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Soko, artiste intense

Par
Lucie Piqueur
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Ceux qui connaissent déjà Soko comprendront peut-être pourquoi j’étais si nerveuse et excitée d’aller la rencontrer. Que l’on connaisse ses albums, ses films, ou qu’on la suive simplement sur Instagram, on sait qu’on a affaire à un volcan actif. Son visage tourmenté et sa voix cassée donnent fatalement envie de savoir quel magma bouillonne en elle. Et puis comment ne pas tomber en amour avec une fille qui s’est déguisée en Cocteau/Cactus Twins pour l’Halloween ? L’artiste française bouillonnante était de passage à Montréal pour représenter les films Voir du pays et La Danseuse au Festival de films CINEMANIA. C’était le lendemain de l’élection de Donald Trump et la veille de la mort de Leonard Cohen. Durant les quelques minutes qu’a duré l’entrevue, elle m’a touchée par sa sensibilité, sa gentillesse et sa grâce.

Désolée pour mes envolées poétiques. Soko est intense pour vrai, et ça déteint sur moi.

Comment se passe ton séjour ? Est-ce que ça te plaît, Montréal ?

Ah oui, je suis tellement contente d’être ici ! La dernière fois que je suis venue, c’était il y a 10 ans. J’ai fait plein de trucs ! J’ai été voir l’exposition sur Robert Mapplethorpe et j’ai trouvé ça incroyablement inspirant…J’adore son travail qui, en plus, est hyper lié à la musique. Il a photographié plusieurs de mes musiciens. Et puis c’est cliché de dire ça, mais vraiment, ça me rend très heureuse d’avoir des Québécois autour de moi. On partage plein de valeurs et j’adore leur accent.

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Tu vis aux États-Unis depuis 9 ans, comment tu te sens au lendemain des résultats des élections?

Je me sens pas bien du tout. J’ai juste envie d’être au lit toute seule et de parler à personne. Je suis désolée mais si tu veux qu’on arrive à faire quoi que ce soit avec cette interview, il faut qu’on arrête d’en parler. J’ai passé ma journée à pleurer.

Je partage ta peine. Parlons plutôt des films que tu présentes au Festival de films CINEMANIA, alors. Je t’imaginais plutôt punk et peace and love. C’est quoi qui te rejoint dans un film sur l’armée?

En fait…rien. Je suis hyper pacifiste. Je suis complètement anti-guerre et anti-armée. Pour moi, un monde idéal, c’est un monde de Bisounours où on n’a pas besoin d’élire un président haineux de merde. Mais justement, en fait, je trouvais ça intéressant d’avoir un point de vue féminin sur ce qui pousse ces jeunes gens à s’engager dans l’armée. Parce qu’ils sont tellement jeunes ! Ils s’engagent à 17 ans. On est tout frais, à 17 ans. On est tout jeune, vierge de tout et du monde. Ils s’engagent parce qu’ils n’ont jamais voyagé. On leur promet du rêve, des aventures, des voyages qu’ils n’auraient jamais l’occasion de se payer. Ils s’engagent par envie de liberté et pour voir du pays, mais ils se rendent compte très vite à quel point ils risquent leur vie.

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C’était fou pour moi de jouer un personnage très masculin, très violent, et qui ne sait pas comment communiquer. Moi, depuis que je suis petite, je suis vulnérable et hyperémotionnelle. Je suis procommunication et je passe ma vie à transformer mon hypersensibilité en quelque chose d’artistique. Mon personnage, on lui a appris que pour être aussi forte que les mecs, il faut n’avoir aucune émotion, aucune opinion, et faire ce qu’on lui dit, point barre.

J’ai très mal vécu le tournage parce que c’était vraiment dur émotionnellement. Je ne sais pas faire les choses à moitié donc je vivais réellement son symptôme de stress post-traumatique. Mais, comme mon personnage, j’étais en déni complet d’à quel point j’étais affectée.

Je pense que moi, personnellement, ça m’arrive aussi de vivre des choses comme ça. En ce moment, je suis en train d’enregistrer mon album. Quand j’écris, c’est tellement personnel et je retourne tellement loin dans des souvenirs douloureux que parfois, j’ai l’impression d’avoir un syndrome post-traumatique, même si c’est de façon moindre. Je traverse les mêmes cycles de répétition des événements dramatiques de ma vie dans l’écriture.

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Puisqu’on parle de santé mentale et émotionnelle, as-tu des conseils à partager ? Si on mettait tous notre expérience en commun dans ce domaine, je suis sûre qu’on aurait quelques épiphanies.

