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Sous les roquettes, la peur : la communauté libanaise piégée par la guerre

Une diaspora des plus inquiètes, un an après l’embrasement du Moyen-Orient.

Par
Jean Bourbeau
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« Et nous voilà encore ensemble », lance un homme au micro, keffieh noué sur la tête, sa voix teintée d’amertume.

À l’approche du premier anniversaire des tragiques attentats du 7 octobre qui ont ravivé un conflit vieux de 76 ans, les sirènes de Tel-Aviv résonnent à nouveau, cette fois sous une pluie de missiles en provenance d’Iran.

Après des attaques au Yémen et en Syrie, l’armée israélienne lançait, il y a quelques jours, sa première offensive terrestre dans le sud du Liban, après des frappes aériennes qui ont décimé les bastions du Hezbollah, coûtant la vie à des centaines de civils et relançant l’effroi d’une guerre totale.

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Le parvis de l’Université McGill s’est transformé, au fil des mois, en bastion de résistance, un maquis pour les partisans de la cause palestinienne. Chaque soir, jeunes et moins jeunes se rassemblent, élevant leurs voix contre l’injustice. Les drapeaux au cèdre se mêlent désormais aux étendards palestiniens. Une veillée est organisée en hommage aux victimes libanaises, alors que la région métropolitaine abrite l’une des plus grandes diasporas de ce petit pays.

Tarek, commerçant depuis deux décennies, observe la transformation qu’a connue sa boutique ambulante au cours de la dernière année. « Je vendais surtout des maillots de foot marocains et algériens. Maintenant, ce sont des keffiehs et des drapeaux palestiniens… et, depuis quelques semaines, beaucoup de drapeaux libanais. » D’origine palestinienne, mais avec une grand-mère libanaise, il sourit tristement :

« Tu vois, on est tous un peu mélangés, tous unis là-dedans. »

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Sur le campus, à mesure que la foule se densifie, les étreintes se prolongent et les larmes coulent.

La famille de Karina est originaire de la vallée de la Bekaa et l’étudiante avoue être rongée par l’inquiétude, mais aussi par une colère sourde. De confession musulmane, elle est en contact constant avec ses proches, qui ont fui vers les montagnes à la recherche d’un semblant de sécurité. « Ce n’est pas la première fois. En 2006, c’était déjà comme un deuil sans mort qui se répète encore et encore », confie-t-elle d’une voix chargée.

Sur les écrans de téléphones, des conversations WhatsApp défilent. Des vidéos de bâtiments pulvérisés et d’obus s’abattant sur des quartiers familiers se succèdent, alimentant l’angoisse.

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Maya, dont la famille est encore à Baabda, une ville à majorité maronite, scrute sans cesse son téléphone. « Je le regarde chaque minute tellement j’ai peur. On ne peut que se demander jusqu’où Israël ira dans sa volonté d’affaiblir le Hezbollah. Ils voulaient éradiquer le Hamas dans Gaza, et voilà un an qu’ils sont encore là. »

Nabil, 22 ans, étudiant en ingénierie, allume une cigarette qu’il partage aussitôt avec ses camarades, cherchant à apaiser ses nerfs. « Mon pays est maudit. Mes parents et grands-parents ont juré de ne plus jamais y retourner. Et pourtant, c’est notre terre », dit-il, le regard dans le vide. Autour de lui, les discours se succèdent au micro. Poèmes et chants patriotiques se mêlent aux appels à la résistance. « Deuil aux familles des martyrs, gloire aux martyrs », résonne une voix grave, portée par la ferveur de la foule.

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Ziad, ému, raconte : « Je pense à mes parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins, cousines… Être ici, c’est de la torture parce que je ne suis pas là pour les aider. C’est impossible de se concentrer sur mes études avec ce qui se passe là-bas. » Il secoue la tête avant de reprendre : « Et maintenant, les pourparlers de paix pour Gaza seront encore plus retardés. »

La veillée improvisée est chargée de solennité. Des lampions s’embrasent doucement, alors qu’au loin, le soleil disparaît.

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Je me souviens du Liban. De cet appartement dans Achrafieh, des nuits étoilées sur Batroun et de ma traversée de la Bekaa, en route vers Baalbek, la cité du Soleil. Là où les paysans vivaient au rythme lent de la campagne, sous les banderoles jaunes et les affiches défraîchies de ce leader barbu qui n’est plus.

J’avais 20 ans. C’était en 2009, trois ans après la dernière guerre entre ces voisins ennemis, et les murs du pays en portaient encore les cicatrices. Pourtant, une certaine insouciance flottait dans l’air. Nous fumions du hasch, mangions des kebbés au déjeuner et le pays, saturé par les festivités, manquait d’électricité.

On nous disait que cette légèreté était fragile, qu’il fallait en profiter tant qu’elle durait.

Deux ans plus tard, la guerre en Syrie éclatait, entraînant avec elle son lot de réfugiés et d’instabilité. Puis, vint l’explosion au port de Beyrouth et la crise économique. Et, depuis un an, la guerre entre le Hamas et Israël s’est immiscée dans le quotidien d’un pays magnifique et prisonnier d’une paix qui semble lui échapper.

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Un moment de recueillement s’impose pour la communauté, afin d’honorer les vies déjà fauchées et celles qui continuent d’être sacrifiées dans une impuissance collective. Malgré une mobilisation mondiale de grande ampleur, la fin des hostilités semble toujours hors d’atteinte, même après un an de conflit.