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« Splendeur & Influence » et les zombies d’Instagram
Les influenceurs sont une cible facile.
Depuis une décennie à peine, les réseaux sociaux ont brusquement démocratisé la célébrité et pas toujours pour les bonnes raisons. Pour tous les Gurky et Dre Véro de ce monde qui font du contenu original et engageant, vous n’avez qu’à ouvrir Instagram et naviguer un peu pour tomber sur une vidéo de 5 secondes mettant de l’avant une belle personne en sous-vêtements, une tasse d’espresso à la main avec une légende du style : « Lait, sucre ou noir? #pub #nespresso #sunwing #livelovelaugh ».
Et ces belles personnes en question ont toujours un nombre d’abonnés inversement proportionnel à la qualité de leur contenu. Souvent dans les six chiffres.
À l’époque lointaine où j’étais moi-même ado, on affirmait des jeunes qu’ils étaient violents et autodestructeurs. Aujourd’hui, on les trouve fragiles et superficiels. Or, un trait qui fait le pont entre les deux générations, c’est que personne n’a jamais cherché à comprendre ce qui se trouvait à l’origine de cette perception.
Si j’ai toujours espoir en l’art pour alimenter la réflexion au sujet de questions sans réponses évidentes, comme celle du choc des générations, j’ai été vertement déçu par celle de la nouvelle comédie de Marc Brunet, Splendeur & Influence.
Bye Bye 2016 aimerait ravoir ses blagues
En gros, Splendeur & Influence est une parodie d’une télé-réalité de style Occupation Double. Animée par Zac (un Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques dont l’image d’intello jure agréablement avec le personnage) et Bree (l’iconique Anne Dorval qui fait son possible), on suit le développement de l’émission, du processus de sélection similaire à celui d’American Idol jusqu’à sa grande finale.
Bon.
Disons-nous les vraies affaires : faire des blagues d’influenceurs, en 2024, c’est beaucoup moins drôle que ça l’était en 2016.
Tout le monde est familier, aujourd’hui, avec les photos de nourriture, les vidéos d’excuses (et les critiques des vidéos d’excuses), la sincérité bidon et toutes les autres variables idiosyncratiques de la culture du divertissement 24/7.
Ça aurait été plus intéressant de s’attaquer à cette dynamique au lieu de nous parachuter des stéréotypes absurdes de zombies instagramiens comme les représentants d’une culture extraterrestres venus coloniser notre esprit avec du vide intersidéral. Non seulement c’est du déjà vu, mais ça perpétue la peur et l’incompréhension des plus vieux à l’égard des jeunes. C’est normal, de se méfier des nouveaux phénomènes, mais une série comme Splendeur & Influence passe à côté d’une importante réalité du phénomène de la célébrité en ligne : ces gens-là ont une audience et cette audience, c’est souvent nous.
J’ai souri peut-être une ou deux fois pendant les deux premiers épisodes de Splendeur & Influence mis à la disposition des journalistes, cette semaine. C’est une série facile, créée dans l’objectif de réconforter les récalcitrants dans leurs préjugés sur un phénomène qui leur fait visiblement peur. Franchement, je m’attendais à mieux de l’auteur du Cœur a ses raisons qu’une série de boutades sans profondeur sur les jeunes hyperconnectés.
On y rit pas ensemble. On y rit d’un bonhomme Sept-Heures préfabriqué comme on riait à l’époque des « jeunes drogués » qui écoutaient du Marilyn Manson et « vénéraient Satan ». Splendeur & Influence passe à côté de l’occasion de faire quelque chose de différent.
L’éléphant dans la pièce qu’on refuse tout de voir
Dans son ouvrage sur le phénomène de l’humiliation en ligne So You’ve Been Publicly Shamed, le journaliste britannique Jon Ronson affirme que l’invention d’internet était en quelque sorte l’équivalent d’un deuxième Big Bang vécu en accéléré et que le phénomène des attaques virales en ligne sur des quidams était l’équivalent de la mise au pilori au Moyen-Âge.
Là où la réflexion de Ronson (qui date de 2015) rejoint la réalité des influenceurs, c’est qu’elle témoigne de la posture d’apprentissage qu’on devrait tous avoir devant ce nouveau rapport à l’image créé par les réseaux sociaux. On a collectivement tendance à se considérer comme l’infaillible aboutissement de millions d’années d’évolution et ne pas réfléchir à deux fois à comment les nouveaux phénomènes nous affectent. Parce qu’on est donc intelligents. Parce qu’on comprend tout, tout de suite.
Un bon exemple qui relie l’ouvrage de Ronson à Splendeur & Influence se trouve dans le premier épisode, où l’on voit un influenceur qui magasine un speedo noir à Mykonos pour honorer sa grand-mère morte. Premièrement, la scène s’éternise. Deuxièmement, ça aurait été (théoriquement) beaucoup plus drôle de voir un influenceur brainstormer différentes manières d’honorer sa grand-mère dans l’urgence et en même temps, ça aurait témoigné de cet impératif incongru qu’ont tous les créateurs de contenu à devoir continuellement produire de plus en plus de contenu pour une audience de plus en plus apathique.
Si vous trouvez toute forme de célébrité web abjecte et sans intérêt, Splendeur & Influence vous arrachera peut-être quelques rires, mais j’ai l’impression que vous vous en fatiguerez vite.
Les personnages n’ont pas la consistance de ceux des grandes séries de Marc Brunet et on fait vite le tour du sujet. C’est disponible sur Tou.tv Extra si le cœur vous en dit, mais personnellement je passe à un autre appel!