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Mise en contexte rapide. Je fais des capsules humoristiques, des petits éditos diffusés sur le web, qui font un retour sur les épisodes d’une excellente série documentaire diffusée à TV5 qui porte sur la beauté, intitulée «Miroir».
Dans le dernier édito, je parle de la pression sociale dont les femmes sont victimes en traçant au crayon sur mon visage tout ce que je devrais modifier pour correspondre aux critères de beauté actuels. Bien sûr, très important que je le rappelle encore une fois, c’est fait avec humour, avec un deuxième degré, pour que les gens voient le RIDICULE de la situation et non pas pour qu’ils me prennent au sérieux. Je tiens à le préciser maintes en maintes fois, parce qu’à en juger les commentaires sur la page Facebook, ce n’est vraiment pas tout le monde qui comprend. Ma foi, on me prend au sérieux! Je devrais peut-être m’en réjouir!
Celles qui pensent que ma vidéo est au premier degré, je vous pardonne vos commentaires aussi direct que: «Je prendrais ben ton visage moi, franchement.». Parce qu’il serait effectivement épouvantable que j’aie fait ça sérieusement. C’était justement pour démontrer le RIDICULE de telles opérations que PLUSIEURS femmes subissent tous les jours. On parle ici d’une industrie qui génère des milliards de dollars, non pas d’une nouvelle tendance qui touche 2-3 «bonnes femmes» de Westmount.
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Mais bon. Pourquoi prendre le temps de comprendre le degré, l’humour et le message d’une vidéo que l’on n’écoute pas avant de la critiquer?! Il faut se dépêcher d’écrire une phrase choc qui punch comme: «Elle a l’air conne avec son crayon dans face !» On voit que les gens s’appliquent et prennent bien le temps de comprendre ce qu’ils voient avant de se prononcer. Quel beau reflet de la société, ces commentaires facebookien.
Ce qui me fascine le plus: Les femmes et les doubles messages. Ces messages contradictoires qui font en sorte qu’on ne peut jamais gagner. Un commentaire qui m’accuse de ne pas pouvoir savoir de quoi je parle car je «corresponds TROP» aux critères de beauté (donc, je n’ai pas à me prononcer sur la pression que les femmes subissent), et d’autres messages qui critiquent mon visage, mes dents, qui me traitent de laide. Beau paradoxe. Se faire traiter de laide et de «trop belle » à la fois, et ce, par des femmes. On est loin de la solidarité, des boys club et de la domination mondiale.
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Ce ne sont pas les commentaires désobligeants sur mon physique qui m’ont fait le plus mal, loin de là. C’est plutôt celui-ci:
« D’une fille super belle, rire des standards de la beauté d’aujourd’hui, je la trouve superficielle…»
Si je comprends bien, je ne peux donc comprendre la souffrance des femmes, je ne peux critiquer la pression que l’on subit tous, parce qu’on me juge trop jolie pour connaître cette souffrance et pour me prononcer sur le sujet.
Mais qu’est-ce que vous pensez?! Que les filles que vous considérez comme «jolies », ne vivront pas les mêmes gammes d’émotions que les autres au cours de leur vie, qu’elles sont considérées comme «à part», qu’elles doivent se taire, remercier le ciel tous les jours d’avoir un visage harmonieux et ne surtout pas prendre position sur les souffrances féminines?!
Nous sommes toutes «la belle» d’une et «la laide» d’une l’autre. Nous sommes toutes victimes de la même pression sociale. Et ce n’est pas en s’imposant ce regard, baser sur les préférences des hommes, de la société, de l’industrie de la beauté et de la mode que nous allons avancer. Ce n’est pas en se pointant du doigt et en s’accusant de «TOI, TU SOUFFRES MOINS QUE MOI» que la femme va réussir à élever son rang dans la société.
