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S’improviser sorcière Wiccane pendant le confinement
Pendant le confinement, on s’adonne à toutes sortes de passe-temps étranges. Je sais pas pour vous mais moi il m’est arrivé plusieurs trucs improbables :
- -J’ai découvert les vidéos d’entraînement du Major Gérald, l’homme qui fait suer de peur sa propre corde à sauter,
-J’ai déclenché l’alarme anti-incendie de l’appart trois fois en tentant des recettes bien au-dessus de mon niveau culinaire, m’attirant la sympathie de mes voisins qui venaient juste de parvenir à endormir leur bébé,
- –J’ai tenté de draguer sur les applis des gens qui se trouvaient à 300km de moi et avec qui j’avais même pas une langue de communication en commun,
- -Je me suis lancé.e. dans une forme d’introspection pas assumée après avoir contemplé un peu trop fixement un arbre par la fenêtre et avoir développé un besoin existentiel de communiquer avec mère nature.
Voilà comment on s’initie à la Wicca pendant le confinement.
Ça a commencé doucement, de façon insidieuse. J’ai regardé Sabrina la petite sorcière, et je me suis dit que ça serait sympa d’avoir des petits rituels en rapport avec les phases de la lune parce que, comme à peu près toutes les personnes de la mouvance woke que je connais, je me pose des questions sur l’adéquation des cycles lunaires avec mes humeurs, sauf que dans mon cas c’est pour pouvoir blâmer la pleine lune pour les moments où je suis imbuvable.
J’ai fini par craquer et emprunter à la bibliothèque le « grand bleu » de Raymond Buckland qui répertorie quelques courants wiccans existants ainsi que les principes de base de la Wicca. On y apprend une foultitude de choses permettant de briller en société, si jamais un jour les soirées mondaines se donnent à nouveau et si la Wicca intéresse le monde qui les fréquente. Par exemple, maintenant je sais ce qu’est Le Malleus Maleficarum, qui l’a écrit, et pourquoi ces deux garçons probablement bourrés de complexes étaient un peu les ancêtres des incels de nos jours. Résumé exécutif : deux Dominicains ont produit aux alentours de 1486 un bouquin qui explique comment reconnaître les sorcières, mener leur procès et les forcer à confesser (y’a pas de secret : des instruments de torture et de l’huile de coude). Quand ils ont présenté leur opus magnum aux instances religieuses de l’époque, ils se sont faits recaler. C’est là que, sans se démonter, nos deux garçons plein d’avenir ont appliqué la maxime « fake it till you make it » et falsifié au calme la signature des instances en question afin de lancer la chasse aux sorcières qu’on connaît. J’veux dire, doxxer Anita Sarkeesian, c’est du petit niveau à côté.
Il y a toutes sortes de pratiques qui viennent avec la Wicca, telles que les rituels, la magie, la méditation et la divination.
On apprend également grâce à ce bouquin qu’adhérer à la Wicca implique de croire en quelques principes de base dont la règle du triple retour, qui veut que toute action bonne ou mauvaise se répercute sur notre vie en nous apportant un bonheur ou un malheur triplement proportionnels aux conséquences de l’action originelle. Un autre principe fondamental est la liberté absolue d’agir comme bon nous semble tant que nos actions ne font de tort à personne. Enfin, il y a toutes sortes de pratiques qui viennent avec la Wicca, telles que les rituels, la magie, la méditation et la divination.
Je découvrais donc un fabuleux nouvel univers et je m’amusais follement, jusqu’au moment où tonton Raymond m’a expliqué que les instruments nécessaires au culte comprennent une dague, qu’on appelle athamé. Et il était catégorique : un vulgaire couteau du commerce ne suffit pas. Nope, pour devenir wiccan faut un peu mouiller le costume céleste et fabriquer son athamé soi-même (quand il est indiqué qu’un rituel se pratique « en costume céleste », ne vous pointez pas dans votre déguisement de Dumbledore avec des étoiles, ça veut juste dire « à poil » en fait). Selon lui, quand on n’a pas accès à une forge et qu’on a le niveau « je répare mes meubles avec du chatterton » en bricolage, on peut quand même chauffer à blanc une lime en fer sur le gros rond de la cuisinière pendant des heures, puis l’aiguiser, puis sculpter le manche soi-même dans du bois. Là clairement on surestimait mes capacités de personne qui, on s’en rappelle, a failli foutre le feu à la cuisine en tentant un soufflé carotte-cumin. Je décidai que pour trouver des solutions plus simples, j’allais me tourner vers l’internet, cette source inépuisable d’humanité dans toute sa splendeur.
Je ne fus pas déçu.e : sur la page Facebook de la communauté wiccane la plus proche de chez moi, on était prodigue de bons conseils.
