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«Sortez-moi de moi» : dans un monde sans absolus

La nouvelle série de Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault se montre rassembleuse dans une société de plus en plus polarisée.

Par
Benoît Lelièvre
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On commence tout juste à parler ouvertement de santé mentale. Pendant trop longtemps, ça a été le domaine des hôpitaux, des pilules et des névrosés qui pleurent leurs échecs à chaudes larmes sur le divan d’un psychanalyste. Aujourd’hui, on comprend que c’était une grossière caricature d’un phénomène hypercomplexe qui affecte pas mal tout le monde, mais on est encore gênés d’en parler.

Parce qu’on a l’impression qu’avouer ses problèmes de santé mentale, c’est admettre sa faiblesse. Que c’est la confirmation qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond avec nous. Qu’on est différents des autres. Amoindris.

Plusieurs séries télévisées ont abordé la santé mentale de front depuis le tournant du siècle: In Treatment, Homeland, Bojack Horseman, This is Us, 13 Reasons Why, Cerebrum, mais personne n’a jamais abordé le sujet avec la nuance et la compassion de la nouvelle série de Sophie Lorain et Alexis Durant-Brault Sortez-moi de moi. Disponible sur Crave depuis peu, je vous invite à l’écouter en rafale ce week-end (seulement 6 épisodes) afin de réconcilier les parts d’ombre et de lumière en vous.

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La vérité est ailleurs

Sortez-moi de moi, c’est l’histoire des employés du service de psychiatrie de l’hôpital Saint-Luc: les docteurs Justine Mathieu (Pascale Bussières) et Émile St-Amand (Émile Proulx-Cloutier); les travailleurs sociaux Clara St-Amand (Sophie Lorain), Myriam Melançon (Sandra Dumaresq) et Gabriel Beauregard (Bruno Marcil). C’est aussi l’histoire de leurs patients: un policier bipolaire en mission d’infiltration (Vincent Leclerc), un couple en crise incapable de verbaliser leur détresse (Luc Sirois et Marie-Laurence Lévesque) et plusieurs autres qui vont et qui viennent.

Ce qui rend Sortez-moi de moi aussi unique, originale et ambitieuse, c’est qu’elle traite tout ce beau monde sur le même pied d’égalité. Tout le monde est un peu abimé psychologiquement. Tout le monde cherche à soulager leurs souffrances: docteurs, intervenants ou malades.

Ce qui rend Sortez-moi de moi si agréable à regarder, ce n’est pas ce qu’elle raconte, mais comment elle le raconte.

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Parfois c’est la science qui soigne. Parfois c’est cette inexplicable alchimie qui connecte deux êtres humains ensemble. Lorsque le policier infiltré David et la psychiatre Justine se rencontrent, ce dernier est en pleine crise. Il s’imagine pouvoir guérir toutes les douleurs du monde et voit immédiatement la souffrance en Justine, bouleversée par la mort d’un collègue de travail. Sans vous vendre de punch, c’est le patient qui guérira la professionnelle de la santé au cours des six épisodes de Sortez-moi de moi. Vous remarquerez d’ailleurs qu’à chaque fois qu’un personnage d’élève au-dessus de ses problèmes (lorsqu’ils sortent d’eux-mêmes comme dans la chanson), la scène est baignée de lumière.

À travers un simple truc d’éclairage, Alexis Durant-Brault définit le ton si riche et unique de la série: personne ne détient vraiment la vérité à propos de la nature humaine. Les patients comme les professionnels ont leurs trucs pour soigner l’esprit lorsque ça déraille. Je pourrais vous parler de l’intrigue policière Sortez-moi de moi à en perdre le souffle, mais ce serait ne pas rendre justice à la série. Ce qui la rend si agréable à regarder, ce n’est pas ce qu’elle raconte, mais comment elle le raconte.

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Parler responsablement de santé mentale

J’vous entends déjà vous dire: «mais voyons, c’est complètement irresponsable de romancer les problèmes de santé mentale comme ça.» Votre inquiétude est valide, mais laissez-moi vous rassurer.

Sortez-moi de moi ne met personne sur un piédestal. C’est la grande force de la série. Pour chaque patient qui semble s’élever au-dessus de la condition humaine, elle en montre un qui souffre intensément. Pour chaque professionnel.le de la santé qui soigne, elle en montre un.e qui a perdu le contrôle de sa vie. Le message derrière ces portraits nuancés et imparfaits, c’est que personne n’a les réponses à tout. On fait tous de notre mieux pour prendre soin l’un de l’autre.

On a enfin une série qui parle de santé mentale de manière responsable, nuancée et… je dirais même dédramatisée à sa façon?

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J’pourrais aussi vous parler de ce que j’ai moins aimé de la série: les textes parfois un peu rigides, la prolifération de personnages à pertinence variable (j’adore Valérie Blais, mais Sortez-moi de moi aurait très bien pu exister sans Suzy), mais ce serait mettre l’accent sur les petits détails alors que Sortez-moi de moi accomplit quelque chose de plus important que ça: on a enfin une série qui parle de santé mentale de manière responsable, nuancée et… je dirais même dédramatisée à sa façon? Les gens guérissent, les problèmes passent… ou pas. Parfois les gens deviennent gravement malades. Parfois ils se font du mal et ils en meurent.

Les êtres humains se sont développés des outils pour gérer ça, mais personne n’a de réponses absolues. Personne ne détient la vérité à ce sujet. C’est peut-être pas la façon parfaite de voir notre rapport à la santé mentale, mais c’est de loin la meilleure que j’ai pu voir dans une série télé. Je vous conseille fortement de regarder Sortez-moi de moi sur Crave en fin de semaine. Il n’y a que six épisodes de 45 minutes, ça se regarde très bien en rafale et ça fait du bien à l’âme. C’est un excellent thriller psychologique, mais c’est aussi beaucoup plus que ça.

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