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Se trouver une job, oui, mais à quel prix?

Par
Sarah Labarre
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« Ceux qui sont très pauvres, c’est parce qu’ils ne se sont pas assez forcés. » Qui n’a jamais entendu ce genre de déclaration? Ou encore : « les itinérants pis les BS, y’ont qu’à s’en trouver, de la job », « s’ils le voulaient vraiment, ils s’en seraient sortis » ou « t’sais dans le fond c’est la grosse vie »?

Ce genre d’analyse surfaite des conditions de vie des moins nantis témoigne du peu de compréhension des mécanismes de la pauvreté et du manque d’empathie de son locuteur. Cette semaine, prenons le temps de s’intéresser à l’insécurité alimentaire et aux mécanismes de survie de ceux pour qui le prix d’un billet de métro peut peser lourdement dans la balance budgétaire.

Ce billet peut être lu avec celui-ci en accompagnement.

Mesures de pauvreté : un constat effarant

Qui dit difficulté à payer le loyer dit aussi insécurité alimentaire. 8,2% des ménages canadiens connaissent une insécurité alimentaire modérée ou sévère; c’est encore pire si l’on analyse uniquement le Québec.

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En région, le taux d’insécurité alimentaire (lire ici : craindre de ne pas avoir assez d’argent pour se nourrir et/ou nourrir convenablement sa famille) avoisine les 15%. C’est encore pire à Montréal où ce taux grimpe à 22%. Il faut aussi prendre en compte le fait que les prix des produits d’alimentation augmentent sans cesse; si une épicerie hebdomadaire tout ce qu’il y a de plus basique (pour un adulte et un enfant seulement) coûtait en 2006 autour de 65 dollars, aujourd’hui, pour des produits similaires, les emplettes coûteront un peu plus de 100 dollars. À titre d’exemple, le coût de certains produits d’alimentation de base comme l’huile végétale, le riz, la farine, certaines viandes et certaines conserves a plus de doublé depuis que j’ai eu mon premier appartement, il y a de cela dix ans.

Précarité de logement, insécurité alimentaire et seuil de pauvreté sévissent à l’unisson comme les trois têtes d’un cerbère particulièrement agressif. Or, si l’on suit cette logique néo-libérale qui voit forcer les gens au travail, et ce, à tout prix, on ne fait qu’ignorer que ce chien à trois têtes rugit directement dans nos oreilles.

Pensons, par exemple, à la récente réforme de l’Assurance-Emploi, initiée par le gouvernement Harper, dont « la mesure la plus sévère impose qu’après sept semaines de recherche, un prestataire fréquent devra accepter tout emploi offrant un salaire équivalant à au moins 70 % de son salaire précédent. Une perte de salaire de l’ordre de 30 % est donc dorénavant jugée normale et ne peut justifier qu’un chômeur refuse un emploi ». Pensons, aussi, aux récentes coupures à l’Aide Sociale, qui, au lieu d’inciter les prestataires à retourner au travail, n’a pour seul effet que de les affamer davantage.

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Ces deux mesures ne sont que des exemples parmi tant d’autres d’une vague de néolibéralisme qui, au lieu de tendre à éliminer les inégalités sociales, tend plutôt à les ignorer, voire à les aggraver, le tout dans une mentalité de retirer le plus de responsabilités (et donc d’inverventions) possible à l’état, pour remettre lesdites responsabilités sur les individus. Les changements à l’Assurance-Emploi, par exemple, en forçant les travailleurs à accepter des salaires de plus en plus bas, auront pour effet de les rapprocher du seuil de pauvreté. Et que dire du postulat selon lequel ces mesures incitent à un retour sur le marché du travail?

Être pauvre, ça coûte cher

Dans le cas des assistés sociaux, par exemple, qui voient leurs prestations être recalculées à 604$ par mois, ou encore des chômeurs qui voient leurs revenus déjà grandement réduits, chaque sou compte. Imaginez un instant devoir vous payer une passe de jour en transports en commun afin de partir à la chasse à l’emploi. Vous retirerez donc 10$ de votre budget mensuel, qui se soldera donc à 594$, pour payer le loyer, l’épicerie, les comptes et le transport pour tout un mois. Afin de survivre, la logique voudrait que vous gardiez ce 10$ afin de tenter de boucler votre mois.

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Suivant cette logique, la pauvreté enferme les individus et les familles dans une sorte de cercle vicieux dont il est bien difficile de se sortir. Dépenser dix dollars et ainsi peut-être décrocher un boulot qui nous sortira de la misère, ou bien garder ces dix dollars afin de ne pas avoir à sauter un repas ou deux? Et que dire de l’emploi à tout prix? Un emploi à temps plein, 40 heures par semaines, au salaire minimum (ou autour) est-il suffisant pour briser l’inertie de la pauvreté?

Il n’en est rien. Selon des données datant de 2013, « un travailleur au salaire minimum au Québec, en emploi 40 heures par semaine, vit pauvrement, sous le seuil de faible revenu. À 10,15 $ de l’heure, le nouveau salaire minimum au Québec, ce travailleur va toucher 21 112 $ (revenu brut) sur l’ensemble de l’année. Selon le Front de défense des non-syndiqués (FDNS), le seuil de faible revenu de Statistique Canada devrait s’établir à 23 647 $ pour 2012. L’écart serait donc de 11 %. »

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Ainsi donc, afin de s’éloigner de la pauvreté, il ne suffit pas de décrocher un emploi au salaire minimum, qui ne protège ni de l’insécurité alimentaire ni de la précarité de logement. C’est un triste constat à faire lorsque nous vivons une ère où, ayant détourné les racines du libéralisme, les acteurs du néolibéralisme s’approprient des idées telles qu’il faut à tout prix « employer et mettre au travail les pauvres […], pour les rendre utiles à la population et ainsi soulager les autres de ce fardeau »* (Ouais, bon, c’est vieux, Locke, mais assez d’actualité, quand on y pense.)

Il y a corrélation à faire entre les problèmes de pauvreté, de précarité de logement et d’itinérance, car l’un entraîne l’autre comme des dominos. Bien sûr, cette précarité n’entraîne pas forcément l’itinérance, mais, reliée à d’autres facteurs – souvent relatifs à la malchance – démontre qu’une population de plus en plus nombreuse est sous l’emprise de la pauvreté et que le climat économique et social actuel ne verra qu’augmenter le nombre d’itinérants dans les rues du pays.

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* Locke, John (1697), Que faire des pauvres?, Paris : Presses Universitaires de France, 2013.

Je milite pour la justice sociale, l’égalité et le féminisme – des synonymes à mes yeux. Ayant suivi une formation en arts visuels, je poursuis mes démarches en recherche sociologique et j’écris présentement un livre sur l’itinérance qui sera publié prochainement chez VLB.

J’anime le tumblr LES ANTIFÉMINISTES – http://lesantifeministes.tumblr.com/

Pour me suivre : c’est Sarah Labarre sur Facebook et @leKiwiDelamour sur Twitter.

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