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Audrey-Anne Dugas – sobriété

Partager sa sobriété (et ses rechutes) sur les réseaux sociaux : le journal intime pas intime pantoute d’Audrey-Anne Dugas

Le courage d'être imparfaite.

Par
Salomé Maari
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« Bon, ben, j’ai encore rechuté. »

Ce n’était pas dans ses plans, mais l’humoriste Audrey-Anne Dugas, qui a entamé son parcours vers la sobriété il y a plus de deux ans, a trouvé un joint dans la poche de son manteau en faisant le ménage alors que des douleurs lui tordaient le ventre. C’est comme ça que c’est arrivé.

« Fait que, morale de cette histoire : faites pas le ménage », laisse-t-elle tomber avec légèreté en racontant cette récidive, assise chez elle devant sa caméra. Intitulée « Jour 0 sans consommer », cette vidéo, publiée il y a un peu plus d’un mois sur les réseaux sociaux, cumule déjà près de 200 000 vues sur Instagram et TikTok.

Dans cette même vidéo, elle se lance le défi de publier une vidéo chaque jour, comptabilisant ses jours d’abstinence. Depuis, qu’elle ait les cheveux en bataille, des cernes jusqu’aux joues, ou qu’elle ait rechuté la veille, elle allume sa caméra et livre son parcours de sobriété, sans filtre ni complaisance.

Jamais elle n’aurait pu se douter que cette expérience allait prendre une telle ampleur. Depuis, elle gagne en moyenne 1 000 abonnés par semaine sur Instagram, et reçoit surtout une véritable déferlante de messages de soutien.

Rencontre avec une femme qui incarne la résilience.

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« JE VEUX VIVRE, DANS LE FOND »

Audrey-Anne Dugas arrive au parc à chiens du parc Laurier au moment même où l’air frais du matin commence à se réchauffer. Elle apporte son golden retriever, Zach, sa caméra, et son unique café glacé de la journée, dans un gobelet du McDo.

Ce café quotidien, c’est la limite qu’elle s’est fixée dernièrement, après avoir pris conscience de ses excès. C’est bien connu, les personnes en guérison d’une dépendance se tournent souvent vers une autre.

Photo : Salomé Maari
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Zach se met à courir et à bondir dans la garnotte. « Il m’a sauvé la vie, ce chien-là », lâche tendrement la femme de 34 ans en le suivant du regard. Depuis qu’elle l’a adopté il y a un peu plus d’un an, elle n’est jamais retombée en grande déchéance.

Il la protège. Contre elle-même.

Pendant que Zach joue avec un beau grand caniche noir taillé comme un snob, Audrey-Anne plonge dans un sujet sombre. Aussi sombre que la toison bouclée de l’animal.

Après avoir traversé une série d’évènements difficiles, dont un viol sous soumission chimique, la jeune femme raconte avoir tenté de s’enlever la vie alors qu’elle était intoxiquée, il y a deux ans et demi.

C’est quand elle s’est réveillée à l’hôpital qu’elle a réalisé qu’il lui fallait tout changer. « J’étais comme : “C’est assez. Je veux vivre, dans le fond. Je veux arrêter de souffrir.” »

C’est à ce moment-là qu’elle est entrée pour la première fois en désintox, et qu’a débuté son chemin vers une vie sans alcool ni drogues. Un chemin semé d’embûches et de détours.

GUÉRIR LES RACINES DU MAL

« La question n’est pas “pourquoi la dépendance”, mais “pourquoi la souffrance”. »

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C’est une des phrases les plus célèbres du docteur Gabor Maté, expert de renommée internationale en dépendances et en traumas. C’est aussi une des citations préférées d’Audrey-Anne, à qui il a fallu beaucoup de temps pour en saisir le sens.

« Ce que j’ai compris, c’est que je focussais vraiment beaucoup sur arrêter de consommer, mais pas sur guérir les raisons qui font en sorte que je consomme », explique-t-elle.

Au début de sa sobriété, elle arrivait à tenir quelques mois sans consommer, mais finissait toujours par rechuter.

Mais les rechutes – qui peuvent être vécues avec honte et culpabilité par ceux qui tentent d’être abstinents – font partie de la guérison, répète-t-on dans le milieu. Et dans ses vidéos, Audrey-Anne ne cache pas les siennes.