Les filles les plus complexées et les plus insécures que j’ai rencontrées dans ma vie étaient mannequins. Parce que leur métier consistait à se faire dire sur une base quotidienne qu’elles ne correspondent pas à ce qui est recherché.
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Mais bon. Regardons-les de haut, I guess. Elles sont dans un monde à part, elles sont privilégiées, elles sont grandes, minces, avec des cheveux soyeux. Elles ne connaissent donc pas la souffrance, elles vivent dans un monde magique où elles sont bombardées d’amour. Que les troubles alimentaires et la toxicomanie soient des problèmes récurrents dans l’industrie de la mode n’est que PURE coïncidence.
Parlant d’anorexie, la plupart des filles qui souffrent de troubles alimentaires sont de jolies adolescentes minces qui sont aux prises avec des problèmes mentaux. Mais bon, traitons leurs souffrances de manières superficielles, ne les écoutons pas, elles sont dans la norme, la jeunesse et la minceur, elles sont donc de vilaines petites princesses capricieuses.
Faisons cela ! Divisons-nous entre femmes. Il y a celles qui méritent de critiquer, parler de leurs souffrances, celles qui ont le droit de parler, celles qui ont le droit de se plaindre et les autres, les élues.
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Qu’on prenne mon humour au premier degré sans en comprendre le sens est chose commune et ce n’est pas ce qui me dérange. Les commentaires non plus. Ça me laisse plutôt indifférente. Ce qui me choque, c’est le message sous-jacent : «T’es belle. Ferme ta yeule. Tu ne comprends pas c’est quoi peser 200 livres.»
Donc je ne peux pas être de votre bord. Du bord de l’acceptation de soi. De l’estime de soi. Je ne subis donc pas les mêmes problèmes que les femmes «normales».
Je vous assure que mon visage n’est pas un bouclier, une immunité à la souffrance. Je suis toute aussi critiquée, on me traite régulièrement de «pas belle» quand on ne m’aime pas sur les réseaux sociaux, on parle de mes dents, on se prononce sur mon physique…
Je me suis déjà sentie laide, inadéquate, grosse, rejetée, abandonnée, trompée, complexée et j’ai vécu toutes ces émotions horribles que TOUS les êtres humains traversent dans sa vie peu importe leur physique, homme ou femme.
Je vous assure que même si vous êtes une grande blonde mince plantureuse ou une petite grassouillette au visage ingrat, que vous le vouliez ou non, au cours de votre vie, vous allez vivre les mêmes souffrances et les mêmes pressions.
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Parce que ça fait partie de la vie, et parce que peu importe le groupe auquel vous appartenez «les belles ou les pas belles», et bien, aucun de ces deux groupes a le monopole de la souffrance.
C’est difficile être une femme point. Et ce n’est pas en s’accusant «Moi je souffre plus que toi» que nous allons réussir à se comprendre, s’accepter, avancer.
Les maudits doubles messages. Les «elle est refaite» quand on est trop belle et les «vieille ridée qui se laisse-aller» quand on vieillit au naturel.
Les «elle ne sait pas de quoi elle parle» quand on parle de la pression sociale que les femmes subissent et les «Mon Dieu, elle a pris 30 livres, la grosse paresseuse» qui sortent de la bouche de la même personne.
Sois belle et tais-toi, parce que tu ne souffres pas.
C’est pour des commentaires comme ceux-là qu’une Nelly Arcand a bien pu se sentir aussi incomprise dans sa souffrance. Qu’une jolie blonde plantureuse crie son désespoir et décrit son obsession de la beauté, cette burqa de chair comme elle le disait si bien, qui l’obsédait et l’anéantissait à petit feu, n’ait pu trouver la résonance qui aurait pu la sauver. Une résonance des autres femmes.
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Tu devais être trop jolie Nelly. Ça devait donc avoir l’air superficiel ta souffrance. Cette souffrance qui t’a coûtée la vie.
Sois belle et tais-toi. Une phrase prévisible. Mais si surprenante, venant d’une autre femme.