« Prends le plus long nom du bureau de vote, choisis-le, et tu ne seras pas déçu.e! »
Voilà le conseil lancé par la candidate bloquiste de Rosemont-La-Petite-Patrie Shophika Vaithyanathasarma au sujet de la complexité de son identité.
« Lorsque je serai élue, je promets de faire une vidéo TikTok ou un tutoriel pour aider les gens à prononcer mon nom au complet », badine la candidate de 21 ans, qui se lance pour la première fois dans l’arène politique.
Un baptême où elle affronte notamment le néo-démocrate Alexandre Boulerice, le député sortant et unique rescapé de la vague orange qui a balayé la province il y a dix ans.
Rien pour décourager la jeune femme, qui s’est donnée comme mission d’imposer le sien et raviver la flamme bloquiste dans le comté qu’elle brigue. « Il ne faut pas oublier que c’est un ancien château-fort du Bloc ici », rappelle-t-elle, faisant référence au long règne de la formation souverainiste s’étirant de 1990 à 2011 (dont la moitié sous la gouverne de Bernard Bigras).
Depuis deux élections, le Parti libéral joue du coude avec le Bloc, en récoltant plus de 20% des voix chacun. Malgré une victoire convaincante du lieutenant Alexandre Boulerice dans Rosemont-La-Petite-Patrie (42% des suffrages), le NPD n’avait toutefois fait élire que 24 députés au pays, dont un seul au Québec.
Shophika Vaithyanathasarma affirme sans détour s’être lancée dans la mêlée pour gagner. Elle laisse aux médias ou autres le soin de qualifier certaines candidatures de « vedettes » ou de « poteaux ». « Je pense que les médias ont peut-être de la difficulté avec ma candidature. C’est difficile d’affirmer ensuite que le Bloc est raciste », raille-t-elle au sujet de la difficulté à avoir de l’attention médiatique dans la présente campagne.
Je ne sais à peu près rien de Shophika en débarquant à la librairie au Vieux Bouc de la rue Masson pour cette entrevue. Je l’avais croisée par hasard quelques jours plus tôt sur cette même artère commerciale, où elle distribuait des dépliants et s’entretenait avec les passants.
« Ça va bien, on roule sur la caféine », souligne-t-elle d’emblée au sujet de sa campagne en cours, pendant que je lui apporte un espresso après avoir présenté mon code QR.
La pandémie est d’ailleurs l’éléphant dans la pièce de cette campagne, admet la jeune bloquiste. « Les gens sont en vacances ou ne veulent pas d’élections. C’est comme une grossesse non désirée, mais on n’a pas le choix de s’occuper du bébé pareil », illustre Shophika, qui revient d’une visite aux habitations Saint-Étienne, un complexe locatif dédié aux aînés.
Shophika ne cache pas une forme de malaise à l’idée de faire des tournées de résidences de personnes âgées pendant une campagne électorale, une sorte de cliché. « Une dame m’a dit: c’est le fun de vous voir, mais j’aurais aimé vous voir pendant la pandémie », raconte la candidate, qui a fait le saut en politique à peine avant le déclenchement des élections. « J’ai tout de suite demandé la liste des organismes et des résidences du quartier. Je ne vais pas promettre des chèques de 500$ aux aînés, mais plutôt une visite de trente minutes par mois », s’engage-t-elle, ajoutant avoir depuis toujours cette volonté de m’impliquer. Je suis bénévole depuis 5-6 ans dans un CHSLD d’Ahuntsic (le quartier où elle vit).
Avant de se lancer dans la course, Shophika menait des études en mathématique et en sociologie. Elle impute à son cerveau cartésien le fait d’avoir étudié les règlements complets entourant l’installation de ses pancartes électorales. « C’est techniquement illégal d’afficher sur les feux de signalisation, mais tout le monde le fait », note-t-elle.
Pour des raisons économiques et environnementales, elle compose avec le vandalisme sur ses pancartes, prenant la chose avec un grain de sel. « Ce matin quelqu’un a mis un point rouge sur mes dents. J’ai envoyé une photo à mes amis en disant: ouin je dois aller de toute urgence chez le dentiste! »
Elle va même jusqu’à traîner un sharpie pour rétablir quelques faits et répondre à des attaques racistes.
«L’éducation est quelque chose qui me touche beaucoup. Ma mère a appris le français sur le tard et ne m’a pas donné le choix d’aller au privé. J’ai installé ma première pancarte devant Jean-Eudes.»
Volubile sur les réseaux sociaux, elle partage des pans de sa campagne, en dévoilant les coulisses de manière authentique.
