« Le hockey, pour moi, c’est plus que du sport. Ça représente la vie. J’ai toujours axé mon espoir là-dessus... »
Samuel Lachaine n’a jamais chaussé de patins. Jamais pris un lancer frappé. Une dystrophie musculaire de Duchenne, présente dès la naissance, en a décidé autrement. Mais le sport, lui, l’a toujours habité. Depuis l’enfance, il rêve de décrire les matchs du Canadien de Montréal, comme un Pierre Houde, perché dans les hauteurs de la passerelle de presse, le regard rivé sur la glace. Un rêve souvent accueilli avec un sourcillement.
« Personne ne me croyait capable d’être journaliste sportif à cause de mon handicap », constate-t-il aujourd’hui, sans amertume.
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Dans un paysage médiatique en mutation, où les géants vacillent et où les initiatives indépendantes poussent à même les fils des réseaux sociaux, une véritable nébuleuse s’est formée autour du Tricolore. Entre potins hors-glace, mèmes, clips de balados, analyses de salon et stunts en tout genre, une mosaïque de comptes alimente quotidiennement l’algorithme bleu-blanc-rouge. Un capharnaüm numérique aussi inégal que foisonnant où les communautés se retrouvent, bruyantes dans leur ferveur. Parce qu’il faut bien l’admettre, le cœur battant du fanatisme 3.0 ne vibre plus dans les studios feutrés des médias traditionnels, mais à travers ce flux constant, où les Habs sont à la une, jour après jour.
Parmi les voix qui se distinguent, celle de Sports Addik retient l’attention. Fondée par Samuel, la plateforme se tient à l’écart du sensationnalisme pour privilégier une couverture plus rigoureuse avec de l’information appuyée sur les faits, nourrie de données, animée par une passion presque old school pour la game.
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Diplômé en journalisme de l’UQAM en 2016, Samuel Lachaine déploie rapidement une série d’initiatives pour se tailler une place dans l’écosystème médiatique. Il effectue un stage chez RDS où il touche à tout : préparation des bulletins, gestion des archives, bande défilante de statistiques. Mais à l’issue du contrat, aucune prolongation ne lui est proposée. Il se retrouve alors comme un joueur autonome en quête d’une équipe.
« L’image que je projette, en fauteuil roulant, demeure un frein à l’emploi. Les préjugés sont encore bien présents », confie-t-il.
Le natif de Saint-Eustache refuse pourtant de se laisser freiner. Il prend les devants, anime une émission sportive à la télévision des Laurentides, devient directeur des communications d’une équipe Midget AAA. En 2017, il réalise un rêve de longue date : créer Sports Addik, un site de nouvelles sportives taillé à sa mesure. Très vite, ses limites physiques s’effacent derrière l’essentiel : une voix. Authentique. Indépendante.
Mais les débuts sont rudes. Pendant quatre ans, les chiffres peinent à décoller. Les statistiques stagnent, les doutes s’installent. « C’est difficile de se faire une place dans le monde des médias sportifs, un milieu qui laisse peu d’espace aux nouveaux venus », reconnaît-il. Pourtant, il persiste avec la ténacité de ceux qu’on néglige.
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« Chip on your shoulder »
Puis, 2021 survient. Le Canadien de Montréal, contre toute attente, se rend en finale de la Coupe Stanley. L’euphorie populaire se répercute jusque sur Sports Addik, qui enregistre une envolée soudaine de fréquentation. Pour Samuel, c’est une validation : sa démarche a enfin trouvé sa place dans l’univers médiatique québécois.
Depuis, Sports Addik a pris son élan, autant dans la cadence que dans la portée. La publication est devenue quotidienne, sept jours sur sept. À l’heure de notre rencontre en matinée, deux articles sont déj à en ligne. Sans les moyens des grands réseaux, sans accès privilégié au vestiaire, Samuel puise ses informations en ligne, recoupe, vérifie, scrute les fils d’actualité sur X.
Sa ligne éditoriale demeure claire : éviter les rumeurs de bars, s’éloigner des contenus à saveur pop. « Je privilégie un style professionnel et un souci éthique. Je veux qu’on me prenne au sérieux », souligne-t-il.
