

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Vous et moi savons bien qu’il n’y a pas que nos vrais amis et notre famille dans nos amis Facebook. Partager un espace de recueillement avec des inconnus peut être confrontant. Malgré tout, les publications sur le profil Facebook d’un ami mort sont généralement des démonstrations de soutien social, visant le réconfort. Les différents témoignages ont le pouvoir de montrer aux endeuillés qu’ils ne sont pas seuls et qu’il existe plusieurs perspectives de commémoration.

Roxanne apprécie ce flot de messages sur le profil Facebook : « Lorsque je vois des personnes lui écrire pour lui donner de l’amour ou mentionner qu’ils s’ennuient d’elle ça me fait du bien, ça prouve qu’elle est encore bien présente dans nos cœurs et qu’elle n’est pas oubliée. »

Le mur ou la messagerie privée permettent également à des gens qui seraient gênés en face à face, ou trop figés par l’émotion, de construire un message écrit qui rend justice à leurs pensées.

En plus, le numérique étend la période d’échange. On peut donner ses condoléances à la famille des semaines, voire des mois, suivant le décès, et ce, peu importe notre lieu dans le monde.

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Les études sont unanimes sur une chose : il n’y a aucune « bonne manière » de vivre le deuil, et c’est pareil pour les réseaux sociaux. La réaction de quelqu’un dépend beaucoup du niveau d’attachement envers la personne décédée et notre manière privée ou publique de traverser un deuil. Comme Facebook est devenu un espace de recueillement, il en revient à chacun d’entre nous de gérer la situation avec le plus de respect et de sensibilité que possible.

Pour la rédaction de cet article, j’ai remonté la page personnelle de Caroll-Ann jusqu’à 9 ans en arrière. Des souhaits d’anniversaires, des bonne année!, des photos du Relai pour la vie en sa mémoire. Ce jour-là j’ai quitté Facebook comme on referme un gros album photo sur nos genoux et je suis contente de savoir que je pourrai y replonger quand j’en sentirai le besoin.