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Se rendre au travail en bateau au centre-ville de Montréal

« Pas envie de me retrouver tassée dans l’autobus. »

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Boucherville, 8h, un jour de semaine.

Sur le quai municipal, une dizaine de personnes patiente en file devant un bateau amarré sur le fleuve Saint-Laurent. « Ça prendrait un abri-bateau-bus ! », plaisante le capitaine, qui accueille ses passagers dans le froid matinal.

Munis de leur vélo, de leur sac de travail, ou d’une boîte à lunch, les habitants de la Rive-Sud montent à bord du Navark Faucon Millenium, et s’installent sur les bancs. Derrière les vitres, le soleil finit de se lever au-dessus de l’eau.

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Après les consignes de sécurité d’usage, le bateau largue les amarres.

Les passagers lisent, scrollent, ou regardent le paysage, bercés par les flots et le bruit du moteur. Dans 30 minutes, ils débarqueront au Vieux-Port de Montréal.

Ce bateau fait partie des six navettes fluviales qui relient le centre-ville de Montréal à différents arrondissements de l’île et villes de la Rive-Sud, comme Pointe-aux-Trembles, Mercier, Longueuil, ou Varennes.

Le service a été lancé en 2019 par l’entreprise Navark, en partenariat avec l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). La saison s’échelonne de mai à octobre, avec une fréquence d’une navette aux 45 minutes durant les heures de pointe.

Bien moins connues que le métro ou le bus, les voyageurs ont pourtant besoin d’une simple carte OPUS pour monter à bord de ces bateaux.

Un métro fluvial

Sur les trajets du matin, on retrouve surtout des travailleurs, comme Vincent, la vingtaine, qui est employé dans une banque. Lorsqu’il a vu qu’un bateau se rendait au centre-ville, il a sauté sur l’occasion. Depuis, il embarque tous les jours sur la navette accompagné de son vélo, avec lequel il finit le trajet vers le Square Victoria.

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Assis près d’une fenêtre, Gilles est conseiller en ressources humaines dans une entreprise du Vieux-Port. Il prend la navette « deux fois par jour, tous les jours », rapporte-t-il avec un sourire. « C’est fiable et c’est toujours à l’heure », contrairement aux trajets en voiture qu’il effectue le reste de l’année. Seule critique : « Ils pourraient distribuer du café », dit-il en plaisantant (à moitié?) à l’intention du capitaine.

Durant le reste de la journée, il y a des passagers « en tout genre », témoigne Gilles Tanguay, le capitaine et directeur des opérations chez Navark. « Ça peut être des gens qui ont des rendez-vous en ville, qui vont magasiner, ou qui vont prendre une crème glacée en famille. »

« Le bateau peut être un vrai transport collectif », soutient le capitaine. « Si t’habites Pointe-aux-Trembles, et que tu vas au CHUM, t’es bien mieux de prendre le bateau plutôt que ta voiture. »

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Au total, 462 000 passagers ont emprunté les navettes fluviales de l’ARTM en 2024.

Reconnecter avec le fleuve

« Nous on n’a rien inventé », me dit Gilles Tanguay, tandis que le bateau longe le Parc national des îles de Boucherville. Il cite New York, Boston et Amsterdam, qui ont déjà leur réseau de transport fluvial. « On fait juste reproduire ça », appuie-t-il.

Ce qui est inédit, c’est plutôt de replacer le fleuve Saint-Laurent au cœur de notre quotidien. « Les gens oublient que Montréal est là à cause du fleuve », soulève le capitaine, qui rappelle que le Québec s’est développé le long du Saint-Laurent. « Avant, c’était ça l’autoroute ! ».

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À travers les navettes fluviales, Navark veut permettre aux voyageurs de délaisser un peu les vraies autoroutes, au profit d’un moyen de transport moins polluant, plus rapide, et plus agréable.

Pas de trafic

Certains passagers l’ont bien compris. « Je sauve six à sept heures de transport par semaine en prenant la navette plutôt que la voiture ou l’autobus », estime Hugo, qui réside à Pointe-aux-Trembles. Ce fonctionnaire prend la navette tous les jours depuis quatre ans pour se rendre à son bureau du Vieux-Port. « Le bateau c’est mon moment zen du matin, sans trafic », apprécie-t-il.

Pour sa collègue Lucie, c’est un moyen d’éviter d’être « jam packed à tous les soirs » sur le pont Champlain. « C’est un trajet tellement plus tranquille et rapide », se réjouit-elle.

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Le bateau est une bouffée d’air frais pour les résidents de l’Est, où les transports en commun sont moins développés que dans les arrondissements centraux : pas de métro, moins de bus, et plus de trafic. « Ça fait trente ans qu’ils nous promettent mer et eau pour les transports en commun. Pis un jour le bateau est arrivé, c’était extraordinaire », se souvient Daniel, en route vers son cabinet dentaire du centre-ville.

« On n’a pas de feux rouges ni de cônes oranges », s’amuse le capitaine Gilles Tanguay, qui est fier d’offrir un moyen de transport « toujours à l’heure ». Au début, dit-il, les responsables politiques ne croyaient pas en la fiabilité de ces navettes. « On s’est battus pour démontrer qu’on l’était », malgré des problèmes mécaniques, des matelots malades et même une tempête de neige.

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Un trajet agréable

Le bateau longe désormais les rives de Longueuil, avant de poursuivre sa trajectoire vers l’île Saint-Hélène. La majorité des passagers sont assis dans la cabine – chauffante – du bateau, mais certains bravent le froid sur le pont, cheveux au vent.

« J’aime bien écouter ma musique et regarder le paysage pendant le trajet », confie Vincent, emmitouflé dans son anorak. « C’est quand même plus agréable ».

« On voit les levers et les couchers de soleil sur le fleuve », rapporte Stéphanie, « ça me donne une énergie que je n’ai pas dans les transports réguliers ».

C’est aussi sur le plan humain que le bateau est plus chaleureux que le métro. Les gens « sont toujours les mêmes », et on finit par jaser avec eux sur les trajets du soir, raconte Lucie.

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À l’embarquement à Boucherville, les passagers étaient nombreux à saluer les membres de l’équipage.

Mais comme toute bonne chose, le bateau a une fin. Cette année, les navettes fluviales arrêtent leur service au 31 octobre. « Les clients comptent les dodos avant la fin du bateau », assure le capitaine, qui dit recevoir des cadeaux à la fin de la saison.

« Rien qu’à penser que ça se finit bientôt, je commence à être en dépression », regrette Lucie, qui n’a aucune envie de se retrouver « tassée dans le métro » à nouveau.

Le bateau passe alors sous le pont Jacques-Cartier – congestionné. Au loin, on aperçoit les tours du centre-ville et le mont Royal.

Objectif hiver

« Le prochain objectif, c’est d’étirer la saison jusqu’en décembre, et de la reprendre en avril », expose Gilles Tanguay. Le seul enjeu, c’est le budget, alors que Navark dépend des contrats gouvernementaux. Pour le froid, il suffira d’installer des « abri-bateau-bus », soutient le capitaine.

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Le bateau ralentit, alors que nous apercevons les quais du Vieux-Port. Il est 8h30, le temps a été respecté et le capitaine peut souffler. Les passagers débarquent en remerciant l’équipage, et poursuivent leur trajet à pied ou en vélo vers le centre-ville.

La journée peut alors commencer, sur la terre ferme.

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