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Souvenir de Pierre Falardeau

Par
Simon Beaudry
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Je suis bien attristé de la perte de Pierre Falardeau. Pour la cause qui m’est chère, évidemment, la liberté de notre nation, l’Indépendance du Québec, mais aussi pour ce qu’il m’a personnellement apporté au cours des quelques fois que j’ai passé du temps avec lui. Parmi ces moments, figure l’entrevue sur l’ethnie québécoise que j’ai faite avec lui pour Urbania, dans le numéro Ethnies

Pierre Falardeau, prophète en son pays qui n’est pas un pays mais l’hiver, est anthropologue de formation. C’est au Paradis des amis, rue Fullum, juste derrière la prison que notre discussion a eu lieu. Peut-on dire Québécois, comme on peut dire Italien, Sénégalais ou Polonais ?

De quelle ethnie êtes-vous ?
Moi, j’suis de l’ethnie québécoise full pin. Quand j’étudiais en anthropologie, on employait souvent le terme ethnie, sauf que maintenant il s’est transformé en insulte. Pour attaquer et dénaturer le nationalisme québécois, certains se sont mis à le traiter de nationalisme ethnique. au même moment, en Europe, on parlait de nettoyage ethnique, donc soudainement le nationalisme québécois s’est fait taxer d’être raciste. Mais y a le nationalisme des grandes puissances comme celui des Américains, des Français et des Britanniques, puis y a le nationalisme des petits peuples qui est un nationalisme de défense contre l’impérialisme. Donc, le mot ethnie faisait référence à un groupe d’individus qui se reconnaissent entre eux comme un peuple, qui partagent une tradition, une langue, un territoire et une culture. On étudiait toutes les cultures, mais moi, celle qui m’intéressait le plus c ‘était la mienne. Je la trouvais aussi intéressante que les autres. J’me suis aussi aperçu que la lutte pour la libération nationale, c’est une lutte pour défendre la civilisation québécoise.
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Quelles sont les caractéristiques de la société québécoise ?
Au début du 20e siècle, on définissait la société québécoise par la langue et la religion. Avec le nationalisme des années 60, la religion est tombée alors ce qui restait, c’était la langue, mais aussi des traditions, des références culturelles, la cuisine, l’histoire. N’importe où sur la Terre, m’a t’écouter parler pis m’a t’dire : « Tabarnak, té Québécois ! ». Mais une caractéristique importante de la société québécoise est ce qu’on appelle l’acculturation. Lorsque deux cultures se rencontrent, il se peut que la culture d’origine se désagrège au détriment de l’autre. Je trouve que les Québécois sont de plus en plus acculturés. Les cultures, ça se vit, ça se défend et ça se réinvente.
Avons-nous honte d’être Québécois ?
Maintenant, oui. Souvent les Québécois ont une image d’eux-mêmes de losers, mais y en a plein de héros pis d’histoires icitte. Il ne faut pas avoir honte d’exister. C’est rendu que les Québécois y disent qui sont francophones. On est le seul peuple sur la Terre qui s’est donné comme nom une catégorie de sondage.
Que pensez-vous des ethnies au Québec ?
Être Québécois c’est pas une question de couleur. Si tu veux participer au développement du Québec, j’suis avec toé. Mais si t’é contre ça, peu importe ton origine, je t’haïs profondément. Que tu t’appelles Tremblay, Nguyen ou Mohamed je m’en fout. Là, on va s’embarquer sur le sujet de l’immigration pis c’est un sujet tabou. Tu peux pas essayer de réfléchir là-dessus. Aussitôt on te demande si té raciste. C’est un esti de problème, mais on en parle jamais. Là, va falloir que tu marques dans ton article, que l’immigration est un sujet complexe. On en aura pas assez de deux pages, sinon on va rester dans les clichés.
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Est-ce possible qu’un peuple ne puisse plus intégrer ses immigrants ?
Je pense qu’ici c’est déjà ça. Y a des richesses avec l’immigration, mais y a aussi le développement de ghettos. Quand t’é pu capable d’intégrer le monde, ça donne ça pis quand ça va péter, ça va être laid en esti. Imagine, le Québec est même pas un pays, câlisse ! On est nous-mêmes menacés. L’immigration, c’est positif, mais ça peut être aussi négatif. Demande à un Palestinien ce qu’il pense de l’immigration juive en Palestine ?
