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Slammer sa vie à 65 ans

Rencontre avec LouNat à la veille du 15e Grand Slam de poésie.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Quand vous entendez le mot « slam », vous pensez évidemment « David Goudreault ». Quelques années auparavant, vous auriez eu spontanément en tête Grand Corps Malade ou encore D-Track.

Pourtant, le milieu slam local, foisonnant, ne se limite pas à une poignée d’artistes. Une foule d’adeptes s’y font les dents chaque semaine sur une des dix scènes éparpillées dans autant de villes à travers la province. Des slameur.e.s de tous horizons et profils, comme LouNat, 65 ans, couronnée l’an dernier au cabaret Latulipe lors du 14e Grand Slam de poésie.

À l’aube de la 15 édition qui se tiendra dimanche au cabaret Lion d’Or, je suis allé voir la championne en titre à Gatineau, où elle habite.

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LouNat (Louise Nathalie Boucher) me donne rendez-vous dans un café. Je frôle la mort plusieurs fois pour m’y rendre, gracieuseté de la première tempête de neige de l’année, qui a pris par surprise les automobilistes avec leurs pneus d’été.

« Mort en devoir pour faire rayonner la culture slam », écrirait-on sur ma tombe, sans doute.

Le trépas ne s’est pas matérialisé, j’ai donc pu rejoindre LouNat, qui m’a impatiemment attendu après un retard exorbitant.

Et la voilà malgré tout pimpante et bien mise dans un fauteuil du café, prête à démystifier un peu cette scène artistique méconnue, qu’on confond souvent au rap. En gros, les rimes et la musique ne sont pas obligatoires en slam, où l’artiste crée son propre rythme.

Pour cette femme à l’oeil pétillant et à la verve affutée qui mord dans la vie à grand coup de slam, tout débute par un coup de chance.

« Me semble que j’ai des atomes crochus avec le slam », s’avoue-t-elle en assistant en 2008 à sa première soirée de slam, après avoir croisé une affiche par hasard sur la rue.

Cette native de Saint-Jérôme installée à Gatineau depuis une trentaine d’années se retrouve donc parachutée du jour au lendemain dans un univers totalement inconnu.

Assise parmi le public d’une joute de slam organisée à La Maison des auteurs, ce premier contact avec sa passion la laisse d’abord un brin dubitative. « Il y avait une trentaine de personnes dans la salle. Je me suis aussitôt sentie chez moi, dans mon univers, mais le côté compétitif m’a un peu refroidie (c’est le public qui vote pour décerner des points aux slammeurs) », raconte LouNat, qui aimait malgré tout l’ambiance bon enfant qui régnait.

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Doctorante en géographie historique qui a notamment passé 18 ans au Musée canadien de l’histoire, amoureuse des mots, LouNat prend son courage à deux mains pour se présenter à nouveau à une soirée de slam, cette fois avec un texte à livrer. Habituée par son travail de professeure à l’Université d’Ottawa et de chargée de projets au musée à parler devant les gens, son baptême de slam se passe plutôt bien, malgré un trac fou. « Dans ce contexte, je tremblais comme une feuille, j’appelais ça la machine à coudre », compare-t-elle en riant, mimant des tremblotements saccadés.

Son premier slam est un texte de sa plume intitulé « 50 ans », où elle joue avec le chiffre qui correspond alors à son âge. Une passion tardive qui ne lui a jamais mis de bâtons dans les roues, malgré l’âgisme ambiant à l’occasion, surtout en dehors de la scène gatinoise où elle est établie. « Vous êtes bonne pour votre âge! » ou « Vous faites des textes jeunes pour votre âge », sont des commentaires maintes fois entendus au fil de son parcours. Heureusement, LouNat ne s’en formalise pas, en rit même. « On associe beaucoup les slam au rap et à la jeunesse. C’est pour ça que j’en fais! », s’exclame-t-elle en éclatant d’un rire contagieux.

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Bref, elle reçoit beaucoup de commentaires positifs de cette première performance, au point d’en développer une véritable passion. « Pour moi, le slam, c’est l’ultime plaisir!», résume celle qui s’y consacre presque à temps complet depuis quelques années.

Son processus créatif évolue grandement au fil du temps, après avoir été au départ un simple hobby. L’expérience et le temps entraînent une sorte de déclic en 2017, presque une épiphanie dans son cheminement de slameure (elle préfère cette appellation à « slameuse »). « J’ai eu un virage, une inspiration. Mes textes sont devenus plus riches. J’ai franchi mon Rubicon, je crois. Je ne renie pas mes anciens textes, mais j’ai senti que j’étais rendue ailleurs », analyse LouNat.