Moi, je suis une personne très anxieuse. J’ai aussi souffert de dépression après avoir joué dans Augustine. J’ai pris des antidépresseurs pendant 3 ans, et puis j’ai finalement arrêté en janvier. Depuis, j’accepte d’avoir des hauts “hauts” et des bas “bas”. Je me dis que c’est ça, la vie : il faut accepter de vivre des émotions et ne pas cacher ses problèmes sous le tapis.

J’ai fait une thérapie en juillet et ça m’a beaucoup aidée. C’était génial et je pense que tous les gens du monde entier devraient faire ça. Moi, c’était un truc qui s’appelle le Hoffman institute. Ça amène beaucoup de compassion et de compréhension. Ça pousse à pardonner de manière très vraie et profonde les gens à qui on en veut autour de nous, nos parents, la manière dont on a été élevé…ou nous-mêmes, en fait.

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Je médite aussi tous les jours et c’est une routine dont j’ai besoin. Normalement, le premier truc que je fais en me réveillant, c’est que je médite, puis je fais mes intentions pour la journée, c’est à dire comment je vais prendre soin de tous les aspects de ma vie : mon corps, mon esprit, mes pensées et mes émotions. Mais ce matin, la première chose que j’ai faite, c’est de regarder mon téléphone parce que je m’étais endormie pendant les élections. Du coup, je passe une journée de merde. J’ai médité quand même, mais c’est pas possible de faire “reset”. Il faudrait juste dormir et recommencer à zéro. Il faut arriver à se renforcer de l’intérieur et à être bien avec soi-même avant de pouvoir bien accueillir le monde.

Tu es musicienne, actrice, tu es impliquée dans la mode, tu réalises tes vidéoclips et tes illustrations d’album…Et puis aujourd’hui, tu danses. C’est important pour toi d’être une artiste complète ?

C’est pas que c’est important, c’est que c’est vital et que c’est la seule manière dont je peux arriver à vivre avec moi-même. J’ai un tel engouement pour tout ce que je fais, que j’ai l’impression que si je n’en faisais qu’une partie, je m’atrophierais.

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Donc quand on me donne l’opportunité de jouer un personnage comme la danseuse Loïe Fueller, je me jette dessus. Elle aussi, il y a 100 ans, avait envie de tout faire. Elle ne pouvait pas faire sa danse sans aussi faire ses costumes, sa scénographie, ses lumières…sans aussi faire des expériences de chimie avec de l’uranium pour faire briller sa robe dans le noir. C’était ce qu’elle avait à faire pour monter son spectacle. Elle avait la force d’aller jusqu’au bout.

Et moi, pour ma musique, j’écris mes chansons, je les produis, je joue de tous les instruments, je fais mon artwork, je réalise mes clips. Pour moi c’est un tout, je ne vois pas comment quelqu’un d’autre pourrait réaliser mes vidéos mieux que moi alors que je sais déjà exactement ce que je veux. Peu importe si c’est mieux ou pas mieux : ça vient de moi et j’adore le faire.

Alors à quoi tu vas toucher, ensuite ?

J’ai envie de réaliser un film. Mais pour l’instant, je suis en train de faire mon troisième album et j’ai envie de n’être que là-dedans tout entière. Je ne lis plus de scénarios, je n’ai plus envie de faire de film pour un petit moment. J’ai mis ma vie sur pause pendant un an et demi pour aller dans deux histoires complètement différentes et faire le grand écart entre deux mondes de dingue. J’ai eu la chance de travailler avec des femmes fortes, qui ont fait des films importants que je suis très fière de défendre. J’adore aller raconter les histoires d’autres personnes, mais j’ai aussi un besoin vital de raconter mes histoires et de m’immerger dans mon monde. J’ai besoin de cette satisfaction dans mon art. J’ai besoin d’une balance des deux.

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Une chose est sûre, Soko n’a pas menti : elle s’est investie tout entière dans cette entrevue comme elle s’investit dans tout ce qu’elle fait. J’aurais aimé pouvoir vous transmettre par écrit toute la gamme d’émotion qu’elle avait dans les yeux en répondant sans réserve à mes questions, mais c’est impossible. Dur aussi de décrire l’état dans lequel j’étais en la quittant. Quand on s’approche d’un volcan, c’est normal de se brûler un peu.

***

Les films Voir du pays et La Danseuse étaient présentés dans le cadre du Festival de films CINEMANIA. Pour plus d’information, c’est par ici !

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Pour lire l’entrevue de Virginie Efira, venue présenter le film « Victoria » au Festival de films CINEMANIA: « Virginie Efira m’a redonné goût au célibat ».

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