Habitant à la « frontière » du quartier qu’elle brigue, elle assure ne pas être parachutée en terrain inconnu. Elle dit avoir pratiquement grandi au marché Jean-Talon, en plus d’avoir étudié à Jean-Eudes. Une grande fierté pour sa mère monoparentale, qui l’a élevé seule. « L’éducation est quelque chose qui me touche beaucoup. Ma mère a appris le français sur le tard et ne m’a pas donné le choix d’aller au privé. J’ai installé ma première pancarte devant Jean-Eudes. C’était important pour ma mère qui a fait des sacrifices pour m’y envoyer », confie Shophika.
Elle raconte avec détachement une vie de famille dysfonctionnelle, symptôme d’un mariage arrangé entre ses parents originaires du Sri Lanka. « Mon père est un réfugié et ma mère est venue le rejoindre dans un mariage intercaste (ses parents sont de la caste brahmane). Mon père a été alcoolique et absent », souligne-t-elle.
Agressée plusieurs fois dans sa jeunesse, Shophika admet avoir souffert d’une grosse dépression au milieu de son bac en mathématique, qui l’a forcé à mettre momentanément ses études sur pause.
Elle en parle avec aplomb, comme un pied de nez aux nombreux tabous entourant la santé mentale.
.jpg)
« Souvent dans les familles d’immigrants, on ne parle pas de santé mentale. J’ai donc gardé ça longtemps en moi et un jour j’ai atteint un certain fond. Je suis donc allée chercher de l’aide pour apprendre à cohabiter avec mon passé », affirme Shophika, qui a visité le pays de ses ancêtres à quelques reprises.
« Je m’y suis liée d’amitié avec la sœur de ma mère et son conjoint, dont je suis encore très proche. J’ai même pris légalement le prénom de mon oncle comme nom de famille (la coutume), qui signifie: médecine réparatrice », explique la jeune candidate, qui a coupé les ponts avec son père biologique. « Il doit voir mes pancartes, mais ça s’arrête là. »
« Il faut améliorer les choses au jour le jour »
Et le Bloc dans tout ça? Shophika raconte avoir découvert sa ferveur indépendantiste au secondaire, au contact de son meilleur ami (elle a même fait avec lui un rap souverainiste !).
« Je suis un enfant de la loi 101, j’ai grandi en anglais, en tamoul et en français. À l’école je ne me sentais pas d’ici et c’était la même chose quand j’allais au Sri Lanka. Comme si j’étais jamais sur mon X. J’ai alors senti un profond attachement pour la langue française », résume la candidate, qui milite pour l’inclusion, la francisation et -bien sûr- la souveraineté. «Ce ne sont pas juste des enjeux de cheveux gris, ce sont aussi ceux de la jeunesse », souligne une des plus jeunes candidates de son parti.
Malgré ses convictions, Shophika est bien consciente que l’indépendance du Québec ne trône pas au sommet des préoccupations à l’heure actuelle. « Des gens n’ont pas de toit, vivent de la pauvreté et si j’ai des enfants, je ne sais pas s’ils auront une planète plus tard. Il faut améliorer les choses au jour le jour et tendre ultimement vers la souveraineté », croit-elle.
«Comment quelqu’un qui vit ici peut ne pas se sentir d’ici? Ma façon de combattre ça a été de m’enraciner. Quand je me suis sentie Québécoise, j’ai fait la paix avec mes origines»
En 2020, elle a aussi cofondé avec Catherine Fournier et une dizaine d’autres personnes le projet Ambition Québec, visant la réappropriation de la souveraineté dans la société civile. Elle milite d’ailleurs farouchement pour que les gens issus de la diversité développent, comme elle, un fort sentiment d’appartenance envers le Québec. « Comment quelqu’un qui vit ici peut ne pas se sentir d’ici? Ma façon de combattre ça a été de m’enraciner. Quand je me suis sentie Québécoise, j’ai fait la paix avec mes origines », admet Shophika.
Sur Alexandre Boulerice, qui sollicite un quatrième mandat, la candidate bloquiste ne réserve aucune tomate. Au contraire. « On dit qu’il est sympathique. J’aimerais prendre un café avec et apprendre des trucs, des choses qu’il a faites. Je suis moi-même passionnée des gens et ma seule crainte est de ne pas avoir le temps de parler à assez de monde et de faire mes preuves », souligne-t-elle avec franchise.
Au moment d’écrire ces lignes, elle se préparait à croiser le fer avec les candidats du comté, dont Alexandre Boulerice, mais aussi la libérale Nancy Drolet, une ancienne championne olympique, six fois médaillée d’or au Championnat du monde de hockey.
Surelys Perez Hernandez se présente sous la bannière conservatrice, alors que Franco Fiori représente les verts.
L’entrevue se termine et la jeune candidate boucle la boucle.
« On ne m’a pas recruté pour ça, mais j’espère refléter la diversité et la pluralité du Québec d’aujourd’hui », souhaite Shophika Vaithyanathasarma, un large sourire estampé au visage.