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S’il ne renie pas l’attrait du storytelling – raconter les épreuves derrière les performances sportives –, il insiste sur l’importance de maintenir une rigueur journalistique. « On peut parler de l’humain derrière l’athlète sans trop tomber dans les coulisses ou les anecdotes faciles. »
Mais Sports Addik n’échappe pas à une loi tacite du métier : la visibilité fluctue au rythme des performances du CH. « Quand le club connaît un bon match, ça se reflète immédiatement. » Une réalité avec laquelle il a appris à composer.
La dernière saison du Canadien, fort mouvementée et tout sauf ennuyeuse, a marqué un nouveau tournant pour le site.
Grâce à une incursion plus affirmée dans la vidéo, Samuel a élargi son audience, particulièrement chez les plus jeunes. Aujourd’hui, Sports Addik déploie sa présence sur tous les canaux : articles écrits, extraits Facebook, directs sur Twitch, Instagram, TikTok, YouTube. « Les lives TikTok fonctionnent très bien. Le dernier a attiré plus de 600 spectateurs en direct », se réjouit-il.
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« Y a pas de barrière »
Longtemps, Samuel a préféré taire sa condition. « Ma maladie me donne l’air plus jeune, plus fragile », dit-il. Une apparence qui, parfois, fait naître des hésitations ou pire, des jugements hâtifs. Lors de ses diffusions en direct, c’est son frère Gabriel, lui aussi atteint de dystrophie musculaire, qui veille à la modération. « Des commentaires désobligeants, il y en a à chaque match », admet-il. Mais, avec le temps, ces attaques ont cessé de l’ébranler. Sa voix, elle, demeure calme. Sûre d’elle.
« À la maison, on a toujours dit que ce n’est pas à nous de nous ajuster à la maladie. C’est elle qui va s’ajuster à nous. » Aucun pathos dans ses paroles. Juste une philosophie de vie ancrée dans une résilience patiemment construite. Chez les Lachaine, la ténacité au travail est une valeur cardinale transmise très tôt. Le soutien de ses parents, toujours présents, l’a façonné. « On a grandi avec l’idée de faire des projets, de toujours continuer à avancer malgré les embûches. »
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L’impro, qu’il a pratiquée pendant quatre ans, a aussi joué un rôle crucial. « Ça m’a sorti de ma coquille, ça m’a vraiment aidé à trouver confiance en moi. » Aujourd’hui encore, cette aisance à l’oral transparaît devant la caméra. Mais l’écriture, elle, représente un défi plus grand, plus physique. Il s’y accroche néanmoins, principalement à l’aide de son cellulaire, article après article.
Huit ans après sa création, Sports Addik tient bon. « Je suis fier d’être encore là, alors que plein d’autres projets similaires ont disparu. » À ses yeux, ce site est bien plus qu’un simple média : c’est une aventure personnelle, une façon de rester connecté au monde, une forme d’empowerment. « Beaucoup de gens qui ont la même maladie que moi se renferment. Moi, ça m’a permis d’aller vers les autres. Ma vie sociale passe par le sport. Je me concentre sur le positif, pas sur les moments où je perds de la force ou de la respiration. Quand je pense au hockey, je ne pense pas à mes problèmes. »
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Malgré un certain succès, l’avenir demeure flou. Les revenus publicitaires sont parfois maigres, la santé incertaine. Mais le désir, lui, ne vacille pas. « J’ai reçu des offres d’achat, mais je ne suis pas prêt à vendre. Ce site, c’est mon quotidien, ma passion. Je ne sais pas combien de temps ma condition me permettra de continuer, alors je le fais tant que je peux, un jour à la fois. »
Installé devant ses écrans avec son cellulaire, sa tablette et son portable à portée de main, il suit religieusement chaque match, connecté à la saison comme à sa communaut é. Il en rate rarement un et pour que ça arrive, « il faut une méchante bonne raison », dit-il en riant.
Né en 1994, il fait partie de cette génération orpheline de Coupe Stanley. Pourtant, il n’a jamais cessé d’y croire. À la conquête d’un jour. À l’élan de Sports Addik. À la force tranquille d’un média porté par la rigueur et le cœur.
« Y croire, dit-il. Ça vaut pour tout. »