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Maintenant, elle se concentre à guérir ses blessures. Survivante d’inceste, des blessures, elle en a beaucoup. Les bras d’Audrey-Anne portent d’ailleurs encore les marques de sa première dépendance : l’automutilation.

QUAND LA CAMÉRA DEVIENT UN REFUGE

La fois du joint dans la poche de manteau, c’était la première rechute d’Audrey-Anne après un mois d’abstinence. Avant ça, elle avait tenu quatre mois sans consommer – une rechute qui avait marqué la fin de sa relation amoureuse.

« Ça allait vraiment pas bien. J’avais des idées noires, je passais mes journées chez nous à scroller, à juste essayer de trouver une fuite », relate-t-elle. En raison de son choc post-traumatique lié à son agression sexuelle, elle était en arrêt de travail et avait besoin de trouver une manière d’occuper ses journées autrement.

C’est là que l’idée de faire des vidéos lui est venue « comme un appel, quasiment ».

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Ce nouveau projet permet à la bachelière en cinéma, qui travaille depuis longtemps dans le milieu de la télévision, de renouer avec sa passion. Un élément crucial dans un parcours de guérison où retrouver du sens et de la motivation peut faire toute la différence.

Ses vidéos lui permettent aussi de briser l’isolement en connectant avec les autres. Et avec elle-même.

Photo : Salomé Maari

LE COURAGE D’ÊTRE AUTHENTIQUE

« C’est comme un journal », philosophe Audrey-Anne, en parlant de son projet. « Un journal intime, pas intime pantoute. »

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Dans son livre La grâce de l’imperfection, la célèbre travailleuse sociale, chercheuse en sciences humaines et sociales, et conférencière américaine Brené Brown écrit : « Le courage, c’est de raconter notre histoire, et de ne pas être à l’abri des critiques. Rester vulnérable, c’est le risque que nous devons prendre si nous voulons faire l’expérience de la connexion. » [Traduction libre]

Et c’est justement la vulnérabilité et l’authenticité dont fait preuve celle qui se décrit comme « un livre ouvert » que le public semble apprécier.

Dans les commentaires, un même élément revient souvent : contrairement aux personnes sobres qui partagent leur parcours sur Internet avec du recul et plusieurs années d’abstinence derrière elles, Audrey-Anne est en plein dans le processus.

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Elle nous en livre chaque étape, même si certaines sont moins reluisantes. « Il y a des gens qui me disent : “J’aime ça parce que c’est raw” », explique-t-elle, reconnaissant que c’est ce qui permet à beaucoup de gens de s’identifier à elle.

Malgré la lourdeur des sujets abordés dans ses vidéos – dépendance, inceste, viol, suicide –, l’humour arrive toujours à s’y tailler une place. Une légèreté qui fait du bien, et qui met un peu de lumière dans le sujet, souvent sombre, qu’est la dépendance.

Audrey-Anne se souvient d’ailleurs de la première fois qu’elle est montée sur scène pour faire des blagues, il y a sept ans. « Encore à ce jour, de toutes les drogues que j’ai prises, c’est mon meilleur high à vie », raconte-t-elle, les yeux brillants.

UNE COMMUNAUTÉ INATTENDUE

« Je m’attendais pas à ce que ça prenne les proportions que c’est en train de prendre », confie-t-elle.

Les retours positifs la font « capoter », elle qui a bien de la difficulté à recevoir des compliments.

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Plusieurs personnes lui ont écrit pour lui dire que ses vidéos les avaient motivées à arrêter de consommer, ce qui émeut Audrey-Anne. Comme cette femme, raconte-t-elle, qui buvait tous les jours depuis dix ans, et qui, depuis une vingtaine de jours, est sobre. « J’ai les larmes aux yeux quand j’en parle, parce que j’aurais pensé… »

Zach revient vers elle, la langue pendante, et s’écrase sous la table à piquenique. Il refuse obstinément de bouger, même si Audrey-Anne tente de le tirer vers elle. Terminé, l’exercice physique.

Aujourd’hui marque la neuvième journée d’abstinence consécutive de l’humoriste. Bientôt, elle allumera à nouveau sa caméra et appuiera sur le bouton « REC », avant de se vider le cœur.

En partageant sa sobriété imparfaite, Audrey-Anne continue de briser les tabous, un jour à la fois. Avec ses vidéos, elle arrive à transformer sa douleur en phare pour éclairer le chemin des autres.

***

Si vous ou une personne que vous connaissez pensez au suicide, appelez ou textez le 9-8-8.

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