Est-ce que les Québécois sont racistes ?
Sûrement. Comme tous les peuples. On est pas plus fin que les autres, mais je pense qu’au Québec il y a une tolérance que ben des peuples ont pas. D’autre part, ça se joue à deux cette game-là, il faut que chacun y mette du sien. Mais les Québécois sont ouverts. Pis y a des Québécois de toutes sortes de câlisses de souches. Ça existe pas des Québécois de souche, tabarnak ! Moi, je suis de souche française, d’autres sont de souche irlandaise, allemande, irakienne.
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Le référendum de 1995 a-t-il été perdu à cause du vote ethnique ?
Parizeau a très bien parlé ce soir-là, mais on a réduit son discours à deux mots et on l’a traité de raciste. Il n’est pas raciste, sa femme est Polonaise. Ce qu’il a dit c’était pas gentil, mais c’était la réalité. 90% des immigrants ont répondus non ! Certains immigrants sont plus favorables au projet d’indépendance, mais en général y en ont rien à crisser de notre lutte. Mais on a pas le droit de dire ça… Le seul problème avec le discours de Parizeau, c’est qu’il a oublié la gang de tabarnaks de Québécois à Québec qui ont voté à 40% non.
N’y aurait-il pas un rapprochement des communautés à faire?
Oui. Toute ma vie, j’ai eu la main tendue à tout le monde de partout. Mais si leur présence aboutie à plus d’oppression, ce sont mes ennemis, quelque soit leurs origines. Tout est question d’intégration. Un de mes oncles était Lituanien, c’était mon oncle préféré. Y nous racontait des histoires, y marchait sur les mains. Mais je le voyais qu’il venait d’ailleurs. Quand je vais en Afrique, je suis un étranger. Si j’y passe trente ans je me ferai encore demander : Tu viens d’où ? Si je fais un enfants là, pi qu’il parle le Wolof y vont dire qu’il est Wolof, mais moi je serai toujours Québécois.
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Est-ce que la place du Québec dans la délégation canadienne à l’Unesco est un pas vers la reconnaissance de la nation québécoise ?
Fait moé pas chier avec tes questions niaiseuses. Je rêve que le Québec soit un pays normal avec une voix partout sur la Terre, pas un strapontin à l’Unesco. Contentez-vous pas de d’ça, câlisse!
Quel est le voyage qui vous a marqué le plus ?
Le premier. Quand j’étais jeune, je suis parti en Amérique du sud. C’est une des affaires les plus extraordinaires que j’ai faite. Étrangement, plus j’allais à l’étranger, plus je devenais Québécois. Les voyages et la lecture me permettaient de mieux comprendre notre situation. J’ai lu Les damnés de la terre du Martiniquais Frantz Fanon et aussi Portrait du colonisé du Tunisien Albert Memmi. Tous les peuples sont pareils. On a deux bras pis deux jambes. On aime, on pleure, on chie, on meurt. On a des enfants, on leur donne de l’amour. Souvent la différence est dans les détails : comment on joue avec eux, les histoires qu’on leur raconte, les chansons qu’on leur chante pour dormir.
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Y a t-il un message que vous voulez adresser aux Québécois et aux autres ethnies ?
Quand je suis allé en Algérie après l’indépendance, Ben Bella avait réuni dans le stade d’Alger tous les cireurs de chaussures. Il y avait un grand feu et ils brûlaient leurs boîtes à cirage. Le titre de son discours était : « Lève la tête mon frère ! » J’aimerais dire ça aux Québécois. Aux immigrants, je dirais : « Bienvenue chez nous, je vous tends la main ne la refusez pas ! »
En terminant, Elvis Wong, un Chinois. Pourquoi avoir choisi un Chinois ?
C’était une façon de représenter l’étranger, tout simplement. Elvis Gratton c’est un gars qui se prend pour autre chose que lui-même. S’appeler Elvis Tremblay, c’est aussi fucké qu’Elvis Wong! Je voulais aussi dénoncer le racisme.
FRICASSÉE MULTI-ETHNIQUE :
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Vêtements
Moi je me sens du côté de l’humanité qui se bat pour la liberté et la justice partout sur la planète. Si on perd ici, notre combat va quand même servir ailleurs et il y aura des peuples opprimés victorieux. Il n’est donc pas question que je cesse de me battre
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Livre : Québec libre! Entretiens politiques avec Pierre Falardeau, par Pierre-Luc Bégin, aux Éditions du Québécois.
p.98 à 113 sur le sujet ethnique – lequebecois.org