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« Shit talk » avec Sara Levitt

Entrevue avec celle qui a rendu le sac de stomie instagrammable.

Par
Émilie Pelletier
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Au moment de la voir apparaître dans notre conversation Zoom, ce qui me frappe le plus chez Sara Levitt, c’est son assurance en plus, bien sûr, de son irradiante beauté. « Je suis désolée, chéri, je suis occupée à parler de caca, là! », répond verbalement l’instagrammeuse et militante à un texto de son ami.

Y a de quoi rayonner quand on sort du silence après avoir vécu une bonne partie de sa vie avec un lourd secret.

Dans la vie, il y a certaines choses dont il n’est pas socialement acceptable de parler, par exemple l’extrême richesse ou, encore, le caca. Comme étudiante en soins infirmiers, toutefois, parler de déjections humaines, c’est mon pain quotidien. Pour démocratiser le shit talk, j’ai organisé une rencontre avec une influenceuse montréalaise qui fait la promotion de la diversité corporelle en mettant de l’avant son magnifique sac de stomie – autrement dit, son petit sac à merde – qu’elle gardait caché jusqu’à tout récemment.

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Celle qui se surnomme The Bag Bish sur Instagram (@saralevs) est atteinte de la maladie de Crohn, une maladie inflammatoire de l’intestin, qui a nécessité qu’on lui pose une stomie il y a 16 ans. Au cours de sa vie, Levitt a subi de nombreuses chirurgies. Au terme de celles-ci, on lui a réséqué tout le gros intestin (le côlon), rabouté la partie restante du petit intestin (l’iléon) à la peau de son ventre et cousu le rectum (le trou de pet). C’est donc une iléostomie, ou, comme Sara l’appelle, « son petit sac Gucci. »

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C’est un choc – voire un traumatisme – immense pour toute personne que de se faire installer une stomie. En soi, ça implique d’avoir un bout d’organe qui est constamment exposé et aussi un sac dont on doit fréquemment faire la vidange à la toilette.

Pour la majorité, ça équivaut à la fin de la vie « normale », en plus d’être synonyme de craintes multiples.

Dans mon travail, je dois aussi quotidiennement rassurer les gens nouvellement stomisés sur le fait que c’est faux et qu’ils et elles peuvent aspirer à vivre une vie tout à fait normale. J’ai même récemment dit à une patiente que l’avantage d’une stomie est qu’on peut décider du moment où on évacue nos pets du sac, contrairement à la vie sans stomie où les flatulences peuvent arriver à n’importe quel moment.

Alors, pour une jeune adolescente en pleine crise identitaire, quand on passe la majorité de son temps à se comparer aux autres, on imagine à peine à quel point ça a dû être une transition difficile. « On se demande sans cesse ‘’pourquoi moi?’’ », confirme Sara. Elle ressentait constamment un malaise : « Est-ce que je pue? Est-ce que je pourrai un jour être perçue comme aussi belle que ce modèle de fille parfaite qu’on met tant de l’avant? »

Cachez ce sac que je ne saurais voir

Je ne peux m’empêcher d’être enjouée de discuter avec une comparse qui tente, elle aussi, de démocratiser la conversation entourant les selles. « Dans la société, c’est un tabou, alors que c’est littéralement quelque chose que les humains vivent tous les jours », plaisante celle qui affirme être devenue une professionnelle de la conversation sur le numéro deux.

En tout, son affranchissement lui aura pris 16 ans. « Je choisissais soigneusement les gens à qui je le révélais. Il y a des gens avec qui j’ai été intime qui n’ont jamais su que j’ai une stomie. »

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Son cheminement – qui n’est pas sans rappeler un véritable coming out – s’est fait par étapes. Parmi elles, certaines ont été comparables à des épiphanies, dont ce moment récent où, vêtue seulement d’un bikini, elle a exposé son sac de stomie sur une plage bondée de Cuba. C’est d’ailleurs au terme d’une seconde visite d’émancipation dans les Caraïbes – et de beaucoup d’étapes importantes – qu’elle a su qu’elle était prête à se mettre officiellement à nu sur les réseaux sociaux.

Pour son 29e anniversaire, en septembre dernier, elle s’est fait le cadeau de publier pour la toute première fois des photos d’elle en maillot de bain sur Instagram. Depuis, elle a réussi à réunir et soutenir une grande communauté de stomisés. Et ça, c’est sans compter toutes les demandes de collaboration qui pleuvent : Sara est la toute première stomisée à s’être retrouvée dans les pages du magazine Maxim Australia.

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En plus de bousculer les internautes et de nous encourager à nous prendre tous et toutes un peu moins au sérieux, la créatrice de contenu nous permet d’envisager la diversité corporelle sous un autre angle.

L’ironie du sort pour la jeune Anglo-Montréalaise, c’est que malgré toutes ses craintes, ce petit sac lui a littéralement sauvé la vie. Il est arrivé au moment où son intestin menaçait dangereusement de se perforer et de la plonger dans l’infection systémique. Il lui a aussi permis de mettre fin aux douleurs chroniques débilitantes et à l’alimentation à la sonde par gavage. « Je me rappelle quand je me suis réveillée de la chirurgie, je me suis dit : “Maintenant, c’est do or die.” […] C’est la stomie qui m’a redonné ma vie », souffle-t-elle, émue.