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Solidarité avec les arrêtés du pont Jacques-Cartier

« Ce n’est pas par gaieté de cœur qu’on bloque un pont. »

Par
Jean Bourbeau
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Sous un ciel d’Halloween étonnamment caniculaire, la Chorale du peuple élève sa voix devant le palais de justice de Montréal. Derrière eux, un cordon de policiers est traversé par des avocats en toge. Malgré la gravité de la situation, une étrange légèreté flotte dans l’air.

L’atmosphère, presque festive, contraste avec le motif du rassemblement : un soutien à Olivier Huard, dernier militant toujours incarcéré après l’occupation de six heures du pont Jacques-Cartier, le 22 octobre dernier. Neuf jours en détention précaire, dont cinq passés en grève de la faim.

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Emblématique de notre époque, l’affaire a fait grand bruit. Rappelons que trois membres du Collectif Antigone : Michèle Lavoie, Jacob Pirro et Olivier Huard se sont retrouvés sous le feu nourri de la critique, qualifiés tour à tour d’« activistes nombrilistes », d’« extrémistes verts », de « terroristes écolos » ou encore d’« anarchistes qui font de la propagande environnementale », selon les mots du ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel. Leur coup d’éclat a cristallisé une opinion publique profondément divisée, où la frontière entre activisme et provocation semble s’effacer.

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Les conditions de détention des militants, tout comme celles entourant leur libération éventuelle, ont été vivement dénoncées, notamment par Amnistie internationale et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), quant au silence imposé « contraire à la liberté d’expression, un droit garanti par les chartes au Québec et au Canada ».

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Lavoie et Pirro sont interdits de tout contact avec les médias, de communiquer via les réseaux sociaux ou de se rassembler en public à plus de trois personnes. Ils ne peuvent plus entrer en contact avec leurs co-accusés. Un couvre-feu a été imposé à Jacob Pirro, à qui il est en outre désormais interdit de posséder du matériel d’escalade.

Autour du palais de justice, les manifestants en soutien avec les activistes affluent, composant un tableau non sans clichés : des têtes grises aux étudiants jonglant avec un aki, keffiehs et casques de vélo en main, guitare acoustique à l’épaule. « Une vraie kermesse de terroristes », blague un observateur désabusé.

Un clin d’œil à la fronde populaire, bien réelle, entendue lors du coup d’éclat par cette population qu’on a dite « prise en otage ».

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Claudia s’est recouverte de slogans pour protester contre l’incarcération des activistes. « On débat de la légitimité de l’action, mais on évite la vraie question : que fait-on concrètement pour la planète? Est-ce que la population saisit vraiment l’ampleur du désastre? L’urgence n’est plus de croître économiquement, mais de repenser nos modes de vie. »

Elle déplore que l’action ait été immédiatement discréditée. « Ces gestes peuvent sembler radicaux, mais au lieu de réfléchir aux enjeux climatiques, on s’enlise dans un débat sur la perturbation de l’ordre public pendant quelques heures. »

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Des bonbons circulent parmi la foule tandis que la rue Saint-Antoine est bloquée. Discours après discours, les militants défilent au micro et martèlent l’urgence d’agir. Ils rappellent les feux de forêt à Jasper, les inondations à Lanaudière, et la ville espagnole de Valence, tout juste engloutie sous les eaux. « Mais la véritable obstruction, c’était sur le pont Jacques-Cartier, la semaine dernière », lance avec une pointe d’ironie une militante de Last Generation Canada, collectif récemment balancé sous les projecteurs pour avoir collé leurs mains sur le tarmac de l’aéroport en signe de protestation.

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La foule, forte de quelques centaines de personnes, dont certaines déguisées, dégage une solidarité mêlée à une colère sourde et un sentiment d’incompréhension face à ce qu’elle perçoit comme une escalade de la polarisation et une répression injustifiée.

Dès l’éclatement de l’affaire, politiciens et chroniqueurs se sont empressés de prendre position, présentant un récit sans équivoque : celui des « criminels du pont ». « Les revendications des militants, pourtant cruciales, ont été à peine abordées, enterrées sous des discours qui perpétuent le statu quo et infantilisent la désobéissance civile », déplore André, professeur à la retraite, faisant écho aux trois motions relatives à la désobéissance civile discutées à l’Assemblée nationale, qui illustrent une fracture de plus en plus marquée au sein de la classe politique.

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Amélie, passionnée d’alpinisme, s’inquiète également de l’avenir de la planète. Son écoanxiété, qui ne cesse de croître, résonne avec la détérioration des environnements où elle pratique son sport préféré.

« On parle plus des bouchons de circulation que de l’urgence climatique. C’est ça qui me dégoûte. Ça, et la réponse du gouvernement, une bande de clowns qui régurgitent la même cassette. »

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« La société se radicalise, mais pas dans l’action. C’est dans l’ignorance, le déni et la manipulation de l’information qu’elle se durcit, pour mieux étouffer la contestation. Moi, je ne suis pas radicale. Ils ont parlé en mon nom, et pour cela, ils sont courageux », s’indigne également Dominique, une manifestante.

À ses côtés, Olivier renchérit : « La répression des militants pacifiques est un signe alarmant qu’on observait déjà en Europe. C’est extrêmement grave que cela débute ici, et il faut réagir fermement contre cette tentative de museler l’opposition sociale. Il faut défendre ce droit à tout prix. »

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À l’intérieur du palais de justice, la salle d’audience où comparaît Olivier Huard est bondée, forçant l’ouverture d’une salle de débordement. Dans les couloirs, des militants s’installent à même le sol, attendant patiemment que la couronne présente ses preuves. L’atmosphère formelle est par moments brisée par des rires étouffés. La preuve, composée de photos Instagram et de vox pop capturés par TVA, provoque toutefois plus que des soupirs, forçant le constable à intervenir : « Le juge vous entend. La prochaine fois, je devrai expulser des gens de la salle. »

La lenteur de la procédure finit par provoquer de l’exaspération. Mais en après-midi, Olivier Huard fait enfin son apparition, le visage émacié, pour obtenir des conditions de libération plus favorables que celles de ses co-accusés, dans l’attente de leur procès. Le juge André Perreault, en rendant sa décision, a exprimé son regret en verbalisant tout haut le gros bon sens qui circulait depuis des heures dans les couloirs du palais : « Je déplore qu’il ait passé neuf jours en prison avant de pouvoir être libéré aujourd’hui. »

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Malgré les vents contraires de la semaine passée, la résistance se nourrit de l’indignation qui gronde. En ce jour d’Halloween, le plus chaud de l’histoire, les murs du tribunal ressemblent moins à l’étau contre lequel les militants s’insurgent qu’à celui qui nous guette tous, dehors.