La slameure peaufine graduellement son art, noircissant sa feuille de route de concours, de spectacles solos et de prestations à l’étranger. En plus de remporter le Grand Slam de poésie l’an dernier, elle rafle en 2018 le concours national de slam Québec-France avec « Écramphétamines», une charge engagée contre l’hégémonie des écrans. Cette victoire s’accompagne à la clé d’un billet d’avion pour Paris et d’une mini-tournée dans quelques villes françaises. « La scène slam est mieux nantie là-bas, l’auditoire est plus vaste », compare LouNat.

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De retour au pays, elle monte coup sur coup les spectacles Slam ton patrimoine et Slam ton matrimoine, qui lui permettent d’imbriquer le slam sur une trame narrative historique. « Je peux marier mes compétences patrimoniales et artistiques. Je me sens vraiment bien là-dedans », avoue LouNat.

Depuis, la slameure participe à une vingtaine d’événements par année et travaille à un spectacle solo. Son nom circule dans le milieu, à son plus grand bonheur. « Plus je slam, mieux c’est », résume-t-elle.

Dimanche, elle foulera les planches du Lion d’Or comme invitée spéciale, refusant de défendre son titre. « Je n’ai pas participé aux joutes de qualification pour laisser la place aux autres, à la relève. Si on veut ouvrir ce milieu à d’autres, c’est plus motivant de voir gagner de nouveaux visages », croit-elle, se disant constamment épatée par les collègues de son milieu.

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Il faut dire que la scène locale est déjà bien vivante. L’organisateur, promoteur et animateur de l’édition en cours, le slameur Ivy Ivan Bielinski, évoque les difficultés à obtenir une visibilité, encore plus sans aucun soutien financier des autorités en place. « On n’est pas considéré comme un art, mais on est devenu un pôle d’attraction en ce qui a trait à la parole, pas juste pour les poètes, mais aussi les rappeurs, conteurs, etc. Le désir d’abattre les clivages entre les genres est là », assure Ivy, qui a lui-même fait sa marque sur la scène slam, notamment en remportant les Francouvertes en 1997 et comme défricheur de la scène slam québécoise.

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Celle-ci se décline aujourd’hui en une dizaine d’équipes dans plusieurs villes. « C’est ensuite la responsabilité d’un “slamestre” de sélectionner un endroit et de tenir des joutes de slam », explique Ivy, qui organise les rencontres montréalaises au bar Le Verre Bouteille sur l’avenue Mont-Royal. Ces compétitions locales tout au long de l’année culminent enfin vers le Grand Slam de poésie, que LouNat avait remporté l’an dernier.

Elle avait conquis le public et le jury avec quelques textes présentés en finale. « C’est un bon feeling. Tout passe par le contact avec le public, l’interaction. J’ai fait longtemps de la danse improvisation aussi, donc je suis très mobile et liée à mon corps quand je livre mes textes », souligne LouNat.

Pour la suite, elle promènera son slam dans une tournée solo dans différentes salles, en plus de se produire prochainement aux Rendez-vous de la bande dessinée de Gatineau.

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Elle revendique sinon un plus grand espace pour le slam sur nos scènes culturelles. « C’est un genre artistique auquel on devrait faire plus de place, tant dans une catégorie à l’ADISQ qu’à la fête nationale », souhaite la slameure.

Si certain.e.s camarades préfèrent voir le slam rester underground, loin du circuit commercial, LouNat ne voit pas pourquoi il faudrait bouder son plaisir. « Pour moi, c’est de l’art, et toute oeuvre mérite son piédestal. »

Si on lui demande enfin son rêve le plus fou de slameure, sa réponse ne se fait pas attendre : L’Olympia de Paris. « J’ai beaucoup d’imagination! », lance-t-elle dans un éclat de rire.

Bref, rien ne semble ralentir la plus jeune slameure de 65 ans de la scène francophone. « Pendant la coupe du monde à Paris, le public me disait : “Madame, vous êtes sans âge, vous avez 20 ans.” J’aime bien l’âgisme quand il va dans ce sens… », sourit-elle.

Avant que l’on se quitte, pas le choix de lui demander une petite démonstration de son savoir-faire. LouNat, qui a toujours un slam en poche, m’entraîne dehors et s’exécute devant le mur en briques du café, au rythme du passage des camions sur l’artère commerciale voisine.

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Pas certain d’avoir tout compris le sens de cette envolée verbale de haute voltige, mais une chose est au moins sûr : la passion de LouNat transpire bien au-delà des mots.

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