Par exemple, certain.e.s pas fort.e.s en bricolage comme moi s’inquiétaient du fait que leur cercle de protection n’étant pas parfaitement rond, il y avait un risque potentiel d’attirer l’attention de forces malveillantes ou au moins de foirer son sortilège (je me demande quel est le résultat d’un sortilège foiré ; peut-être la couleur de cheveux de Miwa Akihiro). Heureusement il y a une solution évidente, fournie par un.e autre membre : LE CERCLE IMAGINAIRE, toujours parfaitement rond. Le Wiccan est ingénieux.
Il y avait également une personne qui voulait pratiquer un rituel de magie noire sur son ex abusif et demandait aux autres membres de joindre leurs efforts aux siens.
Tout le monde monta au créneau pour adjurer l’auteur.e du post : et la règle du triple retour, y pensait-on ? Un karma de merde valait-il la satisfaction de la vengeance ?
D’autres personnes publiaient des photos de leurs chats, ce qui est comme on le sait le meilleur moyen d’attirer l’attention sur internet, en demandant des conseils pour apprendre à distinguer leur familier du profiteur sans honte qu’est le chat moyen. Là aussi, les conseils fusaient : le familier est celui qui t’accompagne dans tes rituels, pendant que le chat moyen continue à se lécher le trou de balle sans manifester le moindre intérêt pour le récipient d’eau de lune que tu manipules.
Enfin, certain.e.s posaient des questions sur les philtres d’amour, et se faisaient tancer dans les coms au nom du respect du libre arbitre et du consentement, et du karma de merde qui découlerait immanquablement de la violation de ces deux principes.
C’était étrangement wholesome.
Comme les rituels étaient hors de ma portée technique et que, dans le fond, je voulais surtout toucher à l’occulte avec un minimum d’effort, je me tournai vers la divination et plus spécifiquement le tarot.
ça donne plein de nouveaux centres d’intérêt intellectuellement stimulants et spirituellement nourrissants, ce qui est très important pour la santé du cigare.
Là aussi, un combo internet+bibliothèque me fournit des heures de distraction. Je découvris que Jodorowsky, que je connaissais principalement pour certaines de ses bandes-dessinées dont les personnages masculins ont un rapport aux femmes un chouïa compliqué, est également un passionné de tarot de Marseille. La légende veut qu’il ait tiré les cartes pendant des années dans un café parisien et qu’il ait révolutionné la vie d’un petit groupe d’adeptes conquis.e.s.
Sous l’emprise de l’enthousiasme causé par ces nouvelles découvertes, je me procurai un jeu de tarot et commençai à tirer les cartes à tort et à travers avec un entrain qui n’avait d’égal que mon incompétence. Prolongation logique de cette trajectoire, après le déconfinement, je proposai à mon intérêt romantique une soirée bières et bonne aventure.
Début de soirée prometteur, la bonne humeur est présente, la conversation est fluide, le produit de microbrasserie coule à flots, on finit par en venir à l’heure du tarot et là…
D’une manière ou d’une autre, le tirage lui annonce la venue d’une personne manipulatrice et malveillante dans sa vie. On a eu beau battre, couper et tirer les cartes plusieurs fois, le résultat était le même. Et là, un peu comme la technique qui consiste à jeter alentour un regard désapprobateur quand on a lâché une caisse dans un train bondé et qu’on veut se disculper, au bout d’un moment quand l’incident se répète suffisamment souvent, on finit par avoir l’air suspect quand même.
La soirée se termina de façon nettement plus fraîche qu’elle avait commencé, et l’invitation ne fut pas suivie de résultats. C’était un peu Charybde et Scylla mon affaire : soit j’étais pris.e au sérieux dans mes aspirations d’Aleister Crowley et je passais pour une personne toxique, soit j’étais inoffensif.ve mais je passais pour un.e taromancien.ne en mousse. En mon for intérieur je savais que la réponse B était la bonne, mais le doute était permis, ce qui est peu propice à un début de relation.
L’un.e dans l’autre (ou pas), je recommande de devenir wiccan pendant le confinement car ça donne plein de nouveaux centres d’intérêt intellectuellement stimulants et spirituellement nourrissants, ce qui est très important pour la santé du cigare.
Cependant je tiens à prévenir que la règle du triple retour est une vraie chiennerie.
J’incite donc les personnes qui souhaitent à la fois s’initier au wiccanisme et réussir leur vie sentimentale d’éviter de pourrir leur karma en s’adonnant à de menus actes moralement répréhensibles, comme par exemple péter dans les transports en commun puis regarder de manière insistante la personne assise à côté de vous. Yes Wiccane.
Mise à jour du 17 janvier : Grâce à la bienveillante police de l’Histoire qui s’est manifestée dans la section commentaires, nous avons apporté une modification concernant l’appartenance religieuse des auteurs du Malleus Maleficarum. Avec cette correction, vous pourrez encore plus briller dans les cocktails mondains.